A l’occasion de la sortie, ce jeudi 28 mai, du livre manifeste Droits humains pour tou.te.s, du collectif du même nom, nous avons rencontré sa coordinatrice, Géraldine Franck. Elle nous explique pourquoi “l’expression ‘Droits de l’homme’ reste un symbole fort de la société patriarcale”.
Comment vous est venue l’idée de ce livre manifeste, mêlant textes et dessins, et comment s’est déroulée sa direction ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Géraldine Franck – L’idée a émergé en 2017. À l’origine, nous, le collectif Droits humains pour tou.te.s, pensions faire un livre composé exclusivement de dessins. Cela a posé une difficulté majeure… Nous devions nécessairement demander des contributions gratuites. Nous avons été un peu entravé.es dans notre démarche par une réalité, à savoir, la précarité des dessinatrices et des dessinateurs, à qui l’on demande déjà beaucoup de travail bénévole. Nous avons aussi organisé des concours d’éloquence, avec le soutien de la mairie de Paris, qui nous ont permis d’avancer dans ce projet. Nous avons vu un certain nombre de plaidoiries extrêmement intéressantes et diversifiées dans les arguments qu’elles apportaient en faveur d’une appellation alternative à “Droits de l’homme”.
Donc nous avons commencé à avoir les dessins, les textes des différentes plaidoiries, les nôtres mais aussi des écrits qui existaient déjà, notamment celui de Christine Delphy, qui date de 2007 et qui, dès l’origine de la création du collectif, nous a servi pour construire notre argumentaire. Nous avons aussi fait appel à Eliane Viennot, une des spécialistes sur la question de la démasculinisation de la langue française, qui nous a offert un texte inédit. J’ai aussi découvert les textes d’Agnès De Féo ou encore de Ségolène Roy que j’ai sollicitées pour qu’elles acceptent que leurs textes figurent dans cet ouvrage.
Et voilà mon dessin pour @DroitsHumainsPT en meilleure qualité ☺️💪🔥✊
"Human Rights" in French is "Men Rights" and we should accept that in 2020? No way !#Feminism pic.twitter.com/Q6RfAYtHns— Marililc🎨 (@Marililc) May 28, 2020
Pourquoi avoir choisi d’assembler dessins et textes ?
Nous voulions quelque chose qui soit pédagogique et drôle, parce que, nous le savons, dès lors que nous parlons d’un sujet féministe, on est très vite taxé.es d’être acariâtres – il y a quand même eu récemment cette Une de Valeurs Actuelles qui disait que les féministes “cassaient l’ambiance”.
>> A lire aussi : Une de Valeurs Actuelles sur les féministes : “Le degré zéro de l’analyse”
Et puis nous parlons d’orthographe et de grammaire, des matières qui peuvent un petit peu rebuter. Déjà que les règles de français sont difficiles à intégrer et qu’une fois qu’elles sont apprises, les gens se disent que c’est bon, nous, on arrive et on dit ‘En fait ces règles, ce sont les humains qui les font et on peut les défaire’. Donc c’est sûr que ça va créer des résistances… C’est justement pour cela nous avons voulu allier le dessin au texte, pour apporter un côté un peu plus léger et permettre qu’ils s’intercalent entre les différents écrits de façon à ce que le livre ne soit pas considéré comme trop pesant à lire.
>> A lire aussi : Le féminisme de A à Z, c’est ici et maintenant
Les écrits proviennent de femmes issues de secteurs professionnels divers…
Nous voulions avoir des textes différents, qui viennent de personnes qui n’ont pas la même formation initiale, qui ont des parcours extrêmement divers et qui, du coup, viennent apporter des arguments variés. La visée principale était de considérer, pour plagier le titre de l’ouvrage Le français à nous, de Maria Candea et Laélia Véron, que chaque personne qui utilise le français quotidiennement a le droit et est légitime pour proposer des modifications.
On a souvent l’impression que le langage préexiste et qu’il nous est imposé alors que c’est précisément l’inverse… Le terme féminicide en est un excellent exemple, j’ai lu qu’il allait être intégré dans le Larousse.
Pourquoi considérez-vous qu’il est nécessaire de remplacer le terme “Droits de l’homme” par “Droits humains” ?
Parce que l’on essaie de nous faire croire que “homme” est un terme générique mais sur certaines choses bien précises, on se rend bien compte que ce n’est pas le cas. Quand il y a écrit : « toilettes hommes », est-ce qu’en tant que femme, on s’y rend ? Non.
Quand on dit une phrase toute simple comme : ‘J’aime les hommes’, si c’est un homme qui la prononce, est-ce qu’il fait un coming out ou est-ce qu’il est en train de faire une déclaration d’humanisme ? Donc cela crée de vraies confusions qui pourraient être très facilement levées si on utilisait le terme “humains”. Et la particularité de ce débat, c’est que nous n’avons pas de terme à créer. Il existe déjà et est explicite. On sait que “humains” représente les femmes comme les hommes donc ce sont juste des habitudes de langage dont il faut se défaire. Même si la grammaire dit que le masculin est générique, nous avons des représentations du masculin dans nos têtes.
Il y a une devinette que j’ai faite à 120 personnes, et une seule personne a trouvé la réponse. Voici la devinette : c’est un homme qui est en voiture avec son fils, ils ont un grave accident de la route. Le père meurt sur le coup. L’enfant est rapidement amené au service d’urgence de l’hôpital. Le médecin rentre dans la salle et dit : ‘Je ne peux pas l’opérer, c’est mon fils.’ Ma question est : qui est cette personne par rapport à l’enfant ? Quand je fais cette devinette le gens me disent que c’est un couple homosexuel et que c’est le deuxième père, ou alors que c’est un père adoptif, etc. Et j’ai eu le droit une seule fois à la réponse attendue, à savoir : le médecin est une femme, et c’est sa mère. C’est un automatisme de pensée, en fait. Donc les gens qui disent : ‘le masculin est générique’, ce n’est pas vrai. Le masculin empêche de penser le féminin.
>> A lire aussi : 314 enseignant·es affirment qu’ils et elles n’enseigneront plus que “le masculin l’emporte sur le féminin”
L’objectif du collectif Droits humains pour tou.t.e.s est d’obtenir que les institutions remplacent l’expression “Droits de l’homme” par “Droits humains”, pensez-vous que la publication de cet ouvrage permettra cela ?
Je pense que ça peut ouvrir le débat. En tout cas, nous savons que ce n’est pas juste une volonté qui serait celle de militant.es. Dans le livre, nous avons listé un certain nombre de personnalités politiques qui ont pris position au moment où ils et elles étaient en poste. Ségolène Royal était l’une des premières à utiliser ce terme-là en 2007, et elle avait été beaucoup moquée. Catherine Coutelle a également tenté de l’imposer… Donc il y a des politiques qui sont sensibles à cela.
Si au niveau des institutions, le terme change, nous allons nous y habituer, notre oreille va s’y habituer et c’est cela qui permettra ensuite que l’usage du terme évolue. Mais il faut dire que l’Académie française est rarement dans des prises de position progressistes, et cela paraît utopique d’espérer qu’elle tente d’imposer ce terme alors qu’il ne l’est pas encore dans l’usage. Donc nous supposons, en effet, que c’est d’abord l’usage qui va s’imposer et qu’ensuite seulement, l’Académie pourra éventuellement l’entériner. Par ailleurs, nous avons mis en avant les institutions mais évidemment, je pense qu’il faut essayer de convaincre tout le monde, d’être sur tous les fronts. Notre rêve serait de pouvoir faire un débat avec la Ligue des droits de l’Homme qui, jusqu’à présent, l’a refusé. Mais en tout cas, toutes les associations et ONG qui défendent les droits fondamentaux sont en train, au fur et à mesure, d’abandonner le terme “homme” pour le remplacer par “humains”.
>> A lire aussi : « Sans dire adieu » : un modèle de langue française à la façon de Lonepsi
Que répondre aux personnes qui vous disent qu’il ne s’agit que d’un mot ?
S’il ne s’agissait que d’un mot, il n’y aurait pas de résistance. Si c’était vraiment quelque chose d’anodin, on nous dirait “tiens, changeons, ça n’a aucune importance”, mais en réalité, la résistance même, la violence parfois, sont telles que nous nous rendons bien compte que toute avancée est considérée comme une perte par les hommes. L’un des dessins du livre le dit bien. Il y a deux personnages, et l’un d’eux dit : ‘Pourquoi tu ne veux pas qu’on parle de droit humains ?’ et l’homme répond : ‘Parce ce que je me sens invisibilisé’. Autrement dit, lorsque l’on intègre les femmes, les hommes se sentent invisibilisés, ils ont l’impression de perdre quelque chose alors qu’en fait ils restent à égalité, et ce sont les femmes qui gagnent face à une invisibilisation qui leur est imposée. Et les hommes, eux, y gagnent en justice sociale.
Pourquoi avoir choisi de reverser l’intégralité des droits du livre au collectif #NousToutes ?
Vu le nombre de personnes qui ont participé au livre, ça aurait été ridicule de partager les droits entre nous, on aurait pu le faire mais c’est un choix délibéré de notre part de le verser à une association. On a beaucoup réfléchi à laquelle et puis on s’est dit que #NousToutes, était actuellement le collectif qui combattait le plus la question des violences sexuelles. Cette question est fondamentale pour les femmes et pour leur sentiment de sécurité, leur droit à occuper l’espace, le droit de ne pas être malmenées ou mal traitées. Donc c’est pour cela que nous avons choisi de donner l’intégralité de nos droits d’autrices et d’auteurs à NousToutes.
Propos recueillis par Irène Ahmadi.
Droits humains pour tou.te.s (éd. Libertalia) – Sous la direction de Géraldine Franck – 176 pages – 10 € – Parution : 28 mai 2020
>> A lire aussi :
Pourquoi les inégalités hommes femmes perdurent dans l’audiovisuel
Nous Toutes dévoile sa grande enquête sur le consentement sexuel… et c’est effrayant
{"type":"Banniere-Basse"}