Après avoir produit pour Philippe Katerine, Frank Ocean et Charlotte Gainsbourg, Sebastian s’apprête à sortir un nouvel album solo à la rentrée dont il a déjà dévoilé deux singles, Run et surtout l’incroyable Thirst, montée en puissance sans jamais exploser. Rencontre avant son passage à We Love Green ce samedi 1er juin.
Tu as bossé une scéno particulière pour ce live ?
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Sebastian – Je ne vais pas en parler parce que justement la découverte du live fait partie du live lui-même. On découvre ce qu’il se passe quand on ouvre les rideaux, ou ce qu’il ne se passe pas d’ailleurs.
Parlons un peu de l’album à venir, pourquoi avoir décidé de revenir en solo huit ans après Total ?
Après le premier disque, j’ai continué à faire ce que j’ai toujours aimé faire, à savoir produire. Je me construis beaucoup plus comme producteur que comme artiste solo. Chez Ed Banger, Justice est construit comme un groupe de rock, Uffie à l’époque était la chanteuse, moi j’ai toujours été le producteur, avec Kavinsky notamment. Ensuite il y a eu Katerine (Magnum, 2014), Gainsbourg (Rest, 2017), Frank Ocean (Endless, Blonde, 2016). J’ai continué car c’était des demandes surprenantes. Celle de Frank Ocean par exemple sort de nulle part. Il m’appelle sur Skype, je ne sais pas comment il a eu le numéro. Ça a sonné, il a dit « C’est Frank ». Je n’avais pas l’image et j’ai cru que c’était quelqu’un de la maison de disque. Je mets l’image et je m’aperçois que c’est Frank Ocean. Il a été très direct en me disant « j’aimerais que tu sois là demain. » J »ai dit « T’es où ? » et il me dit « Je suis à Los Angeles. » Là c’est le moment où tu lui expliques que Los Angeles ce n’est pas sur la ligne 12, donc il faut s’organiser ! Il me dit « c’est bon on paye ». Donc j’ai mis un t-shirt dans un bagage et le lendemain je partais. Non seulement j’étais surpris mais je ne savais pas où ça allait, pourquoi, ni dans quel cadre. Parallèlement à ça, Charlotte Gainsbourg est venue me voir suite à un premier rendez-vous qui s’était mal passé pour plusieurs raisons. Une partie d’éthanol et une partie de prise de position de ma part qui était le français qu’elle n’a pas accepté au début parce que c’était trop dur ou que ça n’avait pas de sens pour elle. Puis elle est revenue dessus. J’égrène tous les sujets mais en gros ce disque dont on parle s’est fait à un moment où moi-même j’étais dans une position où il y avait Frank Ocean d’un côté et Charlotte Gainsbourg de l’autre. À la base ce ne sont pas les mêmes modes de production, ni les mêmes types d’émotions. Quand Charlotte est revenue me voir, je pensais me poser un peu mais elle a choisi de partir à New York. Ocean a décidé de venir à Londres. Tout s’est mélangé et là en voyageant par eux j’ai rencontré pleins de gens.
ll y a ce côté carnet de voyage dans cet album avec pleins de featurings. Il y a eu moins de rencontres via Charlotte qui est très solitaire, mais par contre des rencontres qui viennent de son disque. Quand on a eu à faire des violons par exemple qui sont très compliqués à synthétiser par ordinateur… Et puis même en traînant là-bas à New York… À un moment j’ai dû aller au Japon où j’ai rencontré un mec qui m’intéressait. Je fais généralement les sons d’une traite, dans la journée. Je rencontre le type, je me dis ça marche, et c’est bouclé, je reviens peu dessus. Au bout d’un moment je me suis rendu compte que c’était cohérent, qu’il y avait un disque. Je ne sors pas un disque tous les deux ans avec un cahier des charges, même si pour certains c’est un peu une façon facile de dire qu’on n’est pas assez généreux.. Je n’ai pas cette impression parce que j’ai bossé pour d’autres personnes. Au bout d’un moment j’avais envie de mettre un temps de pause, d’aller voir ailleurs, pour avoir moi-même une autre proposition à donner. Je suis censé être le bruitiste… Le bruit au bout d’un moment ça se rénove ! Pour ça il faut prendre de la distance critique, aller voir d’autres gens, et faire respirer tout ça. Je ne le conçois pas comme un « retour. » il y a un sous-entendu triomphant derrière ce mot. Moi j’ai juste une proposition différente de celle du premier album.
Donc tu n’as pas construit cet album comme un album ?
Je me suis rendu compte au fur et à mesure que ça construisait un album. Je produis tous les jours, même à vide. Au bout d’un moment tu t’arrêtes, tu coupes le cordon et c’est un disque.
Comment on le coupe le cordon ?
C’est comme pour l’alcool avec il y a le concept du dernier verre. C’est toujours l’avant-dernier. Mais il faut dire au revoir à l’avant dernier. C’est comme au comptoir. Tu te dis toujours que tu vas apporter plus d’équilibre à l’album etc. Couper le cordon ça veut dire payer l’addition et dire « je crois que c’était le dernier ». C’est assez dur ! Une fois que t’es bourré t’as envie d’aller jusqu’au bout mais tu sais très bien qu’il n’y a pas vraiment de fin… Enfin si, ça se termine par terre. Donc, étant plus sage, j’ai coupé le cordon assez facilement en me disant « là ça me paraît cohérent. »
Gaspar Noé a clippé Thirst, de façon assez violente d’ailleurs. Comment vous êtes-vous rencontré ?
Il y a bien dix ans minimum. On a déjà bossé une fois ensemble. Il avait fait un clip sur le premier disque qui avait été très vite censuré (Love in Motion, 2012, ndlr). Une personne nous a liés, un performeur de ce que l’on a appelé à l’époque « l’underground », ce qui n’existe plus du tout aujourd’hui je crois. Jean-Louis Costes, qui sort des disques, des films par lui-même, un performeur hard. Gaspar est attaché à ce truc de la transgression forte. On aimait beaucoup ce mec-là. Il nous parlait du professeur Choron, d’une époque qui nous parle à tous les deux. Gaspar Noé paraît très dark mais lui le conçoit comme un dessin de caricature. Il voit Thirst comme du Vuillemin, il voit une tarte dans la gueule qui fait « splash », mais il le transcrit à sa manière et c’est violent. C’est ça qui est marquant chez lui : la justesse. C’est gênant tellement c’est juste. Beaucoup de gens sont obsédés par l’idée d’untellectualiser les choses mais lui ne le fait pas, il délivre les choses de façon assez brute. Je ne veux pas parler pour lui, c’est mon impression à moi. Des gens projettent des choses, mais lui est disciple du professeur Choron je pense, plus que d’un cinéma très sérieux. Il esthétise beaucoup. Montrer la violence de façon brute c’est comme le porno… Si t’esthétises déjà un peu il y a quelque chose qui se légitimise.
Et toi ton obsession pour la noirceur ?
Ah non je porte des sapes noires parce que c’est plus pratique. Mes morceaux sont un peu énervés, ça gratte, mais j’aurais du mal à expliquer pourquoi. Je crois que c’est parce que de manière générale j’ai du mal avec la demi-mesure. La demi-molle ça ne fait plaisir à personne. Avec moi c’est beaucoup ou rien, soit 4 paquets par jour, soit ça (il montre sa cigarette électronique, ndlr). Soit tu vas au bout de ton ivresse soit pas. Soit tu fais beaucoup de bruit soit c’est doux. Charlotte était venue me voir pour quelque chose de dur musicalement. Mai ses sujets l’étaient plus que ma musique, le décès, sa façon à elle de l’encaisser… donc ça s’est opéré autrement. Moi c’est soit Billie Holiday à la maison, soit des trucs lourdingues. Je ne critique pas les demi-mesures mais je n’en fais pas.
Tu as peur d’être lourdingue ?
Non. Au pire c’est de la musique c’est pas très grave ! Je ne sacralise pas à ce point. Si un truc fait trop « beuuurrr », tu fais quelque chose de plus léger derrière. Même maintenant, plus de quinze ans après, je ne peux pas parler d’œuvre mais ça se construit sur la longueur avec beaucoup de sons, de matériel, de contenu. Il faut donner beaucoup. J’avais entendu Depardieu dans une interview qui disait d’un acteur « il ne joue pas assez, un acteur ça doit jouer. » En musique c’est la même chose. Moi on me dit « t’as rien foutu pendant 10 ans », mais j’ai pas arrêté ! Je ne sais plus de quoi on parlait ? Ah oui lourdingue ! Je rencontre beaucoup d’artistes qui dramatisent. Pour moi si c’est raté t’en fais un autre.
Tu parles beaucoup de cette période de huit ans. Tu la regrettes ?
Je me suis toujours conçu comme un producteur, plus que comme quelqu’un qui sort des disques. Là il y en a un deuxième parce qu’il y a une autre proposition. Ce n’est pas comme Justice qui ont une idée esthétique, ou comme les Daft d’ailleurs. Il y a une construction qui suit celle du groupe de rock. Moi j’explore des choses avec d’autres gens. J’aime bien me consacrer à quelqu’un. Surtout aujourd’hui où il y a beaucoup de rap, et où on fait des instrus un peu partout. J’aime bien me consacrer à quelqu’un parce que c’est un luxe de pouvoir passer du temps aujourd’hui sur de la production. Je ne l’ai pas vécu comme un retour parce que j’ai vécu pleins d’autres trucs.
Où a été enregistré l’album ?
Un peu partout, pas de domicile fixe. Il a été fait sur un an et demi ou deux. À la fin des deux projets, de Frank Ocean et de Charlotte Gainsbourg.
Ce n’est pas saoulant au bout d’un moment de devoir confronter ses idées à celles des artistes avec lesquels tu bosses ?
Détrompes toi ! La première fois que je vois Frank Ocean, je lui dis « bon alors je fais quoi ? » Il me dit « Tu fais ce que tu veux. » Ce qui est déroutant parce que je ne sais pas quoi faire du coup… « Mais ce que je veux de quoi ? » « Bah je sais pas, tu te débrouilles ! « J’ai fait ce que je voulais. Ensuite il est venu, il a posé un truc. Il a un mode de fonctionnement que je n’ai jamais vu nulle part. Je ne pense pas que ça existe, même Kanye c’est encore autre chose. Frank Ocean je n’ai jamais vu ça. En production et en réalisation il est extrêmement libre, il n’y a aucune contrainte mentale ou technique. Tu te dis « Ah d’accord on peut se permettre ça ! » Lui n’y pense même pas, il se dit que de facto tu te permets, c’est comme ça. Il n’y a pas de cadre. Son album a été mixé au même endroit où on a mixé celui de Charlotte, au studio Electric Lady à New York, celui de Jimi Hendrix. Il est venu en cours de route, l’ingé son n’avait jamais vu autant de pistes de sa vie, sans aucune indication. Pour lui tout est normal. Logiquement tu deviens un peu dingue. Je ne sais pas ce qu’il est. Il n’est pas taré. Ce n’est pas le type de folie de Kanye West. Il est très calme tout le temps à des endroits où toi mentalement t’es censé vriller ou appeler SOS psychiatrie. Lui c’est étonnant… il y a un grain c’est sûr, mais lequel ?
Comment est né Thirst ?
Il s’est fait pendant le disque de Frank. En même temps que Blonde, Frank a entamé un deuxième projet, Endless. Il nous a rappelés à ce moment-là. J’étais à New York pour Charlotte. Il m’a appelé à 4h du mat en me demandant si je pouvais passer. Lui n’a pas d’horaires quand toi t’as déjà entamé la cinquième saison de ta série ! Et parce que c’est lui et que c’est toujours un peu bizarre, tu te dis que tu vas aller voir ce qu’il fout dans un motel à 4h du mat. Et là tu découvres un mec qui a loué le premier étage d’un hôtel où ils font n’importe quoi. En musique j’entends ! Ça s’est fait pendant cette partie là. Ce n’est pas plus intéressant que ça en soi… Ce qui était intéressant structurellement c’était de prendre les codes violents en musique, mais plus de l’évoquer que de le faire au premier degré. Pour évoquer un truc violent avant on mettait des trucs qui tapaient. Là il n’y a pas d’élément rythmique. Il n’y a pas de caisse claire, ce n’est qu’une espèce de bruit qui évoque quelque chose de violent mais qui n’est pas violent d’un point de vue technique. Ça, ça m’intéressait, de contourner le côté un peu facile du truc qui tape vraiment.
Tu vois des images, des scènes quand tu composes ?
C’est LE sujet de discussion avec beaucoup d’amis musiciens. 99 % des gens qui m’entourent voient des images. Moi j’ai zéro image, je n’ai jamais eu ça. Je sens le son. C’est pour ça que j’aime faire des musiques de films, on me fournit le matos ! Ça fonctionne avec mon cerveau. Gaspar me donne une image qui devient une évidence parce qu’elle colle au morceau, mais à la base je n’en ai pas du tout. J’ai un rapport abstrait à la musique.
Tu pourrais explorer un autre champ artistique, comme Quentin Dupieux le fait avec le cinéma ?
Quentin s’est toujours conçu comme un réalisateur, majoritairement. Je ne sais pas s’il fait semblant mais il estime que la musique c’est secondaire. C’est sûrement un snobisme mignon de sa part. Si je mets autant de temps à te répondre c’est qu’il n’y avait pas autre chose pour moi. Je n’ai pas vu venir que ce truc allait être mon métier. Jeune, j’avais une vision sociologique des choses. Je me disais « tu fais de la musique, la moyenne de vie d’un dj à l’époque c’est 32 ans et ensuite c’est compliqué. » Je n’ai pas vu venir ça. Quand Pedro m’a signé, j’étais étonné parce que j’ai vraiment tapé à sa porte. J’ai pensé que ça durerait un an. Et en fait on a fêté les 15 ans l’année dernière. Ce n »est pas un snobisme, c »est juste que si tu me donnes la possibilité de faire quelque chose, c’est vrai que j’y vais à 300 %. Moi j’ai fait un BEP comptable. J’ai mis énormément de temps à voir que ça marchait. Chez Ed Banger ils voyaient le phénomène, moi non. À l’époque j’étais tout le temps fourré avec Kavinsky on était tout le temps persuadés que les mecs en concert étaient venus pour le type après nous. Même pendant l’âge d’or du label, j’avais la sensation que les gens étaient venus se choper ou se bourrer la gueule. Ce qui est vrai aussi. Mais dans mon esprit, ça passait en premier. Je ne me disais pas que les gens venaient nous écouter. On s’en est rendu compte un jour où on jouait en dernier avec Kavinsky et pas si tard que ça et c’était rempli !
C’est un sentiment d’imposture ?
Non, je n’ai pas de sentiment d’imposture, c’est juste… de ne pas réaliser. J’ai compris avec le temps. Je n’allais jamais en club moi. Je crois que c’est Pedro qui m’a emmené en club pour la première fois après m’avoir signé. Donc je n’avais aucun point de comparaison. Ton cerveau se dit toujours que le club est plein parce que c’est samedi… certains l »acceptent dans le métier et c’est cool parce qu’ils le vivent pleinement. Moi j’ai mis du temps à comprendre. Ça continue encore un peu d’ailleurs… c’est drôle.
Sebastian sera en concert à We Love Green le 1er juin, au festival Art Rock (Saint-Brieuc) le 8, à La Magnifique Society (Reims) le 15, à Dour (Belgique) le 11 juillet et au Sonar (Barcelone) le 18.
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