Chaque jeudi, Les Inrocks vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, Camilla Sparksss donne à entendre un electro-punk aussi brutal par ses intentions que par les sentiments explorés.
Le mouvement riot grrrl est apparu au début des années 90 pour changer la place des femmes dans le rock, le punk et la musique underground et leur donner une voix. Plus de trente ans après, le vrai progrès sera désormais de ne plus ressortir cette étiquette dès l’instant où une musicienne sort un disque fort, bruyant et/ou puissant. Finies les “punkettes” (comme il faut aussi rayer de son langage les “djettes” et “princesse du R’n’B”), la musique punk et noise n’a pas de genre. A cet égard, le nouvel album de la musicienne canadienne Camilla Sparksss (Barbara Lehnoff de son vrai nom) tombe à pic. Le bien nommé Brutal sonne comme un alliage puissant de sonorités synthétiques et dansantes jouées avec l’énergie physique du punk par celle qui forme aussi la moitié du groupe suisse Peter Kernel, devenu culte dans le circuit underground européen.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Contactée par mail, Barbara revient sur la conception de cet album : « J’ai commencé à travailler sur Brutal, l’an passé avec Aris qui est mon partenaire dans Peter Kernel. C’était un moment compliqué pour nous. Nous avons été un couple à 360 degrés pendant douze ans, nous avons formé un label et deux groupes ensemble et nous nous complétons parfaitement sur le plan artistique. Puis nous nous sommes séparés en 2017 et après un album et une tournée avec Peter Kernel, on a eu besoin de s’éloigner un peu. Mais après avoir essayé plusieurs producteurs, je me suis retrouvé en studio avec Aris et c’était clair qu’il devait réaliser ce disque. Et en même temps ce n’était pas facile de travailler ensemble dans ce contexte sur un disque aussi complexe. C’était vraiment brutal. »
Ne rien s’interdire
Empreinte d’une approche autobiographique franche, la musique de la canadienne s’offre cette fois une production beaucoup plus riche et variée que sur le précédent For You The Wild (2014), qui était lui plus lo-fi et baigné d’influences indus. Ce que confirme la musicienne :
« Si on le compare à mes travaux précédents, Brutal est définitivement un album plus riche. On ne s’est rien interdit en termes de composition et on ne s’est fixé aucune limite avec une approche beaucoup plus libre en termes de sons et d’esthétiques musicales. C’était un gros bordel de guitares, de synthés, de samples de batteries et de vraie batterie, tout cela étant découpé, repassé dans des amplis, échantillonné. On s’est notamment beaucoup servi des pédales Death By Audio (mises au point par Oliver Ackerman, le leader de A Place To Bury Strangers – ndr). »
Brutal part effectivement un peu dans tous les sens et rappelle les travaux de quelques New-Yorkais kamikazes capables d’exploser les chapelles musicales bien avant l’arrivée d’Internet: le Blues Explosion sur So What ou Liquid Liquid et sa no wave percussive sur Psycho Lover, de manière assez limpide. L’écriture de Camilla Sparksss est toujours sur la frange du tube pop, quitte à inviter des sonorités inattendues. C’est le cas sur Are you ok?, entêtante ritournelle aux sonorités arabisantes qui tutoie les refrains les plus efficaces de M.I.A.
Une brutalité pleine de vitalité
https://www.youtube.com/watch?v=mLe1x2BhHrc
« Dans tout ce que je fais, mon approche est instinctive et empirique. Je pense que ça vient de mon enfance. J’ai grandi dans une région très isolée dans le nord ouest de l’Ontario au Canada et il n’y avait pas grand chose à faire. Il a bien fallu que je m’invente mes propres jeux. Et ils n’avaient pas de règles », analyse ainsi Lehnoff.
Bien peu préoccupé des questions de cohérence ou de bienséance, Brutal raconte exactement l’endroit où se trouve une musicienne qui arpente les scènes des salles et squats européens depuis une douzaine d’années, influencée autant par la noise de Sonic Youth que par les climats glacés de The Knife ou la joie de vivre d’une certaine musique expérimentale foutraque. Camilla Sparkss réussit à proposer un gigantesque maelstrom sonore dans lequel surnage une personnalité tantôt outrancière, tantôt émouvante et ouvre de nouvelles voies pour l’electro punk, seulement guidée par son instinct et donc une forme de brutalité pleine de vitalité.
{"type":"Banniere-Basse"}