Un recueil de textes brefs où l’on retrouve l’univers de la romancière italienne et son talent pour sonder les êtres.
Fleur Jaeggy, née à Zurich et installée à Milan depuis cinquante ans, est une personne très singulière dans le monde des lettres transalpin, et pas seulement pour avoir contribué à faire découvrir en Italie une certaine littérature germanophone – elle a par exemple traduit le Suisse Robert Walser.
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Dans un pays très marqué par les identités régionales, l’auteure de Proleterka pratique un art littéraire de la rencontre, celle des langues et des cultures. L’action de ses romans ou nouvelles peut se situer n’importe où et elle n’hésite pas à glisser parfois dans sa phrase des termes en allemand ou en anglais.
Autre originalité : Jaeggy reste secrète et ne donne des interviews qu’avec parcimonie. Ses fans attendent chacune de ses publications avec ferveur, jusqu’aux Etats-Unis où sa prose minimaliste est considérée comme le nec plus ultra.
Fleur Jaeggy raconte l’infini regret de ce qui a disparu
Le livre traduit aujourd’hui en français par l’excellent Jean-Paul Manganaro rassemble vingt textes courts, et parfois brefissimes. Textes de fiction dans leur majorité mais parfois autobiographiques, on y croise des personnages réels qui ont marqué la vie de Fleur Jaeggy, comme la romancière autrichienne Ingeborg Bachmann, dont elle a été une amie proche, ou le poète russe exilé à New York Joseph Brodsky. En quelques paragraphes très émouvants, elle évoque sa maison silencieuse, à Brooklyn, où l’on devine “l’imperceptible écoulement des mots non encore visibles.”
Dans ces vingt éclats d’histoires, Fleur Jaeggy raconte l’infini regret de ce qui a disparu. Elle dissèque l’intime des êtres, n’explique pas mais suggère les gouffres et nous laisse imaginer. Toujours ses personnages ne décryptent qu’avec le temps la façon dont le malheur s’est inscrit dans leur vie, et endossent pour l’éternité un chagrin insurmontable dont ils ne peuvent parler. En 2015, dans une interview à La Reppublica, Fleur Jaeggy déclarait : “J’aime le vide. L’absence de relations.” Et en effet la solitude, inévitable, est au cœur de chacun de ses textes.
Je suis le frère de XX de Fleur Jaeggy (Gallimard), traduit de l’italien par Jean-Paul Manganaro, 128 p., 15 €
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