Le mardi 28 mai, une nouvelle proposition de loi pour le droit à l’avortement a été déposée en Argentine alors que la légalisation de l’IVG a déjà été refusée en août 2018.
Pour comprendre la situation, nous avons interrogé Maricel Rodriguez Blanco, docteure en sociologie de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), qui vient de commencer une enquête sur les mouvements des femmes en Argentine.
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Quelle est la situation actuellement concernant l’avortement en Argentine ?
Maricel Rodriguez Blanco – L’avortement en Argentine est complètement interdit sauf dans des cas très graves qui mettent en péril la santé de la mère. La proposition de loi déposée mardi 28 mai demande la légalisation totale de l’avortement afin que la souveraineté sur le corps de la femme soit un choix fait par la femme. Un projet de loi pour la légalisation de l’avortement a été présenté au Parlement argentin en juin dernier. Il a été approuvé par la Chambre des députés avant d’être rejeté par le Sénat le 9 août. Cette année, ce projet de loi a été soumis au Parlement, pour la huitième fois par une alliance de députés. Il s’agit d’un nouveau contexte étant donné que l’on est en période électorale [l’Argentine va élire un nouveau président en octobre prochain, ndlr]. C’est dans ce contexte que la chambre des députés devra débattre et approuver ou pas cette loi. Je pense qu’au niveau des députés, il n’y aura pas de blocage.
#28M 📢 AAALERTA ✊🏼💚
Desde Córdoba acompañamos la 8ta presentación del proyecto de ley de Interrupción Voluntaria del Embarazo 🌊💚
¡Exigimos aborto legal, seguro y gratuito! #CongresoVerde #SeraLey pic.twitter.com/DHTSDBkRqM— Campaña Nacional por el Derecho al Aborto – Cba (@campabortocba) May 28, 2019
Pourquoi cette loi pour l’avortement n’existe pas encore ? Qu’est-ce qui bloque ?
L’Eglise catholique en Argentine est très forte. C’est un élément majeur de ce blocage. Elle a un pouvoir politique, une autorité et une légitimité très importantes, renforcées par le Pape François qui est argentin et qui a mené une campagne contre l’avortement. Plus de 70 % de la population se déclare catholique et 9 % évangéliste donc complètement contre le droit à l’avortement. Il y a une partie de cette population catholique qui est très conservatrice qui est très mobilisée contre les mouvements féministes.
Qui sont les foulards verts, ces femmes qui militent pour l’avortement ?
A ma connaissance, il n’y a pas de données issues d’une enquête sociologique sur la composition de ce mouvement. Il est transversal en termes de générations. Les femmes qui participent transmettent cette expérience des luttes aux générations plus jeunes : leurs filles ou leurs nièces. Les usages des réseaux sociaux du mouvement font penser que ce sont surtout des membres d’une classe moyenne qui y participent. En revanche, c’est aussi quelque chose qui a pu toucher certaines femmes des classes populaires qui ont été les premières victimes de la privation de l’avortement car ce sont elles qui ont été obligées d’avorter dans des conditions précaires et pénibles pour la santé. Elles ont payé de leur corps.
Pourquoi ont-elles choisi le foulard vert pour s’unir ?
Je ne sais pas d’où vient le choix de la couleur mais le foulard est un symbole de lutte des femmes en Argentine. Il fait référence à l’association Les Mères de la place de Mai née en 1977 pendant la dictature militaire. Elles luttaient pour la récupération en vie des enfants qui avaient été kidnappés par les militaires pendant la dictature. Cette organisation a joué un rôle majeur dans le développement des mouvements pour les droits humains en Argentine dès la dictature militaire et notamment dans les années 80, un moment de transition vers la démocratie. C’est une organisation qui a une légitimité dans la société argentine assez indiscutée et indiscutable. Ces femmes sont considérées comme des héroïnes au sein de plusieurs mouvements sociaux, au-delà même de la revendication qu’elles avaient. Ces foulards font allusion à l’idée d’inscrire le droit à l’avortement au sein des droits humains. Les mouvements anti-avortement ont aussi choisi le foulard comme marque de reconnaissance. Celui-ci est bleu. Selon moi, cette couleur est en lien avec celle du drapeau argentin et du ciel.
#Argentina: The women fight to abortion rights in #Rosário, a major port city in the country. #QueSeaLey #Abortolegalya #SeráLey #Congresoverde #AbortionRights
Video: @CampaAbortoRos pic.twitter.com/SbuBIxP28C— Persona (@PersonalEscrito) May 29, 2019
Les hommes participent-ils à cette lutte ?
Il y a des hommes des deux côtés. C’est vraiment un mouvement massif qui a fait bouger les lignes au sein de plusieurs foyers et qui ont permis aux hommes de se manifester. Mais c’est avant tout une lutte menée et portée par des femmes.
Où se situe l’Argentine par rapport aux autres pays d’Amérique latine sur la question du droit à l’avortement ?
Malheureusement, dans la plupart des pays d’Amérique latine, les lois pour l’avortement n’ont pas pu aboutir. Il ne faut pas oublier que c’est l’une des régions les plus catholiques du monde et donc où il y a encore des stéréotypes de genres et des violences sexistes. Par exemple, au Brésil, le mouvement a été durement réprimé. Il n’a pas pu prospérer politiquement. Dans d’autres pays d’Amérique latine, la situation est similaire même pire. Les seuls pays qui ont des lois en faveur de l’avortement sont l’Uruguay, Cuba et Guyana.
Cette mobilisation est-elle exceptionnelle ?
Ce n’est pas une mobilisation exceptionnelle dans le sens où l’Argentine a une histoire de luttes de très longue date. La rue est un moyen d’expression. Il y a eu d’autres grandes protestations comme dans les années 90 celle des chômeurs, appelés les “piqueteros”. Ce sont des mouvements qui s’insèrent dans un pays où il y a eu beaucoup de fractures politiques et de crises. Mais elle est exceptionnelle par son caractère novateur parce qu’elle articule plusieurs répertoires d’actions. C’est un mouvement qui occupe à la fois les lieux publics et les réseaux sociaux. Il a rencontré énormément de soutien dans le monde entier grâce aux réseaux sociaux. Et c’est ce qui rend ce mouvement global.
A Paris, rassemblement pour le droit à l'avortement en #Argentine, où en ce moment est présenté au Congrès un projet de légalisation en ce 14e anniversaire de la Campagne nationale pour le droit à l'avortement legal, sûr et gratuit. #28M #SeráLey #CongresoVerde @CampaaAbortoLeg pic.twitter.com/sqs1EJbTzT
— Angeline Montoya (@angelinemontoya) May 28, 2019
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