Un an après un difficile album de rupture, David Longstreth laisse à nouveau entrer la lumière dans les Dirty Projectors. « Lamp Lit Prose », le disque le plus radieux de l’été.
Au moment où on parvient à le joindre par téléphone, David Longstreth arpente les Rocky Mountains, dans le Colorado, loin de Brooklyn et des tourments qui ont parfois pesé sur le fragile équilibre des Dirty Projectors. Ce besoin d’espace, d’aération mentale et pulmonaire, Longstreth l’a déjà expérimenté durant l’écriture et l’enregistrement de Lamp Lit Prose, nouvel album qui paraît un an seulement après le convulsif Dirty Projectors.
A ce disque radical et mal compris, qui avait pas mal déboussolé (voire agacé) ceux qui avaient dû patienter un quinquennat entier depuis l’éblouissant Swing Lo Magellan, son chef-d’œuvre de 2012, il apporte aujourd’hui un contrepoint plus apaisé et léger. Après l’album du repli suite à sa rupture avec la chanteuse Amber Coffman qui entraîna également l’implosion du groupe, le voilà qui se déploie à nouveau vers l’extérieur, et accueille pour célébrer la fin de sa convalescence sentimentale des amis aussi divers que Robin Pecknold de Fleet Foxes, Rostam (ex-Vampire Weekend), Haim, Syd ou encore Dear Nora.
Énergie de l’espoir
Alignant autant de featurings qu’un disque de hip-hop, Lamp It Prose n’en reste pas moins un retour au songwriting vibrant qui a fait la (modeste) gloire de son auteur, et moins un concassage de r’n’b mutant comme sur le précédent. “Je n’ai pas arrêté de composer ces dernières années, précise Longstreth. Les deux albums semblent en tous points opposés mais ils appartiennent à la même dynamique, au même élan. Sur celui-là j’ai retrouvé les guitares que j’avais complètement remisées sur le précédent, et cela me ramène à une écriture plus proche de celle de Swing Lo Magellan.”
Depuis quinze ans, Longstreth nous a habitué aux changements de latitudes, aux virages soudains, aux chocs thermiques et aux collaborations perchées, comme lorsque Dirty Projectors invita Björk le temps d’un mini-album, Mount Wittenberg Orca, qui filait pas mal le vertige. Son moral en yo-yo fait de lui une imprévisible girouette, qui affronte parfois les vents mauvais mais sait aussi embrasser sans retenue les caresses solaires d’une allégresse retrouvée. “Ce nouvel album est entièrement constitué d’ondes positives. Comment pourrait-il en être autrement dans un pays qui doit faire face au cauchemar de l’administration Trump ? Etait-il envisageable de rajouter du noir sur du noir ? C’est peut-être naïf comme démarche, mais j’avais vraiment envie cette fois d’adresser un message de communion, de tendresse, pas un truc belliqueux dans une époque qui l’est déjà bien suffisamment.”
Parmi les titres les plus rayonnants de Lamp Lit Prose, outre l’irrésistiblement dansant Break-Thru et ses guitares africaines, on trouve un bien nommé I Feel Energy où notre barbu peu véloce s’improvise roi du funk, se découvrant même d’improbables liens de parenté avec le Michael Jackson de Off the Wall. Cette énergie de l’espoir, Longstreth est aussi allé la puiser chez les autres, notamment en délocalisant sa petite entreprise à Los Angeles où il s’est frotté au Calder Quartet, une unité mobile de 16 cordes particulièrement à la parade sur l’hallucinant morceau final intitulé (I Wanna) Feel It All.
Sensations retrouvées
Les sensations retrouvées sont bien le sujet moteur de l’album, et pour les décupler il s’est à nouveau adjoint les services percutants d’une section de cuivres, The Brass Players of Los Angeles, qui faisait déjà des étincelles sur le précédent album, mais qui trouve matière ici à de véritables feux d’artifice. Les voix parfois époumonées des chœurs, les constructions vocales en strates savantes, ou la simple et ondoyante majesté du chant lead, constituent l’autre grand chantier de cet album aux polyphonies complexes mais qui sait aussi toucher droit au cœur. Là haut dans les Rocheuses, David n’entend pas (ou feint de ne pas entendre) certaines de nos questions. Est-il un enfant des voix radieuses de la pop britannique des années 1980, d’Andy Partridge (XTC), Paddy McAloon (Prefab Sprout) ou Green Gartside (Scritti Politti) ?
S’il ne le sait pas, on l’affirme à sa place, et c’est depuis Swing Lo Magellan ce qui distingue Dirty Projectors des autres formations du Brooklyn des années 2010 : la rencontre entre la modernité new-yorkaise et son syncrétisme endémique avec ce classicisme anglais du rouge aux joues et des épiphanies pop. On devine même que le coup sur la calebasse qu’il a reçu lors de sa rupture a généré chez lui une forme de remise à jour d’un scénario de vie dont ce disque lumineux est aujourd’hui le projecteur. Croire, ou du moins se persuader, qu’il existe des choses plus belles après celles que l’on quitte est une leçon que l’on ne manquera pas de méditer.