La journaliste et traductrice Nora Bouazzouni lance, mercredi 29 mai, le site Payetapige qui recense tous les tarifs auxquels les médias paient leurs journalistes freelance. L’occasion pour la créatrice d’alerter sur la précarisation du métier.
En juin dernier, BuzzFeed France annonçait sa fermeture imminente. Certains n’y verront qu’un média de plus qui ferme, mais pour Nora Bouazzouni, traductrice freelance pour le site c’est la goutte d’eau. « Pour une fois qu’un média paie bien ses journalistes, et ses traducteur·rices et qu’il produit du contenu intéressant, il ferme du jour au lendemain !« , se remémore-t-elle pour les Inrocks. Sur Twitter, elle s’interroge « Si les gens savaient combien sont payé·e·s certain·e·s pigistes pour des magazines qui revendiquent plusieurs milliers d’abonnements, est-ce que ça ne ternirait pas un peu leur image ? » Nora Bouazzouni décide alors de transformer sa colère en « coup de gueule productif« .
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Celle qui est aussi journaliste freelance (pigiste) lance un appel à témoignages : « Allez, je me sors les doigts, C’EST PARTI, écrit-t-elle sur Twitter. Freelances, envoyez les tarifs des médias avec lesquels vous collaborez, avec le max de détails.«
➡️ allez, je me sors les doigts, C'EST PARTI : freelances, envoyez les tarifs des médias avec lesquels vous collaborez à payetapige@gmail.com, avec le max de détails (au feuillet, à l'article, photos, net ou brut, en salaire, en facture. (tout ceci restera anonyme, of couse)
— nora bouazzouni (@norabz) June 7, 2018
Plus de 600 témoignages sur 200 médias
Onze mois plus tard, mercredi 29 mai, le site Paye ta pige est dévoilé. Du magazine Alternatives économiques, à la chaîne de télévision BFM, en passant par le pureplayer Mediapart mais aussi Les Inrockuptibles, les tarifs de plus de 200 médias sont disponibles gratuitement.
Paye ta pige est en ligne. https://t.co/j9De591cD9
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Trigger warning: j'invite les étudiant.e.s en journalisme à respirer un bon coup avant d'ouvrir le site et à le faire si possible avec un.e ami.e. #PayeTaPige pic.twitter.com/MI2FzOkHmh— Hélène Guinhut (@heleneguinhut) May 29, 2019
Pour Nora Bouazzouni, cette initiative répond à un réel besoin des journalistes, comme l’attestent les 600 témoignages qu’elle a reçus. « Ce n’est pas normal que nous, journalistes, soyons dans le flou quant aux prix que nous pouvons être payés. » Elle espère aussi que cette transparence totale pourra aider les journalistes indépendants à négocier les prix à la hausse.
“Les fantasmes autour du métier de journaliste sont nombreux”
Au-delà de l’utilité pour les journalistes, Nora Bouazzouni espère que cette visibilité permette aux lecteurs de connaître le « vrai prix de l’info« . « Ils ne se rendent pas toujours compte du travail que représente ce qu’ils lisent ou regardent, et de la réalité de ceux qui l’écrivent. Les fantasmes autour du métier de journaliste sont nombreux, notamment à cause de cette fameuse niche fiscale, déplore-t-elle aux Inrocks.
A l’exception de quelques journalistes vedettes aux salaires mirobolants, le journaliste est loin de gagner des millions. En 2017, le salaire médian d’un journaliste en CDI était de 3 591 euros, celui d’un journaliste pigiste de 2 000 euros et celui d’un journaliste en CDD de 1 954 euros – le salaire médian en France en 2017 était de 1797 euros.
Pour bien comprendre, un journaliste peut être salarié en CDD ou en CDI dans un média, ou être indépendant (pigiste). Dans ce cas, il sera payé à l’article en pige (qui est aussi un salaire). S’il y a un minimum convenu avec les syndicats pour la pige sur les médias écrits, il ne s’applique pas au web. Le site Paye ta pige recense donc les tarifs de toutes ces piges – papier, web, audiovisuel, radio, traduction.
Il y a “urgence à réagir”
A cela s’ajoute le contexte de crise générale dans lequel s’inscrit la presse. Les exemples de médias qui ferment, par manque de moyens, se succèdent. Avant BuzzFeed France, Mashable a fermé ses portes en 2016 ; on compte aussi les tentatives avortées d’Ebdo et Vraiment en 2018, ou encore Explicite en 2019. Parmi ceux qui ne ferment pas, nombre d’entre eux réduisent drastiquement leurs effectifs et budgets. Aujourd’hui encore, Le Figaro a annoncé vouloir se séparer de 30 à 40 journalistes pour réaliser des économies.
Pour Nora Bouazzouni, il y a « urgence à réagir » pour ce métier mal-aimé qui se précarise à force de piges mal payées et de statuts parfois contournés. Elle alerte sur les conséquences : « Si les journalistes sont précaires, c’est l’info qui est précaire« .
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