[Spécial vélo] Depuis six ans, Camille chine des vélos anciens qu’il retape et remet en vente. Si en France ils sont encore peu à s’y intéresser, l’attrait pour les vélos vintage est beaucoup plus important en Allemagne ou en Italie. D’autant que leur valeur peut atteindre plusieurs milliers d’euros.
C’est à quelques coups de pédales de la place des Quinconces, à Bordeaux, que se situe le garage de Camille. A l’abri, dans une rue tranquille du centre-nord de la ville, cet espace qu’il loue depuis un an lui sert à conserver quelques-uns de ses plus beaux trésors. Une véritable caverne d’Ali Baba aux yeux du trentenaire, journaliste de profession. A l’intérieur, un immense panneau de signalisation A21 – celui indiquant la “proximité de débouché de cyclistes”, ça ne s’invente pas – annonce la couleur.
L’endroit sent bon la bidouille, la bricole et la burette d’huile. Autour de l’établi jonché d’outils, des roues, des selles en cuir et de vieux phares à bougies s’amoncellent. Dans le fond, une dizaine de vélos sont soigneusement stockés. L’écurie de Camille forme un ensemble hétéroclite composé de montures pour certaines couvertes de rouille, parfois sans selle ou pneus, quand d’autres pourraient sans problème être exposées dans un musée.
Le déclencheur : la mort de son grand-père
D’un coup, notre œil s’arrête. Camille embraie : “C’est une Hirondelle, un vélo de 1928 à système de rétro-directe de chez Manufrance. Lorsque tu pédales à l’envers, tu continues d’avancer mais avec moins de résistance… Ce qui était pratique dans les montées”, nous explique-t-il, démonstration à l’appui. “Tu peux aussi remarquer ce vieux vélo de gendarme qui date de 1910, enchaîne-t-il. Il est facilement reconnaissable à la petite pochette attachée au cadre qui servait à ranger une arme à feu.”
Depuis six ans, Camille collectionne les vélos anciens des années 1920-1930. Cette marotte est née après la mort de son grand-père : “On s’est alors résolu à vider le garage de la maison familiale.” Au milieu des vieilleries amassées au fil des ans, deux vélos, appartenant à sa grand-mère et à son grand-père. “C’était dommage de les jeter. J’ai décidé de les retaper alors que je n’y connaissais rien en mécanique, plaisante-t-il. Mais il n’y a pas de moteur sur un vélo, c’est avant tout une question de logique.”
“Les bécanes d’aujourd’hui, elles durent quoi ? Cinq, dix ans maximum ? Alors que ces vélos, qui ont parfois plus de 120 ans, sont toujours sur le marché et le resteront”
Au cours de son apprentissage, il a la chance de se caler dans la roue du Bernard Hinault de la retape de vélos anciens, Patrick Joret. “ça fait quarante ans qu’il vit du vélo, il expose régulièrement.” L’homme, originaire du Sud-Ouest, est connu pour avoir été l’un des premiers à comprendre que le marché du vélo ancien allait prendre de la valeur. “Les bécanes d’aujourd’hui, elles durent quoi ? Cinq, dix ans maximum ?, défend Camille, en essuyant une tache de graisse de son doigt. Alors que ces vélos, qui ont parfois plus de 120 ans, sont toujours sur le marché et le resteront.”
En France, les passionnés de vélos anciens forment une petite communauté, comparée à leurs voisins allemands, italiens ou tchèques. Ils se retrouvent sur Tonton Vélo, un site qui héberge le plus gros forum de la communauté. Quelque 9 000 mordus de pignons fixes et de fourches à pivot s’y échangent photos et conseils pour aider à la restauration à l’état d’origine ou au minimum à la remise en état dans l’esprit de l’époque. Pour cela, la section “Catalogues” est la plus importante : “C’est ce qui nous permet de dater les vélos et d’avoir un modèle précis pour les restaurer. Aucun de ces catalogues n’est encore édité aujourd’hui, nous indique-t-il. La mise en ligne gratuitement par leurs propriétaires n’a donc pas de prix.”
Jusqu’à 10 000 euros pour une bécane du XIXe siècle
A l’inverse, certains deux-roues restaurés peuvent atteindre des sommes astronomiques, d’autant qu’il n’existe pas de cote officielle comme pour les véhicules motorisés. Ainsi, une bécane datant du XIXe siècle, possédant un système de frein ou de vitesse particulier et ayant subi le moins de modifications possible, avoisine les 10 000 euros.
Cette donnée explique en partie pourquoi Camille passe pas mal de son temps libre à chiner les perles rares. “Je suis beaucoup sur Le Bon Coin, où tout se joue à la minute”, raconte-t-il en nous exhibant un sublime Peugeot de course datant de 1902, où l’on peut encore apercevoir le logo de l’usine de Valentigney dans un état exceptionnel.
“Tout est à vendre chez moi, mais je préconise l’échange de machines. Une fois que j’ai eu un vélo, je n’y suis pas spécialement attaché”
Sur la plate-forme de revente, tous les coups sont permis, comme en témoigne l’anecdote qu’il nous raconte : “Je vois cette annonce pour une Hirondelle à rétro-directe. Le propriétaire vit en Charente, à deux heures de voiture. Ni une ni deux, je me mets en route, raconte-t-il en mimant un homme au volant. Arrivé sur place, le propriétaire m’annonce qu’il a reçu des offres supérieures entretemps. Alors, j’ai sorti une photo du vélo de mon grand-père, pour tenter de jouer la carte de l’émotion. Ce n’était pas du tout le même modèle mais le type a craqué et je suis reparti avec son vélo”, conclut-il en se marrant.
Contrairement à la vedette du milieu, le Tchèque Robert Sterba, qui possède un site internet et qui est considéré comme le plus gros collectionneur au monde, Camille ne gagne pas beaucoup d’argent avec la revente de ses vélos (une cinquantaine depuis trois ans). Il se défend d’ailleurs de toute motivation pécuniaire : “ça me permet d’investir dans de nouveaux vélos. Tout est à vendre chez moi, mais je préconise l’échange de machines. Une fois que j’ai eu un vélo, je n’y suis pas spécialement attaché.” Une exception à sa règle, le vélo de son grand-père : “Avec le temps et l’expérience, j’ai réussi à le dater à 1928. Or, mon grand-père est né en 1927. Ce n’était donc pas son vélo… mais celui de son père, mon arrière-grand-père !”