Après son Aventura brésilienne de 2014, l’indomptable Sébastien Tellier se laisse domestiquer sur un sixième album où l’électronique reprend le dessus sur l’acoustique. De la pop digitalisée par un songwriter syncrétique, et toujours amoureux.
Six ans après L’Aventura, mémorable introspection sous le soleil du Brésil et sur un air de carioca arrangé par le maître Arthur Verocai, Sébastien Tellier n’aura jamais laissé autant de temps entre deux enregistrements. Pourtant, le quadragénaire barbu n’a guère procrastiné depuis son disque brésilien, entre les bandes originales du film Marie et les naufragés (2016) de Sébastien Betbeder, de la série A Girl Is a Gun (2017) de Mathieu Tonetti (son alter ego historique, qui cosignait plusieurs titres de L’Incroyable Vérité).
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Suivront l’écriture d’un album pour Dita Von Teese, la célèbre strip-teaseuse américaine, sans oublier la formation d’un groupe récréatif cosmopolite, Mind Gamers, avec son claviériste américain John Kirby (Solange, Blood Orange) et le batteur australien Daniel Stricker (Midnight Juggernauts). Quel thème universel allait donc inspirer l’artiste caméléonesque après la famille, la politique, le sexe, la religion et l’enfance ?
Des voyages immobiles
Des premiers indices apparaissent sur la pochette de Domesticated, où Sébastien Tellier, en chemise graphique aux couleurs des touches de piano, est cerné par trois gants Mapa multicolores. “Je voulais transformer le quotidien en exceptionnel, explique-t-il. Avant de poursuivre, à la fois sérieux et lunaire. Qui échappe aux tâches domestiques, hormis les dictateurs ? Elles font partie de la condition humaine qu’on partage tous.” Le voilà donc métamorphosé en bon père de famille, entre tâches domestiques et corvées ménagères.
Dans le premier single envoyé en éclaireur, A Ballet, on découvrait Sébastien Tellier, réduit à un chanteur miniature, contempler le ballet de la vie quotidienne depuis son appartement. Jamais en manque d’une explication illuminée ou réellement sincère, il racontait ainsi le plus sérieusement du monde : “C’est un voyage aux confins de mon intimité. Comme depuis toujours, je tente de fuir mes responsabilités. Et finalement je m’interroge : la clé du bonheur est peut-être là, cachée sous un panier de linge sale.”
Musicalement, l’ouverture de Domesticated en résume la quintessence : une plage électronique héritée de Sexuality (2008), revue et corrigée façon pop digitalisée par le mixage démoniaque de Nk.F (l’homme de l’ombre de PNL). Comme à l’accoutumée, Sébastien Tellier imprime le son de chaque album par le choix d’un mixeur idoine (Quentin Dupieux, Philippe Zdar) ou d’un producteur spécifique (Guy-Manuel de Homem-Christo, Mr. Flash).
Une vie amoureuse
Le morceau suivant, Stuck in a Summer Love, est magnifié par une boucle entêtante, sans doute la plus addictive du disque. Les notes de piano et de saxophone évaporé nous rappellent l’univers familier de Sébastien Tellier, dont la voix est souvent autotunée.
Aux antipodes acoustiques de L’Aventura, Domesticated s’affirme encore une fois comme un nouveau virage artistique, qui trouve autant ses racines dans Sexuality que dans le super-groupe Mind Gamers, entremêlant synthpop moderne et r’n’b alambiqué, produisant ici brillamment le single Domestic Tasks. Sur le funkysant Venezia, enregistré au Studio Venezia du plasticien Xavier Veilhan pendant la Biennale de Venise 2017, le chanteur a enrôlé pas moins de trois producteurs : le multi-instrumentiste méconnu Corentin « Nit » Kerdraon, le jeune Suisse Varnish La Piscine et l’immensément regretté Philippe Zdar, qu’on entend aux chœurs.
En sus de sa vie domestique, Sébastien Tellier met en scène, comme dans Sexuality (ce qui en fait définitivement le trait d’union), sa vie amoureuse avec Amandine de la Richardière. Si Domesticated déborde d’occurrences du mot “love”, il touche son point d’orgue dans Oui, magnifique ballade inspirée par leur propre mariage : “Des filles des garçons / Des sensations / Des envies / Ma first lady /Je m’avance vers toi / Et sous les cloches on se dit oui.” Depuis Sexuality en 2008, Sébastien Tellier n’aura jamais rien chanté d’autre que sa Dolce Vita.
Domesticated (Record Makers)
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