Chercheur au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), spécialiste des comportements électoraux à l’échelle européenne, Bruno Cautrès livre son analyse des résultats de l’élection européenne.
Le 26 mai, le Rassemblement national est arrivé pour la deuxième fois en tête d’une élection européenne, avec 23,31 % des voix. Il continue donc à gagner des électeurs depuis 2014. Le parti majoritaire – La République en marche (LREM) – le talonne avec 22,41 % des voix, tandis qu’Europe Ecologie – Les Verts (EELV) se hisse de manière inespérée à la troisième place avec 13,47 %. En creux, cette élection souligne la bérézina de la droite – LR n’obtient que 8,5 % des suffrages -, le revers de la France insoumise (6,3 %), et un taux de participation qui est toujours faible (50,12 %), même s’il est en hausse. Comment analyser ces résultats, qui semblent confirmer l’installation d’un duel entre RN et LREM dans le paysage politique français ? Nous avons interrogé le chercheur au CNRS Bruno Cautrès, spécialiste des comportements électoraux à l’échelle européenne.
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Quel premier enseignement tirez-vous des résultats de l’élection européenne ?
Bruno Cautrès – Le premier enseignement, c’est que la recomposition politique qui s’est manifestée aux élections présidentielle et législatives de 2017 est toujours en cours. L’ordre d’arrivée des deux premières listes montre que deux forces politiques s’opposent frontalement aujourd’hui : le Rassemblement national (RN) et La République en marche (LREM). Autour, il y a un sentiment de très grand émiettement, de fragmentation, comme si les structures préalables à 2017 de la politique française avaient disparu. Ce serait cependant aller un peu vite en besogne que de dire que c’est le cas. L’élection européenne est à la proportionnelle et à un seul tour, elle n’est donc pas vraiment comparable à la présidentielle. Mais le chantier de la reconstruction de la politique en France se poursuit.
Le taux de participation (50,12 %) est en nette hausse par rapport aux précédentes échéances. Comment l’interprétez-vous ?
C’est le deuxième enseignement de cette élection, et il concerne de nombreux pays européens. A partir de 2009 et 2014 les taux de participation étaient en chute dans l’Europe post-crise financière de 2008. Beaucoup d’Européens considéraient que l’UE avait été incapable d’anticiper celle-ci, ils ont vu les systèmes bancaires s’effondrer, la Grèce être quasiment en faillite… Progressivement cependant, des éléments de prise en compte du niveau européen dans nos vies politiques s’affirment. Mais il faut nuancer : le taux de participation reste à 50 % en moyenne européenne, ce qui n’est pas extraordinaire. En France on franchit tout juste la barre de 50 %. Une partie des électeurs continue à regarder l’Europe comme un objet mystérieux, et les élections comme quelque chose de trop compliqué. Deux thèmes, dans de très nombreux pays européens dont la France, font exception : celui des frontières et des migrations, et celui du climat.
La hausse du taux de participation a donc profité au RN et à EELV ?
C’est assez vraisemblable, mais il faudra le vérifier. A midi le 26 mai, les départements où Marine Le Pen avait obtenu de très bons scores en 2017 affichaient en tout cas un fort taux de participation. Une partie de la mobilisation vient aussi, sans doute, comme un prolongement de l’expression de colère populaire et sociale qu’on a observée à travers la crise des Gilets jaunes. Les électeurs qui soutenaient le plus ces questions ont sans aucun doute voté beaucoup plus en faveur du RN.
S’il y a un effet Gilets jaunes, c’est donc celui-là ? On a l’impression que malgré une crise qui dure depuis six mois, rien ne change dans la configuration électorale…
C’est vrai que ça ne change pas énormément la donne. L’opinion publique a compris et soutenu jusqu’à un certain moment les revendications des Gilets jaunes – le besoin de justice sociale notamment –, mais n’a jamais vu dans les Gilets jaunes une dimension électorale et politique, ni de personnalités à qui on pouvait confier des responsabilités politiques.
Pour la deuxième fois le RN est en tête de ce scrutin. Son électorat se mobilise-t-il plus que les autres ?
C’est un électorat qui depuis quelques années est très fidèle à son camp, et très mobilisé. Les enquêtes d’opinion pré-électorales montraient qu’il était dans les starting-blocks, et que sa certitude de choix de vote était la plus affirmée. Sur les questions européennes, de souveraineté, de frontière, d’identité, cette formation politique est sur son terrain de jeu préféré. Ce n’est donc pas étonnant de la voir arriver à mobiliser son cœur de cible sur une élection européenne.
La percée d’EELV, arrivé troisième avec 13,47 % des voix, est-elle liée à l’enjeu climatique ?
Oui, et s’il y a un thème sur lequel les citoyens disent qu’il faut agir au niveau européen, c’est bien celui du réchauffement climatique et de l’environnement. Ce sont des thèmes transnationaux par excellence. Pour autant ce n’est pas le meilleur score d’EELV, qui avait franchi la barre des 16 % en 2009, et talonnait de quelques voix les socialistes.
.@yjadot, tête de liste #EELV, qui obtient la 3e place aux élections #Européennes2019 ( 13,47%) : "Les instituts de #sondages se sont plantés très largement tout au long de cette campagne" #le79inter pic.twitter.com/UEgSrofHd0
— France Inter (@franceinter) May 27, 2019
Comment expliquez-vous la contre-performance de LFI, qui n’obtient que 6,5 % des voix ?
Ils ont eu beaucoup de mal à clarifier leur position sur la sortie des traités européens. De plus, l’idée d’un référendum anti-Macron n’a pas marché. Paradoxalement ils n’ont pas assez parlé de l’Europe qu’ils voulaient, et de comment arriver à leurs fins. LFI a du mal à réactiver le clivage idéologique qui s’était exprimé au moment du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, autour de l’idée qu’une autre Europe est possible. Des éléments de cet argumentaire d’une Europe plus sociale et écologiste sont présents dans de très nombreuses familles politiques. LFI a eu du mal à identifier plus clairement auprès de l’électeur de gauche ce qui la rendait spécifique.
C'est l'heure des combats et des caractères.
Réaction à l'annonce des résultats des élections européennes de 2019. #ElectionsEuropeenne2019 pic.twitter.com/ywTq7RBPWR
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) May 26, 2019
La gauche radicale en général est en recul. En Espagne Podemos obtient 11 % des voix, et en Allemagne Die Linke en obtient 5,5 %… Leur électorat se mobilise-t-il peu pour les Européennes ?
Il est arrivé que cet électorat se mobilise aux élections européennes. Mais ce recul s’explique par le fait que la crise de la social-démocratie européenne n’est pas achevée, même si elle réalise quelques succès en Italie ou en Allemagne. On ne peut pas dire que cette famille reprend du poil de la bête, ils perdent une quarantaine de députés européens.
Quels effets sur la gauche ce scrutin va-t-il avoir au niveau national ?
Tout le monde va essayer de récupérer la force qui s’est exprimée en faveur des écologistes. Les déclarations de responsables de LREM comme Marlène Schiappa vont dans ce sens de tendre une main dans la perspective des municipales de 2020. Glucksmann, Brossat et Aubry ont tous indiqué que la recomposition de la gauche ne pouvait se faire qu’autour de l’interaction entre le social et l’environnement. Il y aura dans les mois qui arrivent une bataille d’interprétation très importante sur la place de l’écologie politique en France, alors même que les électeurs d’EELV étaient plutôt situés à gauche. Et sur ce que signifie, pour la gauche, la droite et le centre, de verdir leur agenda.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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