Pour sa programmation estivale, le musée des Confluences de Lyon propose un voyage dans un Japon rituel d’hier et d’aujourd’hui, composé autour de la spiritualité. « Yokainoshima, esprits du Japon » met en regard les œuvres de la collection du musée et les photographies contemporaines de Charles Fréger, en une belle réflexion sur une sacralité qui nous est étrangère.
L’exposition « Yokainoshima, esprits du Japon » est construite comme un dialogue, une rencontre entre les photographies de la série éponyme de Charles Fréger et les collections nippones du musée des Confluences, pour beaucoup issues de la collection d’Emile Guimet et du dépôt du musée de l’Oeuvre de la propagation de la foi. Autant de regards européens posés sur un Japon ancestral et actuel, un Japon rituel dont la sacralité polymorphe nous fascine autant qu’elle nous échappe.
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L’exposition propose un parcours en trois temps entre invocation, incarnation et interprétation. Trois manières d’aborder les croyances japonaises à travers leurs pratiques rituelles, sans prétendre à l’exhaustivité qu’une culture millénaire et syncrétique rend de toutes façons impossible. Pour la première fois, les tirages en couleurs de Charles Fréger s’associent aux costumes, objets de dévotion et représentations diverses d’un univers religieux et magique. S’en dégage une belle complémentarité qui met en perspective les façons de représenter ce qui relève a priori de l’irreprésentable – les croyances – et permet de questionner le regard que nous portons sur la spiritualité japonaise.
Une spiritualité donnée à (perce)voir
Car il s’agit bien de donner à voir ce qui relève de ce qui se pense, se vit, se sent. Et c’est par ces « choses que l’on sent » que Charles Fréger construit ses mises en scène photographiques autour des paysages, de la nature et de ses sujets, mais surtout autour de leur costume, dans la façon dont ils le vivent. Sa série Yokainoshima – « l’île aux créatures surnaturelles », terme inventé par le photographe – est entamée en janvier 2013 puis construite au long cours, à travers tout l’archipel et en toutes saisons. Au terme d’un véritable protocole, Charles Fréger immortalise, à grands renforts d’éclairage additionnel, les habitants costumés des campagnes et des villes nippones, dans une esthétique qui tient autant d’un hyper réalisme que de la théâtralité. Photographie quasi performée, ces clichés posés, millimétrés, s’inscrivent en contre-pied d’une pratique par nature fugace, celle de la spiritualité.
Ce parti pris permet justement au photographe de saisir un peu de cette spiritualité insaisissable, en mobilisant nos perceptions. Pour lui, la représentation de ces mascarades (auxquelles il s’intéressait déjà dans l’Europe hivernale de ses Wilder Mann) ne « peut pas être de l’ordre de la croyance puisque nous y sommes étrangers« . La perception, en revanche, par le biais des couleurs, du géométrisme de la composition, des menus détails dont regorgent les paysages et les costumes, assure bien davantage la proximité à ces rites préservés. Issus d’une mythologie dense et touffue, ils composent une sacralité que les objets de la collection du musée des Confluences nous amènent à découvrir et à explorer. En dialogue, photographies et collections du musée se répondent et s’incarnent, tissant des liens entre passé et présent et nourrissant notre regard (occidental) sur des abstractions jusque là plus imaginaires que concrètes.
Une spiritualité donnée à découvrir
Perçue par le biais du regard, sur les photographies et les objets des collections du musée des Confluences, cette spiritualité est aussi découverte. Issue de syncrétismes, entre le shintô et le bouddhisme notamment, elle est complexe à appréhender tant elle recèle d’influences multiples. S’y croisent dieux, créatures magiques, animaux fantastiques et esprits. Les costumes, les objets et les représentations diverses de cet univers (masques nô, meubles funéraires, rouleaux calligraphiés) incitent à l’émerveillement, qui se rejoue en écho dans les photographies de Charles Fréger. L’exposition permet aussi d’entrevoir la manière dont les Japonais, hier comme aujourd’hui, vivent et mettent en scène ces croyances. Lors des cérémonies sacrées, ils incarnent et interprètent divinités et créatures magiques, qui sont autant d’influences ensuite relayées dans la culture populaire : de l’animation japonaise au cosplay.
Ces translations, dans le temps et l’espace, nous permettent d’interroger notre propre regard porté sur ce Japon sacré. Nous appréhendons cette spiritualité par le biais de notre vision culturelle, avec sa part de fantasme et d’exotisme – le fameux japonisme. Pourtant, les ponts dressés entre la collection et la série photographique nous incitent à porter un regard vierge de croyances sur ces religions et rites. Il s’agit avant tout de découvrir ces « communautés invisibles » et de se laisser fasciner par leur monde. Subtile et délicate, une invitation au voyage et à l’émerveillement.
« Yokainoshima, esprits du Japon » est à voir au musée des Confluences à Lyon, jusqu’au 25 août 2019
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