Vingt-trois ans que You Must Create, aka YMC, impose son vestiaire simple
et imprégné de street culture, mais toujours aussi pertinent.
Dans une rue du quartier d’Angel, dans le nord-Est de Londres, un homme à la longue chevelure argentée fouille dans les bacs poussiéreux d’un magasins de disques. Le but de sa quête : des pépites de disco “ringarde” des années 1970 et 80, ou alors des artistes d’Amérique du Sud, son obsession du moment.
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“Je ne me suis pas lancé dans la mode par amour pour la mode”, explique Fraser Moss, fondateur de la marque de prêt-à-porter masculin You Must Create, autour d’un café après sa recherche peu fructueuse (car les disquaires de Londres ne sont “plus ce qu’ils étaient”). “Pour moi, tout est toujours parti de la musique.”
Fraser Moss est un sacré personnage. Originaire du pays de Galles, il laisse échapper au détour d’une phrase des bribes de son accent d’origine, gommé par ses années passées à Londres, où il est arrivé en 1987 en suivant sa copine de l’époque.
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Une interview dans un pub de Soho
Il vit désormais dans une maison à Brighton avec sa femme et ses deux enfants, mais passe le plus clair de son temps dans la cabane qu’il s’est construite au fond du jardin, à écouter des disques, se perdre sur internet et imaginer les collections saisonnières de YMC, la marque qu’il a montée en 1995.
S’il se définit volontiers comme un “old git” (“vieux con” en français) de 51 ans, sa fascination pour la culture street le pousse à suivre de près tout mouvement qui se rapprocherait de l’âge d’or de la youth culture au Royaume-Uni, période qu’il a intensément vécue : raves, concerts, squats à Elephant and Castle, drogues et fêtes en tout genre. L’interview se finit dans un pub de Soho, où les réminiscences se pressent autour d’une (voire plusieurs) pinte(s) de bière.
L’envie de faire les choses différemment est peut-être la recette du succès. Cela fait vingt-trois ans que YMC roule tranquillement sa bosse, proposant chaque saison un vestiaire simple, portable, dans des matières de qualité, au sein duquel on décèle la personnalité excentrique de son fondateur.
“J’essaie de ne pas suivre ce qui se passe dans la scène mode, explique-t-il en haussant les épaules. J’ai toujours fonctionné en réagissant aux choses : si vous êtes en mouvement constant, les gens seront toujours intéressés par ce que vous faites.”
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Un bâtiment “craignos”, entre autres fief d’indépendantistes irlandais
Cette rebel attitude est cultivée depuis le plus jeune âge. Trop jeune pour avoir été punk, il est tout de même sensible à l’univers de contre-culture qui l’entoure. Au pays de Galles, impossible de trouver les magazines phare de l’époque : i-D, Dazed & Confused ou feu The Face.
Qu’importe, il les commande et les fait livrer dans sa chambre d’ado (il lui reste encore les premiers numéros, qu’il conserve religieusement chez lui). En 1980, il devient gothique. En 1981, il se passionne pour le post-punk et les “trucs électroniques”.
Quelques années plus tard, c’est le rare groove. “Tout d’un coup, je m’habillais comme si on était en 1973, avec des pattes d’eph et des chaussures compensées”, rit Fraser en se souvenant de sa dégaine atypique, fruit d’années passées à écumer les boutiques vintage, qui tranchait avec son environnement de l’époque.
A son arrivée à Londres, il squattait un bâtiment “craignos”, entre autres fief d’indépendantistes irlandais, dans une cité du sud de la Tamise. “Avec ma coupe au bol, mon haut-de-forme et mes jeans imprimés étoile, je ne sais pas comment j’ai survécu !”
« Le punk a peut-être commencé aux Etats-Unis, mais il n’avait aucune image. »
Un temps collaborateur de Vivienne Westwood
L’amour pour le vêtement découle donc directement de ses crushes musicaux, un comportement que Fraser estime être une particularité britannique. “En Angleterre, à cette époque, les groupes de musique avaient leur uniforme, raconte-t-il. Le punk a peut-être commencé aux Etats-Unis mais il n’avait aucune image : les groupes comme Television ou les Ramones ressemblaient un peu à tout le monde.”
“Quand le punk est arrivé à Londres, il avait son vestiaire : Vivienne Westwood, les inspirations bondage. Quand le two-tone a débarqué, pareil : Madness, The Specials… ils avaient tous un look identifiable. Je crois qu’avant tout les Anglais aiment bien se déguiser un peu.”
Le jeune Fraser se passionne pour le workwear vintage et les tenues militaires, qu’il débusque dans des boutiques de seconde main à Londres ou dans les kiloshops parisiens. Il obtient une place à l’université pour étudier la mode mais préfère poursuivre son job d’été dans un entrepôt de vêtements de sport car “pour la première fois de ma vie, je gagnais de l’argent”. Il connaît de loin Joe Corré, le fils de Vivienne Westwood,et le harcèle pour qu’il lui file un poste à la boutique de sa mère.
Le harcèlement finit par payer : Fraser est nommé manager de World’s End, la boutique sur King’s Road, puis rejoint les bureaux de la marque à Camden, où il est impliqué dans le processus de création. “Vivienne est une vraie excentrique, mais reste à la fois très terre à terre et très facile d’accès.” L’aventure prend fin en 1991 : au retour d’une soirée arrosée, Fraser s’endort sur son bureau de la boutique londonienne… et se fait voler un énorme stock de vêtements. Il est immédiatement remercié.
YMC propose une vraie attitude qui plaît aux magazines de mode
Qu’à cela ne tienne : le contact avec le vêtement est pris. Fraser reste tout de même réfractaire au concept de mode pur : “La mode m’ennuyait ; moi, ce que j’aimais, c’était la scène grunge de Seattle, ce côté street et focalisé sur le T-shirt, aux antipodes de la mode de luxe élitiste.” Il lance sa première marque, Professor Head, où il rencontre Jimmy Collins, son futur associé chez YMC.
“A l’époque, tout le monde était obsédé soit par le branding à foison des marques de luxe – D&G, Ralph Lauren –, soit focalisé sur la culture de rue, via le hip-hop et le skate, se souvient-il. Il n’y avait pas de marque de moyenne gamme qui créait simplement des vêtements basiques et sans logo, une marque minimale.”
Les deux associés quittent Professor Head pour monter You Must Create, injonction à la créativité tirée d’une citation de l’industriel Raymond Lowry. La première collection, en 1996, est très basique : “Un peu paysan ! Le tissu était cousu à l’envers, une manche plus longue que l’autre…” Le résultat débouche sur une vraie attitude, qui plaît aux magazines de mode comme aux acheteurs : en plein essor britpop, YMC s’exporte, plus particulièrement au Japon, tombé fan de son esthétique british.
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Vingt-cinq points de vente à travers le monde aujourd’hui
La marque commence alors à défiler à la fashion week de Londres, où elle crée des happenings musicaux d’anthologie. Une saison, le défilé est accompagné d’un faux groupe de “rock psychédélique moyen-oriental” composé d’anciens membres de TOY et S.C.U.M.
“Je fais partie de la première génération de jeunes Britanniques qui ont pu aller à des concerts, des raves, prendre des drogues, faire la fête, estime Fraser. Et on refuse un peu de vieillir : en concert de nos jours, tu croises toujours des vieux de 60 ans au fond de la salle.”
YMC fait désormais ses présentations lors de la fashion week parisienne, compte vingt-cinq points de vente à travers le monde et reste tout aussi pertinente que lors de sa création : “L’idée de se rebeller contre le système plaît à tous, quels que soient l’âge et la génération !, s’exclame Fraser. Tout le monde aime un vrai rebelle.”
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