Dans les années 1990, Mariah Carey, Whitney Houston et Céline Dion rivalisaient de vocalises pour monter au pinacle de la pop. Le docu Divas des 90’s retrace cette compète entre strass et paillettes.
Voici la double preuve qu’un sujet n’est jamais tout à fait tari, et qu’“il n’y a pas de sujets futiles, seulement des manières futiles d’aborder les choses”, comme le disait si bien le sociologue Edgar Morin. De prime abord, la perspective d’un documentaire consacré aux “divas des 90’s”, soit au trio Mariah Carey, Whitney Houston et Céline Dion, ne nous enchantait guère – trop vu, trop commenté.
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Mais la construction maligne de ces 52 minutes pas inside (mais presque), signées de l’auteure et réalisatrice Sophie Peyrard (remarquée pour le documentaire La Révolution du rétro), nous a tout simplement prouvé le contraire. Loin de tourner son sujet en dérision, Divas des 90s le réhabilite en s’ouvrant – non pas sur sa dimension pop culturelle – mais sur l’habileté vocale de ces trois chanteuses “à voix” qui formèrent ce que l’on appelait dans un élan christique “la trinité vocale”.
Les divas sont des déesses
Et voici posé, d’entrée de jeu, le terme de “diva” hérité de l’italien “déesse” qui hante l’ensemble du film. Car qu’est-ce qu’une diva ? Une “cantatrice célèbre par son talent, sa réputation”, nous dit le Larousse. C’est donc dans une comparaison surprenante mais passionnante entre ces trois chanteuses pop et celles de l’opéra que Divas des 90’s s’engage, citant la cantatrice Giuditta Pasta, peut-être la toute première diva du XIXe siècle, mais aussi l’inénarrable Maria Callas dont l’Ave Maria continue de faire trembler le XXIe.
Eh oui, Mariah Carey, Céline Dion, Whitney Houston sont avant tout des voix. “Le temps s’arrête parce qu’il y a eu ce son à ce moment-là qui est apparu, qui est sorti du corps de quelqu’un”, s’exclame Camélia Jordana – qui a dernièrement sorti le passionnant Lost.
Entre voix de tête et voix de poitrine
En 1995, Céline Dion réussit un exploit en tenant une note durant huit secondes sur All By Myself. Le titre devient cultissime. Egalement interrogée, Julie Fuchs, soprano, explique les limites de la comparaison : personne n’est “meilleure qu’une autre”, les chanteuses d’opéra chantent tout bonnement en voix de tête quand les chanteuses pop ou de variétés chantent en voix de poitrine.
Ainsi, si Julie Fuchs tient sans problème le fa de huit secondes de All By Myself “une octave plus haute que Céline Dion”, elle n’y parvient pas en voix de poitrine. Mariah Carey mise, elle, sur une “voix de sifflet”, “qui n’est quasiment plus une voix mais un souffle qui traverse les cordes”, dixit Julie Fuchs.
“C’est exceptionnel que ça sorte joliment”, abonde la musicologue Catherine Rudent. A entendre ce cri entre la souris et le dauphin, oui, effectivement. L’autre spécificité de ces trois divas tient à leur usage récurrent du mélisme, soit une technique consistant à chanter plusieurs notes dans une syllabe, qui “a toujours eu beaucoup de succès auprès du public car c’est une démonstration de la virtuosité de la chanteuse, à étendre les notes, à faire des figures tout autour avant de reprendre la mélodie”, analyse le critique musical américain Carl Wilson.
Chanter l’amour et ses ruptures en strass et paillettes
Mais à l’ère pop moderne, la qualité quasi héroïque de leurs chants a besoin de se refléter dans une image, d’avoir un pendant visuel et stylistique.
Les divas s’habilleront de strass et de paillettes, multiplieront les ornementations afin de s’élever au rang de déesses, tout en continuant de chanter l’amour et ses ruptures car “tout le monde se sent concerné par une chanson d’amour”, déclare Mariah Carey. Que demande la pop sinon de rassembler le plus grand nombre de fidèles dans une même chapelle, d’obtenir le plébiscite des béotiens comme des experts ?
Insupportables pour certains, magiques pour beaucoup
C’est dans cette tension entre le piédestal et la terre ferme qu’excellent ces trois divas, s’attachant des fans à la vie à la mort. La preuve, sur internet, certains se livrent à des concours pour savoir qui est et restera la plus forte des trois.
Et pas question ici de les juger sur leur physique ou leur personnalité, comme l’ont fait nombre de tabloïds par le passé, avides d’alimenter les accusations de caprice et de méchanceté qui leur étaient balancées (alors que personne n’a jamais reproché à la diva Mick Jagger sa “poigne”).
Ce sont leurs voix, insupportables pour certains, magiques pour beaucoup, qui sont jugées. Et puis, Diva des 90’s a ce grand mérite de pousser à chanter : impossible de le finir sans essayer, une fois au moins, de tenir les huit secondes du fa de All By Myself.
Divas des 90’s de Sophie Peyrard, sur Arte le 31 mai à 22h35
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