Pour sa première mise en scène d’un classique, Chloé Dabert questionne le monde des hommes avec Racine pour dédier à la gloire des femmes cette irradiante « Iphigénie ».
Au soir de la première d’Iphigénie qu’on découvre sous les étoiles du Cloître des carmes, le mistral, qui n’arrête pas de souffler depuis le début de cette 72e édition du festival d’Avignon, s’est fait discret. La moindre des choses s’agissant d’une pièce où c’est l’absence de vent qui enclenche la mécanique du tragique, quand un oracle prescrit au roi Agamemnon que seul le sacrifice de sa fille Iphigénie pourra mettre un terme à la bouderie éolienne et permettre à la flotte grecque en panne depuis trois mois de se lancer dans la guerre contre Troie.
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Tendu des bâches ajourées des camouflages militaires, le cloître prend les allures d’un camp retranché dominé par la haute silhouette d’un mirador. Construit avec les éléments préfabriqués des échafaudages de chantier, cet assemblage ne doit rien au hasard. Echo industriel s’accordant à la métrique des alexandrins raciniens, la construction déploie vers les cieux des plateformes et des escaliers comme autant d’espaces de représentation graduant les tentatives de médiation entre les hommes et les dieux.
En faisant de l’incarnation le maitre mot de sa quête dramaturgique de Racine, Chloé Dabert entraîne ses comédiens sur les chemins d’une transparence dans l’acting qui ne puise qu’à l’intime. Rendre compte de l’épopée de ces consciences en crise passe alors par des vertiges d’émotions où les corps placés dos au mur de leurs contradictions n’ont d’autre choix que se mettre à nu. Tous irradient sur ce grill de tourments et chacun expérimente un abandon sans limite pour mieux se débattre avec l’enfer de doutes propres à l’accomplissement de leur destinée.
Rarement Racine aura été mis en lumière d’une manière aussi explicite.
Le verdict de l’oracle étant sans appel, le temps est arrêté. Le huis clos qui s’annonce a valeur d’épreuve de vérité puisqu’il s’agit d’assumer le sacrifice de la vie d’une femme au nom d’une guerre que des hommes vont mener. Rarement Racine aura été mis en lumière d’une manière aussi explicite. Qu’il s’agisse de la fragilité torturée d’Agamemnon magnifiée par Yann Boudaud ou de la virilité mise à mal d’Achille dont témoigne Sébastien Eveno, ce monde dirigé par des hommes se déchire sans gloire face à nous à la manière d’un tigre de papier.
L’avenir va se construire ailleurs, il est entre les mains des trois femmes puissantes que sont Victoire Du Bois (Iphigénie), Bénédicte Cerutti (Eriphile) et Servane Ducorps (Clytemnestre). Toutes trois sont magnifiques. L’ultime mérite de la mise en scène de Chloé Dabert est de faire entendre clair et fort l’héroïsme qui est le leur quand il s’agit de suppléer aux errances du patriarcat et à l’arrogance vaine du phalocratisme. C’est ce vent de liberté que la mise en scène exalte et qu’importe qu’un autre se lève bientôt au terme du rite sacrificiel pour autoriser l’expédition guerrière et d’autres violences tout aussi funestes.
Iphigénie, de Jean Racine, mise en scène Chloé Dabert, Festival d’Avignon, Cloitre des carmes jusqu’au 15 juillet. En tournée du 18 février au 22 mai 2019.
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