Sigolène Vinson vagabonde au bord de l’étang de Berre où brûlent les torchères de la pétrochimie et les derniers feux d’une utopie communiste. Entre hyperréalisme social et poésie subjugante, la tragédie s’invite à sa table.
Parfois, lorsqu’on quitte la lecture d’un livre, on se demande comment on aura l’audace critique de rajouter des mots aux mots, quand ces mots sont aussi puissants et intimidants que ceux que l’on lit dans Maritima de Sigolène Vinson. Mais comme Maritima est ouvert et partageur, comme son allégresse est contagieuse, on s’y met de nouveau, pour lui rendre grâce.
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Bande de louves
Depuis quelque temps il souffle dans le roman français la formidable tempête de certaines femmes qui se démènent, hurlent leur rage et leur « différence », et l’écrivent. Entre autres, Céline Minard, Noémi Lefebvre, Christine Montalbetti, Célia Houdart, Hélène Zimmer…
Au fil de ses romans, surtout Le Caillou (Le Tripode, 2015), Sigolène Vinson a rejoint cette belle compagnie de louves mais y fait bande à part avec ses façons singulières. Son souci n’est pas la littérature avec ce que cela comporte d’emphase et de pose, mais l’écriture.
Vive et vagabonde, ne triant jamais le supposé bon grain de la poésie de la soi-disant ivraie de l’hyperréalisme. Hérétique en somme et joyeusement lisible pour qui n’a pas les yeux dans sa poche.
Une belle équipe
L’héroïne, presque au sens stupéfiant du terme, est une jeune femme, Jessica, qui de la fenêtre de son appartement du sud de la France surplombant l’étang de Berre, comme dans un fameux film d’Hitchcock, n’a qu’un seul emploi du temps : guetter à la jumelle tout ce qui bouge ou ne bouge pas dans les environs.
Drôles d’environs où la fumée des usines pétrochimiques contrarie les tentatives de lumière de quelques autochtones solaires : le vieux Joseph et son compère Emile, experts dans la pêche aux muges et pourvoyeurs de poutargue, le « caviar martégal » comme il est dit là-bas.
Antoine et Dylan, frères orphelins à peine adolescents, enfants sauvages et surdoués, toujours sur la brèche d’un 401e coup. Ahmed, l’amant de Jessica qui déjoue son déterminisme social par un métier d’ingénieur dans une usine locale. Ou Sébastien, le petit garçon de Jessica, un enfant de 5 ans quasi muet car lobotomisé par l’usage ininterrompu de son portable.
Une belle équipe, se dit-on, comme dans le film du même nom de Julien Duvivier. Invité surprise du roman, le fantôme de Jean Gabin, qui pourrait y fredonner la ritournelle du film : « Quand on s’promène au bord de l’eau, comme tout est beau. » Beau comme une fin d’après-midi au soleil couchant de ce roman anarchiste où les calamars grillés s’arrosent au pastis.
Tragédie ancestrale
Sauf que ce crépuscule n’est pas une aurore. L’utopie sociale et politique part à vau-l’eau dans cette zone pourtant irréductiblement communiste. Les ruines ne sont pas seulement celles des déchets industriels qui pourrissent les organismes, elles sont aussi celles de la vie privée qui devient publique.
Un enfant meurt. Accident ou pas ? Le doute étend son ombre et Maritima devient une tragédie, ancestrale, méditerranéenne, dont Jessica est la nouvelle Médée.
Maritima est un roman inquiet et inquiétant, hors-la-loi
Sigolène Vinson, à qui colle l’étiquette poissée de sang de « rescapée de l’attentat de 2015 contre Charlie Hebdo« , où elle était chroniqueuse judiciaire, écrit-elle pour se venger, exorciser ? Peut-être. Mais franchement, on s’en tape. Maritima est un roman inquiet et inquiétant, hors-la-loi, nétait la loi du désir.
Maritima (Les Editions de l’Observatoire), 304 p., 20 €
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