Le nouveau Bellocchio est un film policier haletant, énergique et impressionnant de maîtrise.
Brad Pitt et Leonardo DiCaprio n’ont qu’à bien se tenir. Ils ont un concurrent sérieux pour le prix d’interprétation masculine : Pierfrancesco Favino, qui joue le rôle principal du Traître avec un charisme fou. Il y incarne Tommaso Buscetta, le parrain de Cosa Nostra qui accepta, au milieu des années 80, suite à l’assassinat de plusieurs de ses proches, de rencontrer et de se confier au juge anti-corruption Falcone, afin de dénoncer les principaux chefs de la mafia sicilienne, dont l’illustre Toto Riina, un sadique de première classe.
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Le film de Bellocchio raconte les seize dernières années de Buscetta (il est mort dans son lit) avec une précision, une clarté, un sens du raccourci, mais aussi des outils très modernes (on assiste à un assassinat – une explosion terrible qui détruisit plusieurs kilomètres de route – de l’intérieur d’une voiture, grâce au numérique !). Le film décrit un personnage attachant, ambigu, intelligent malgré ses origines modestes, qui a effectivement, et il le reconnaît, commis des crimes, mais décide à un moment – c’est la manière dont il se défend d’être un traître – qu’il faut en finir avec la Cosa Nostra parce que c’est elle qui a trahi son code d’honneur.
Le scénario – en la personne du juge Falcone – est toujours là pour lui rappeler que ce code d’honneur dont il se prévaut n’a jamais existé, qu’il n’y eut jamais d’époque honorable de Cosa Nostra. Mais le film nous montre effectivement un homme qui, s’il s’en est mis plein les poches grâce au trafic de drogue dont Palerme était à l’époque la plaque tournante mondiale, obéit à une morale qui lui est propre, et n’accepte pas qu’on tue des enfants ou des femmes, qu’on pousse à la mort des jeunes gens en profitant de leur addiction aux drogues dures.
Un film sous tension
Les scènes les plus impressionnantes du film sont celles des procès historiques qui eurent lieu à la fin des années 80 et qui envoyèrent les principaux chefs mafieux en prison. Les scènes de confrontation au tribunal, et leurs échanges verbaux, marqués par la haine, la violence et le ressentiment, prennent la forme d’un défilé de personnages souvent hauts en couleurs (certains ne parlent que le sicilien), parfois terrifiants de cruauté, interprétés par des acteurs plus formidables les uns que les autres.
Il y a plein de passages extraordinaires, dans ce Parrain à la Bellocchio. Je crois que nous n’avions jamais assisté à autant de scènes de crime dans un long métrage de ce grand cinéaste italien, qui à 79 ans réussit l’un de ses films les plus forts. Comme celle, par exemple, où Buscetta, réfugié sous une fausse identité avec sa famille au fin fond des Etats-Unis, quitte précipitamment un restaurant parce qu’un chanteur lui a fait comprendre qu’il savait qu’il était sicilien. Le lendemain, ils doivent déménager, changer d’identité, continuer de fuir, et Buscetta s’achète un fusil dans un supermarché. En une seule scène, Bellocchio réussit à décrire ce que signifie être en cavale, la paranoïa qu’elle induit.
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En près de deux heures et demie, et sans jamais prendre la peine inutile (comme bon nombre de cinéastes) de nous prévenir qu’il s’inspire de faits réels (au fond, on s’en fiche), il retrace l’un des épisodes les plus importants de la lutte contre le crime organisé en Italie. En creux, avec ironie (Buscetta et Falcone croient vraiment que Cosa Nostra ne renaîtra jamais de ses cendres…), il nous rappelle, sans le dire explicitement, que cette lutte est sans fin. Comme le dit Buscetta à un moment dans le film (phrase qui annonce la toute dernière scène du métrage, qui tombe comme un couperet) : « Cosa Nostra a tout son temps« .
Le Traître de Marco Bellocchio, avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Cândido, Fabrizio Ferracane (It./Fr./All./Brés., 2019, 2h25)
Sélection officielle, en compétition
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