Une jeune femme enquête sur son père disparu, ex-acteur embrigadé par une secte. Anne Berest signe un roman filial sur la fin des utopies.
C’est l’histoire d’une moitié d’héroïne : la pâle Denise, 22 ans, distraite, effacée, lancée sur la trace de son défunt père, ainsi que sur celle d’un titan : Gérard Rambert, bon vivant, hâbleur, rejeton sublime des seventies. Entre ces deux entités somme toute antagonistes, autour desquelles Anne Berest va édifier les deux premières parties de son triptyque romanesque, que s’est-il passé ? Guidée par cette question, plutôt une obsession, sa jeune héroïne concentre son enquête sur une année en particulier : 1985, quand son géniteur s’est vu embrigader par une secte travestie en maison de repos pour toxicos.
La descente aux enfers de ce père indigne, soumis à un florilège de sévices corporels, occupe la dernière partie des Patriarches. Tout y est vrai : pour écrire ce livre, l’auteur s’est inspirée de l’association créée en 1972 par Lucien Engelmajer, gourou et truand qui ne sera jugé qu’en 2007 pour les dérives sectaire de son entreprise.
Dans ce deuxième roman plus déployé que le précédent (La Fille de son père), Anne Berest conjugue classicisme et emboîtement complexe des récits. Les lignes narratives bifurquent, se démultiplient, et l’on croisera de nombreuses figures – un couple de résistants en Alsace, un photographe spécialiste de l’art giratoire en France, en passant par la figure fascinante de Patrice Maisse, le père de Denise, jeune coqueluche du cinéma d’auteur des années 80, dont le plus grand fait d’armes est d’avoir été choisi par Jean-luc Godard pour tourner… une pub.
D’une époque à l’autre, Berest saisit le dérèglement d’une machine utopique. Ressuscitées par la confession de Gérard Rambert, les seventies ne sont plus qu’un âge d’or fixé sur une bande magnétique : un récit, une légende de plus – parenthèse enchantée, grande fiesta, partage, fraternité. La lame de fond des Patriarches est une illusion qui persiste : avec les années 80 vient la déformation pernicieuse des rêves en doctrine, du Flower Power en fanatisme. Une quête filiale en forme de débâcle utopique.
Les Patriarches (Grasset), 380 pages, 18 €