Présent place de la République le 16 avril, Yánis Varoufákis voit dans Nuit debout de nombreuses similitudes avec la situation grecque qui a porté Syriza au pouvoir. Il analyse aussi la politique menée par François Hollande et la crise que vit l’UE.
Vous vous êtes rendu place de la République samedi 16 avril pour apporter votre soutien à Nuit debout. Quel regard portez-vous sur ce mouvement ?
Yánis Varoufákis – Cette visite de la Nuit debout était comme un retour dans le temps. Cette expérience m’a rappelé presque à l’identique le mouvement qui avait débuté en Grèce sur la place Syntagma en 2011. Les premiers jours, il y avait entre 1 000 et 3 000 personnes, et en l’espace de trois mois nous étions des centaines de milliers à l’occuper. Ma compagne et moi étions là presque tous les soirs.
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Ce mouvement, qui était un peu le précurseur de Nuit debout, a changé la société grecque et la façon de faire de la politique en Grèce. L’establishment ne pouvait pas faire comme si de rien n’était. Quelques années plus tard, à la suite de ces événements, je me suis retrouvé propulsé ministre des Finances de mon pays. Mon bureau surplombait la place d’où est né ce mouvement. Je porte sur Nuit debout le même regard que je portais sur cette place.
En l’examinant, je me suis dit que ma place était aux côtés des manifestants et non pas dans ce bureau de ministre. Ce lien que j’avais avec le mouvement des Indignés est resté très fort pendant toute la durée de mes négociations avec la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international – ndlr). J’ai veillé à le conserver pour ne pas être déconnecté du mouvement social. Ce retour à Nuit debout avait quelque chose de très émouvant.
Place de la République, certaines personnes vous ont sifflé, sans doute en raison de la déception qu’a suscitée Syriza. Comprenez-vous cette défiance ?
Oui, c’est la beauté de la démocratie directe. On peut se faire applaudir comme on peut se faire huer. Je n’aime ni l’un ni l’autre. Pour moi, l’idéal est simplement d’être écouté. On peut être d’accord ou pas, mais un dialogue s’installe. Je ne tiens pas à avoir des groupies, ni à avoir des ennemis. Je veux simplement faire partie de ce mouvement dialectique.
Ce soir-là, on m’a glissé un bout de papier sur lequel était écrit : “Pour Yánis”. Je l’ouvre, et le message me qualifiait de ”traître” et de ”branleur”. Je ne commenterai pas le second terme, mais le premier a retenu mon attention.
Qu’ai-je trahi au juste ? Je suis arrivé au gouvernement dans l’espoir de faire bouger les choses, de mettre fin aux accords toxiques entre la Grèce et ses créanciers, j’ai fait de mon mieux pour y parvenir, et quand j’ai constaté que mon Premier ministre était au bord de la reddition, j’ai démissionné. Je ne vois pas en quoi j’ai trahi quoi que ce soit.
Syriza et Podemos sont deux partis issus du mouvement des indignés. Avec le recul, pensez-vous qu’ils ont été fidèles à ses revendications ?
Ma position est ambivalente à ce sujet. A moins de se transformer en force politique, un mouvement populaire comme Nuit debout est voué à la disparition. Mais d’un autre côté, il faut se rappeler qu’en Grèce les indignés de la place Syntagma ont insufflé une dynamique très puissante à Syriza.
Ce mouvement n’a pas créé Syriza, mais il a joué un rôle majeur dans sa croissance, puisque ses scores électoraux sont passés de 4 % à 40 %. Mais une fois arrivé aux affaires, hélas, Syriza s’est déconnecté de sa base, avec le résultat que l’on sait. Il faut donc que ces mouvements évoluent et adoptent une forme électorale pour arriver au pouvoir, tout en évitant de reproduire l’expérience grecque où l’élite du mouvement, une fois au pouvoir, a oublié qu’elle lui devait sa place.
Une Europe des peuples peut naître de ce type d’expériences ?Absolument. Dans “démocratie”, il y a “demos”, le peuple. Ceux qui sont au pouvoir en Europe utilisent ce terme en le vidant de son sens, car ils excluent le peuple. C’est à travers ces mouvements populaires, spontanés, qui viennent de la base, que le peuple reprendra sa juste place, et qu’il empêchera ceux qui sont au pouvoir de se réclamer de la démocratie de manière abusive.
Quel bilan faites-vous du mandat de François Hollande ? Mène-t-il une politique de droite ?
La question n’est pas de savoir si François Hollande mène une politique de gauche ou de droite. Le seul problème, c’est que sa politique est inefficace. Il fait ce que l’Allemagne a essayé de faire il y a une quinzaine d’années : elle avait baissé les salaires dans une période où il y avait une forte croissance économique en Europe et dans le monde entier.
En réduisant le coût du travail, l’Allemagne s’est rendue plus compétitive et a connu un fort taux de croissance, au détriment de la France, de l’Italie ou encore de l’Espagne. Mais un pays qui réduit les salaires ne pourra en tirer parti que s’il le fait dans une période de croissance, et si personne ne fait comme lui.
Or tous les pays européens réduisent les salaires en même temps, si bien que personne ne bénéficie de ces baisses. L’échec de la politique de François Hollande est absolument garanti : il fait trop peu, et trop tard.
François Hollande a expliqué dans l’émission Dialogues citoyens qu’en quatre ans, il avait réussi, avec l’Allemagne, à maintenir la Grèce dans la zone euro. Qu’avez-vous pensé de ces déclarations ?
Il essaie de faire passer pour un succès l’échec retentissant de son mandat. J’ai trouvé cela particulièrement triste pour le Parti socialiste, qui mériterait tout de même un meilleur héritage.
De toute évidence, il n’a pas sauvé l’Union européenne de la crise, puisqu’elle se désintègre à tous les niveaux : des frontières sont érigées partout, la crise de l’euro est plus profonde qu’elle ne l’était il y a quelques années, et l’économie française est au plus bas en raison de son échec et de celui d’Angela Merkel à reconstituer l’économie de la zone euro…
L’idée que le couple franco-allemand aurait sauvé la Grèce relève quant à elle du discours orwellien. C’est une accumulation de contre-vérités. Dans les négociations qui concernaient la zone euro et la Grèce l’année dernière, la contribution de François Hollande a été égale à zéro.
De plus, la Grèce n’a pas été sauvée, loin de là, puisqu’un véritable coup d’Etat a été mené contre elle, qui a abouti au résultat que l’on constate aujourd’hui. Des politiques raisonnables auraient pourtant pu être menées, et elles auraient été profitables aussi bien à la Grèce qu’à la France et à l’Allemagne.
Dans nombre de pays européens, la crise de l’euro a pour conséquence la montée de l’extrême droite. Pensez-vous pouvoir contrecarrer leur discours nationaliste en prônant la démocratisation de l’Europe, comme le mouvement que vous avez fondé, DiEM25 ?
La montée de l’extrême droite n’est pas due au mépris de l’Europe mais à la crise économique que nous vivons, qui est notre 1929. Les gens se rendent compte que quelque chose est fondamentalement détraqué dans l’économie de leur pays.
Ils n’ont plus les moyens de pourvoir aux besoins de leurs enfants, les services publics se dégradent et les emplois disparaissent. Que fait-on dans ce cas-là ? La classe ouvrière de chaque pays se tourne contre celle de tous les autres en cherchant son salut dans le protectionnisme. Des mouvements xénophobes se réveillent et la sombre tête du fascisme émerge à nouveau.
C’est le résultat de l’échec de l’Europe. Dans ce contexte, j’estime que mon devoir est de faire campagne pour la démocratie. Ce n’est pas le retour aux Etats-nations qui va rendre aux nations leur souveraineté. Il faut réussir là où nous avons échoué dans les années 1930 : en s’unissant et en travaillant ensemble, au-delà des frontières et des clivages politiques, pour faire resurgir une véritable démocratie européenne. On ne pourra pas le faire au niveau national, ni à Rome, ni à Paris, ni à Madrid.
En Grèce, le contexte économique de crise a conduit à l’arrivée au parlement de députés du parti néonazi Aube dorée. Estimez-vous que le Front national a une chance d’arriver au pouvoir en France ?
C’est déjà le cas. Le Front national est déjà au pouvoir en France. Il suffit d’observer que la politique du gouvernement de François Hollande s’est fortement décalée vers la droite.
Les idées hautement toxiques du FN ont déjà contaminé sa politique. Les fascistes n’ont pas besoin de gagner des élections pour arriver au pouvoir. Ils procèdent par imprégnation idéologique et culturelle, en exerçant leur influence sur les camps adverses. C’est ce qui s’est passé en Grèce en raison de l’existence et de l’action d’Aube dorée.
De même, en France, en matière de sécurité, d’immigration ou encore de déchéance de nationalité, des idées extraites directement du corpus idéologique du FN sont mises en place. Une telle situation aurait été inimaginable il y a encore quelques années.
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