A son extraordinaire traversée du cinéma, il a tramé le meilleur du théâtre, de Patrice Chéreau à Luc Bondy, de Shakespeare à Bernard-Marie Koltès. Rencontre en janvier 2009 pour Minetti mis en scène par André Engel.
Michel Piccoli – Parler de politique culturelle, on peut ?
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Fabienne Arvers – Oui, on peut, on veut d’ailleurs vous poser des questions sur la politique culturelle, tout à l’heure…
Michel Piccoli – Mais ça n’existe plus la politique culturelle. C’est monsieur Aillagon qui l’a dit. Vous n’avez pas lu l’article de Mr Aillagon ? C’est extravagant, comment ose-t-on écrire et penser si mal ? De travers, disons. C’est incroyable.
Patrick Sourd – Oui, surtout venant d’un ancien ministre de la culture.
Michel Piccoli – Il y a eu une réplique de je ne sais plus qui, très bonne…
F.A. : Minetti, la pièce de Thomas Bernhard, est sous-titrée « Portrait de l’artiste en vieil homme ». C’est en 1948, je crois, que vous avez joué au théâtre pour la première fois dans Le matériel humain. De qui était cette pièce ?
Michel Piccoli : Non, ce n’est pas la première pièce mais Le matériel humain, c’était de Paul Raynal, un écrivain complètement oublié qui, à son époque, avait sa notoriété. C’était une pièce politico-militaire : Le matériel humain, c’étaient les soldats de 14-18.
F.A. : Juste après guerre, d’ailleurs.
Michel Piccoli : La suivante.
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F.A : Vos parents étaient musiciens. Le théâtre et l’amour du jeu, c’est venu comment chez vous ? Par hasard ?
Michel Piccoli : Un hasard, oui, mais un hasard qui m’a collé à la peau tout de suite. Neuf ans, quelque chose comme ça, pensionnaire : tous les ans, représentation théâtrale pour les parents, les cousins, les domestiques, avec étude du texte en question toute l’année avec le professeur de français. Zut, je ne me rappelle plus le nom de l’auteur, bon, ça s’appelait L’Habit merveilleux du roi. C’est un conte nordique et c’est l’histoire d’un roi qui veut faire un défilé et qui a trois tailleurs pour lui faire le plus beau des costumes et ces trois tailleurs sont des roublards terribles, si roublards que finalement le roi est tout nu dans son défilé. Et il y avait trois voleurs, trois voleurs-tailleurs et je jouais le premier voleur, excusez-moi du peu, ce n’est pas rien, déjà.
Et bien sûr, ma mère assistait à ce spectacle. Et je me souviens très bien, ou elle me l’a rappelé et je crois m’en souvenir parfaitement, qu’elle m’a dit : « Mais tu n’as pas eu peur ? » Et je lui ai répondu : « Au contraire. » Ah oui, c’est curieux, hein, ce dialogue… Au contraire, ça veut dire, je crois, que « au contraire, enfin je parlais et on m’écoutait. » Je n’avais pas à faire d’efforts pour parler, je me régalais à raconter cette histoire de voleurs et comme je parlais peu, et que pour une fois, je ne faisais que parler et que tous les vieux m’écoutaient, c’était une revanche, un régal. Et ça m’est resté dans le crâne jusqu’à l’âge de 18 ans où, étant paresseux à l’école, sauf avec le professeur de français qui était un philosophe, Masson-Oursel, méconnu aussi aujourd’hui. Il a commencé le cours de français en sortant une règle et un livre de son sac à provisions et il nous a dit : « Eh bien voilà, ça, ce sont deux volumes. La règle, c’est un volume, le livre, c’est un volume. Comment allons-nous faire pour nous entendre ? Pour nous comprendre. »
Alors moi ça a bien commencé, je me régalais, ce qui ne m’a pas empêché d’avoir, sans doute parce que cet iconoclaste m’avait foutu de mauvaises idées en tête, de très mauvaises notes et je n’ai pas eu le baccalauréat. Mais je me souviens encore de son nom et de sa farce. Et quand j’ai réussi à ne pas passer mon bac – parce que les gens disent toujours : « je l’ai pas eu, j’ai pas eu mon bac » – j’ai dit abruptement à mes parents que je voulais être acteur. Et ils m’ont dit : « Ah bon ? eh bien, va travailler dans des cours, on te dira si tu es capable. » Alors j’ai appris une tirade de je ne sais plus quoi et je l’ai sortie devant le professeur qui m’a engagé comme élève. Et je n’ai jamais autant travaillé de ma vie à quelque chose qu’à ça. Donc, mon entrée dans ce métier qui n’est pas un métier soi-disant, où il n’y a que des gens bizarres, enfin les artistes quoi, je ne l’ai jamais regretté. C’est l’essentiel, non ?
« un cours de théâtre, ça ne peut pas complètement fabriquer quelqu’un dans ce métier-là. »
P.S. : Oui, mais il y a de quoi !
Michel Piccoli : Il y a de quoi mais je ne savais rien ! Or, je n’ai jamais si bien travaillé, de ma vie. J’étais aux cours de théâtre de 9h du matin à 9h du soir. Mais enfin on sait bien qu’un cours de théâtre, ça ne peut pas complètement fabriquer quelqu’un dans ce métier-là.
P.S. : Mais c’est très bien et rare de se sentir bien là où on est.
Michel Piccoli : Où l’on a choisi.
P.S. : Des fois le désir peut nous emmener là où l’on n’a pas sa place.
Michel Piccoli : Oui et aussi, c’est bien d’avoir plusieurs désirs dans la vie. Je parle du travail. Je ne parle pas des désirs coquins… C’est vrai, c’est finalement très dangereux de choisir un métier, quel qu’il soit.
P.S. : Il est préférable que le métier vous choisisse.
Michel Piccoli : Oui, absolument. Enfin, là, le métier m’a choisi. Peut-être.
F.A. : J’ai lu que vous aviez été administrateur du théâtre de Babylone à vos débuts d’acteur.
Michel Piccoli : Je n’étais pas administrateur, j’étais à l’époque marié, enfin pas encore, avec ce théâtre dont le créateur était Jean-Marie Serreau, je ne sais pas si vous avez entendu parler de ce fou extravagant. C’est quand même grâce à lui si Ionesco, Beckett et Adamov ont été joués, ce trio extravagant. Il y avait quatre personnes dans la salle, quarante au maximum, j’ai tout fait : nettoyé la cave et puis je jouais un peu la comédie, mais j’ai beaucoup plus fait le balayeur. J’ai rencontré des gens extraordinaires.
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P.S. : Et comment s’est passée votre rencontre avec Jean-Marie Serreau ?
Michel Piccoli : Je crois par le truchement d’Eléonore Hirt qui était ma compagne et qui était une des créatrices de ce théâtre. Et jusqu’à la mort de ce théâtre, il y a eu de très beaux événements, c’était un tremplin extraordinaire et j’y ai connu des gens extraordinaires dont Boris Vian. Je crois que c’est là que je l’ai connu. Ça faisait partie de toute cette bande d’extravagants magnifiques, c’était un nid d’extravagants. Je me souviendrai toujours que quand Beckett a été joué pour la première fois, c’était Godot et il y avait un critique fameux, souverain, dans le journal Le Figaro – à l’époque, il y avait deux critiques, un dans Le Figaro et un autre dans Le Figaro Littéraire – et c’est Boris Vian, sous son impulsion, qui a écrit une lettre au Figaro en disant : « Vous, ce journal intelligent, c’est dans ce journal riche que vous vous permettez d’avoir deux critiques dramatiques, un imbécile et un intelligent. » J’ai commencé comme ça, avec des gens d’extravagance, vous comprenez ? Avant le Babylone aussi, avec un type qui s’appelait Douking et qui était le décorateur de Gaston Baty. Enfin, j’ai eu de bons profs, je ne parle pas tellement des professeurs officiels des cours d’art dramatique, mais j’ai eu de bonnes fréquentations et ça, ça vient de quoi ? Du hasard et peut-être déjà d’une curiosité que j’avais pour les extravagants parce que j’ai toujours eu une passion pour eux. Dans n’importe quel domaine et n’importe quel métier. J’ai eu un ami horticulteur qui était un extravagant, il n’y a pas que les artistes qui le soient. Heureusement, non ? Mais il y a de moins en moins d’artistes extravagants, je trouve, non ? Ou alors, je suis très orgueilleux en disant ça ?
F.A. : Il y en a.
Michel Piccoli : Il y en a parmi les jeunes.
F.A. : Vous parlez avec amour du théâtre mais vous avez fait aussi une carrière incroyable au cinéma. Est-ce que pour vous c’étaient des vies séparées, parallèles ou c’est toujours le même travail d’acteur ?
Michel Piccoli : Ce n’est pas du tout le même travail. C’est une double vie, mais une double vie très enrichissante et ça, c’est une chance énorme que j’ai eue, de pouvoir comprendre ce que c’est que de jouer la comédie, d’une certaine manière, puisque j’avais vu des films tournés avec des acteurs amateurs et j’étais bouleversé. Dans les deux sens, me disant, ce n’est pas la peine d’être acteur pour faire du cinéma et en effet, est-ce que c’est nécessaire d’être acteur pour faire du cinéma ? Il y a eu beaucoup de films, du monde entier, où c’étaient des acteurs non-professionnels. Moi, ça me troublait pas du tout qu’il y ait des amateurs qui fassent du cinéma, c’était gai, ça m’amusait. Alors, j’ai appris vraiment ce que sont ces deux techniques complètement différentes, deux passions tout à fait différentes, et aussi cette liberté à naviguer dans le monde du théâtre qui est, non pas du tout l’opposé, mais qui est un monde à cent lieues du cinéma. Même s’il y a des acteurs qui font les deux métiers en même temps. C’est démodé un peu cette ségrégation entre le théâtre et le cinéma, je crois, mais quand même. Quand je dis, dans la distribution, j’aimerais qu’il y ait tel et tel acteur : ah bon ? ah bon ? Et qui encore ? Ah bon ? Mais alors, ce sont des acteurs de théâtre… (rires) Il y a peu de stars qui sont aussi acteurs de théâtre, non ? J’en connaissais un, c’est Mastroianni qui a commencé dans le music-hall.
F.A. : Pour en revenir à l’art du comédien, vous dites que ce sont deux techniques différentes au théâtre et au cinéma, même pour ce qui est d’approcher un rôle, un personnage ?
Michel Piccoli : Oui, ça change. D’abord sur le plan technique, si vous jouez une pièce, à moins que vous n’ayez que 4 répliques à dire, c’est pas grave la mémoire, mais le travail qui se passe entre l’auteur, le metteur en scène et l’acteur de théâtre, il y a une sorte de fusion extraordinaire entre ces trois-là. Et finalement, l’acteur au théâtre est toujours, enfin, je parle pour moi, je suis toujours un peu éternel débutant au théâtre parce que j’ai enfin compris quel était ce métier de fou d’acteur au théâtre, où finalement quand on joue, les gens croient qu’on est l’auteur, les gens croient qu’on est le metteur en scène, alors que nous sommes responsables de l’auteur et du metteur en scène, et de nous-même. Mais nous ne sommes que des aboyeurs de l’auteur et du metteur en scène, si je puis dire. Mais on est maître de tout. Au cinéma, devant la caméra, on est maître de rien du tout ! Enfin, c’est mon sentiment profond.
C’est-à-dire qu’au cinéma, il y a une telle préparation dans laquelle l’acteur n’a absolument aucun rôle à jouer sur comment faire le décor, où est-ce qu’on va tourner, qu’est-ce que ça coûter, etc. Qui va être le monteur. Et puis, quelquefois on travaille neuf heures par jour, mais très souvent, on ne travaille que dix minutes. Moi, ce qui m’a passionné au cinéma tout de suite, c’est ce qui se passait derrière la caméra. J’ai même suivi une espèce de stage au laboratoire Eclair pour comprendre quel était le cheminement de la pellicule vierge à la pellicule imprimée. Parce que je voyais tous ces gens de la caméra qui préparaient les lumières, les sons, mais l’acteur, qu’est-ce qu’il fait pendant ce temps ? S’il est inconnu, on lui dit « Attendez un peu » et si c’est des stars « Allez dans votre loge, vous voulez un café ou un whisky ? On vous préviendra. » Et puis, quand tout est prêt, on appelle l’acteur et là, j’ai remarqué que l’acteur avait très peur, enfin, très impressionné, bouleversé, le trac d’arriver sur un plateau où toute l’équipe a travaillé, une équipe de sept personnes ou de 70 personnes, et on dit : voilà, les acteurs arrivent. J’ai vu des acteurs et des actrices arriver avec une fébrilité et une tension…
F.A. : Parce qu’il n’y a pas de temps de répétition au cinéma.
Michel Piccoli : Il n’y en a pas. Il y a des réalisateurs qui font des répétitions, ça dépend, il y a des réalisateurs qui exigent que l’acteur soit là tout le temps pour répéter, et puis maintenant, la technique au cinéma est beaucoup plus rapide. Mais j’ai vu, surtout des actrices paniquées, alors que moi, tout de suite, je suis resté sur le plateau à regarder ce qui se passait, ça me fascinait. Vraiment. C’est des choses que je répète toujours mais c’est la première fois qu’on se voit tous les trois, alors ça sera écrit autrement ! Par exemple, un chef machiniste qui doit faire un travelling et l’acteur doit marcher selon ce travelling et comment il doit enjamber le travelling et ne pas se casser la gueule et après, il faut qu’il s’arrête à un endroit. Alors, moi je voyais tout ça, j’avais repéré et c’était très facile. Je l’avais en mémoire. Mais si l’acteur arrive et qu’on lui explique « Alors vous passez là…« , c’est vrai, comment faire ? Grâce à ça, je me suis toujours amusé beaucoup plus, enfin, être très attentif et obéissant au réalisateur mais, en même temps, être tout à fait libre de ne pas jouer, je dirais… De ne pas jouer, mais de se régaler de faire ce qu’on appelle une prise qui est une chose très minime dans toute l’histoire du film, c’est rare les prises qui durent 9 minutes.
Ça m’est arrivé, on peut en parler, j’aime pas parler des morts, mais enfin Romy Schneider qui avait tellement le trac, tellement incertaine, et d’autres actrices que je voyais fébriles, c’est normal, non, parce qu’une femme devant une caméra, c’est plus sensible qu’un homme. Oui, oui, je trouve. Et à ce moment-là, si on a à lui dire « je t’aime » ou à lui dire « je prends le train à telle heure…« , peu importe, je suis très émotionné de voir cette personne actrice et de devoir lui dire ça, c’est une intimité extraordinaire, est-ce que vous comprenez ça ? C’est comme si je dis « je t’aime » et après, je dois l’embrasser sur la bouche, c’est bouleversant et un peu inquiétant, mais je fais ça avec improvisation. Tandis qu’au théâtre, non. Si, quand on est très habitué au texte comme dans la pièce que je joue en ce moment. Je commence à penser que Lear (de William Shakespeare, mise en scène André Engel ndlr.) je pourrais la dire en improvisant, parce que je ne serais pas obsédé par l’infernale, vous l’avez vue la pièce ?
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F.A. : Oui, vendredi.
Michel Piccoli : C’est tellement infernal ce texte. Mais infernal. C’est jamais la même phrase, on croit que c’est la même mais c’est jamais la même. Ce qu’il y a de bien, c’est que grâce à Engel, je joue avec les deux femmes. On se regarde. C’est pas un monologue.
F.A. : Non, mais ces personnages, c’est un peu comme le public mais d’un peu plus près, elles vous regardent, vous observent mais ne disent rien ou presque rien.
Michel Piccoli : C’est le public, oui. C’est vrai. Elles ne parlent jamais mais la présence parle. La jeune fille parle plus.
FA. : Oui, elle dit facilement deux phrases.
Michel Piccoli : Et ses regards aussi. Il y a une complicité entre ce vieillard et cette jeune fille.
F.A. : Parce qu’elle est à l’âge où on peut l’atteindre, alors que la première est déjà totalement dans…
Michel Piccoli : Et elle est bourrée.
F.A. :… le désespoir et elle est bourrée, oui.
Michel Piccoli : Enfin, il se raccroche à elle, cette femme ivre, mais il ne se rend pas compte qu’elle est ivre et il est ivre beaucoup plus qu’elle.
P.S. : On aimerait revenir sur vos aventures théâtrales avec Luc Bondy, Claude Régy, Patrice Chéreau
F.A. : Robert Wilson
Michel Piccoli : Et comment il s’appelle, le directeur du théâtre Edouard VII aussi ? J’ai joué Guitry, hein ! Et c’est pas un imbécile !
F.A. : Bernard Murat !
P.S. : Il y a une époque où vous faites une pièce avec Chéreau et une avec Bondy.
Michel Piccoli : C’est l’époque où Chéreau était directeur des Amandiers et c’est lui qui a fait venir Luc Bondy. Ou l’un du Berliner Ensemble, je ne sais pas lequel. Et Chéreau m’a dit : « Il y a ce metteur en scène Luc Bondy qui aimerait que tu joues dans un spectacle qu’il va faire ici ; alors, si tu peux le rencontrer. » C’est Chéreau qui est responsable.
P.S. : Vous n’avez pas regretté ?
Michel Piccoli : Oh là, non ! Bondy, c’est une personne en même temps très enfantine, très cabotine dans le bon sens, très intelligent et un metteur en scène magnifique et qui est resté dans une sorte d’enfance. Pour lui, la vie c’est un jeu. Mais un jeu tragique parce que dès le plus jeune âge, il s’est fait opérer de choses épouvantables et toute sa vie, il est malade depuis… il vient de se faire opérer quatre fois de suite pendant six mois. Heureusement il est aidé par son assistant qui est comme un compagnon de route depuis toujours : James, pas sûr, mais Leighton, ça vaut la peine de le citer. J’ai eu la chance, comme au théâtre Babylone à mes débuts ou avec Douking avec qui j’ai joué pour la première fois au théâtre. J’ai joué d’autres choses aussi avec lui. Il n’avait pas de troupe mais j’étais un peu comme un enfant de la troupe. Et Dieu sait si je suis incapable de rentrer à la Comédie-Française, de plus en plus d’ailleurs.
F.A. : Quels sont vos souvenirs importants au théâtre et qu’est-ce que ça a dessiné comme parcours, parce que ce sont aussi bien des pièces classiques que contemporaines ?
Michel Piccoli : Oui, mais ce sont des gens qui avec une pièce dite classique font quelque chose de nouveau et avec les pièces contemporaines, ils font quelque chose de nouveau aussi. C’est extravagant. Je ne sais pas si vous avez vu le spectacle de Bondy, une pièce de Botho Strauss avec une actrice allemande sublime. Et puis j’ai eu la chance en parlant de Botho Strauss parce que j’ai joué entre autres avec Luc Bondy John Gabriel Borkman et je me souviens que c’était pour moi un événement extraordinaire d’enseignement. Quand on a répété, Bondy me dit que Botho Strauss va assister à la répétition. »Oh, je dis, quelle horreur ! Pourquoi ? » Le trac, quoi. Bon, ben, il fait ce qu’il veut. Et après, Bondy me dit : « tu sais ce qu’il m’a dit ? C’est dommage, dans cette pièce, on parle toujours de la solitude de cet homme et on ne le voit jamais seul. Il y a quelque chose qui ne va pas. » Et Luc me dit : « Il a peut-être raison, alors pense à quelque chose, si tu peux faire dans le décor quelque chose seul, je ne sais pas… Penses-y et on verra demain. » Alors, ça m’a amusé, moi. Je me suis mis à jouer comme un enfant, comme l’enfant que pouvait être cet infernal personnage, à jouer avec tout ce qu’il y avait dans le décor. Et puis ça a duré 3 minutes. Il m’a dit, c’est pas mal, c’est bien. Alors, on va travailler et finalement, ça a été dix minutes. Je me suis retrouvé à être dix minutes en scène dans une pièce qui était bavarde, à jouer avec des objets et à m’amuser. Le culot, mais ce n’était pas trahir ou déshonorer l’auteur, je ne parlais pas, alors… mais c’était extraordinaire, un exercice formidable. C’était à la fin des répétitions, tout ça.
F.A. : Je me rappelle des livres, de l’échelle.
Michel Piccoli : Ah oui, l’échelle. Je ne sais pas si je serais capable de le faire, déjà, j’avais peur quand il fallait faire ça, mais après je me régalais.
P.S. : Mais nous aussi, on avait peur.
Michel Piccoli : Moi aussi, la première fois qu’il m’a dit : « monte là« , pff.. Mais après, en jouant, je m’amusais même à rater une marche comme ça arrive.
F.A. : Et c’est arrivé aussi que Koltès vienne aux répétitions ?
Michel Piccoli : Oh, il venait, oui. Pas tout le temps, mais il venait. Et ça encombrait un peu Patrice. Il aimait beaucoup Koltès, mais sans doute que ça l’intimidait. Le trac. Mais ça se passait quand même très bien.
P.S. : Pour vous, en tant qu’acteur, le fait de monter un auteur contemporain comme Koltès qui, maintenant, est devenu un classique. Est-ce que sur le moment, quand on découvre le texte, on se dit j’ai de l’or dans les mains ?
Michel Piccoli : Oh la, non, pas du tout ! Là aussi, je me suis dit : oh la la, c’est quelque chose ça aussi d’apprendre par cœur un texte de Koltès. Souvent, je venais aux répétitions et je disais : « Je comprends rien. » Dans Koltès, il y a aussi un labyrinthe, une roue infernale, mais c’était un régal finalement. Mais j’ai eu une chance incroyable de tomber sur des gens qui me proposent des choses aussi, comment pourrait-on dire, aussi nouvelles, aussi extravagantes.
P.S. : Je me souviens dans La Fausse suivante à Nanterre, où vous étiez d’une méchanceté, comme le servant peut devenir le bourreau du maître.
Michel Piccoli : Dieu sait si ça a été pénible ces répétitions de Marivaux avec Patrice. Oh ! Il y a un moment où on s’est tous détestés. On n’en pouvait plus. Et puis il y avait Jane (Birkin ndlr) aussi qui avait une panique incroyable et dont comprenait un mot sur cinq, mais elle était magnifique, ça ne faisait rien. Mais ce sont des gens qui ont une invention, un culot et une énergie aussi de diriger les choses, de diriger un théâtre, ce n’est pas rien.
F.A. : C’est d’ailleurs un point commun avec Minetti, à la fois acteur et directeur de théâtre dans le passé.
Michel Piccoli : Oui, et à l’époque de Patrice Chéreau, aux Amandiers, il y avait des gens extraordinaires. Alain Crombecque, Catherine Tasca, et puis l’école du théâtre.
P.S. : Et quand Grüber vous demande de saucissonner sur la scène du Conservatoire sur du Pirandello ?
Michel Piccoli : Ah, c’était mon idole Klaus Michael Grüber toute ma vie. Et un jour j’étais au théâtre, dans la petite salle de Chaillot, pour je ne sais plus quel spectacle et à la fin, quelqu’un me tape sur le dos derrière et me dit : « Je suis Klaus Grüber. Je voudrais beaucoup qu’on travaille ensemble. » Je me suis dit : heureusement que je suis venu voir cette pièce ! Hélas, je n’ai pas pu le faire, c’était pour Faust. Mais ça a tardé, tardé et après, je ne pouvais plus. Et alors c’est Marcel Bozonnet qui dirigeait alors le Conservatoire national d’art dramatique qui a eu l’idée de demander à Grüber de faire un spectacle de travail avec les élèves et de me demander d’être là, faire l’acteur avec eux. Ça m’a tout de suite enthousiasmé. Vous l’avez vu ?
F.A & P.S. : Oui ! C’était magnifique, super…
Michel Piccoli : Et une fois, on se voit avec Grüber, je m’en souviendrai toujours, à Montparnasse et il me dit : « Non, je ne vais pas le faire. Je ne sais pas si je vais le faire. Je regarde avec Bozonnet » ça a déclenché quelque chose et je lui ai dit : « Ecoutez Klaus, je vous propose une chose, vous avez été acteur, vous jouez le rôle et je vous mets en scène. » (rires) Lui : « Ah bon ? enfin, peut-être, oui, on verra… » Finalement, il a dit oui et ça a été un travail… Vous vous rendez compte la chance que j’ai eu, les gens avec qui j’ai travaillé. C’est inouï, et avec des gens que je ne connaissais pas. Bob Wilson, Claude Régy. Claude Régy, je n’ai jamais travaillé avec lui, sauf il y a très très longtemps, il avait monté Penthésilée. Je ne sais pas si c’était extraordinaire. Il ne m’a jamais demandé depuis. Mais on n’est pas fâchés, je l’aime beaucoup. Quand je le vois, je lui dis : « Tu m’engages toujours pas ? » (rires) Mais avec Grüber, c’était extraordinaire ce travail avec les élèves. En plus, il venait d’être opéré, il était très malade et il a été splendide. Mais c’était un homme et un metteur en scène splendide et il n’expliquait jamais rien. Je me souviens, une fois, on faisait une lecture avec les élèves qui étaient intimidés, moi aussi d’ailleurs et il part sur une chose et à un moment, il dit : « En fait, ce que je voulais vous dire, c’est que je voudrais que le spectacle et vous, faudrait que ça soit bzzzzzzzz (un geste de la main ondulant accompagne le son ndlr) » Bon, on comprend tout ou alors on comprend qu’il ne faut pas chercher midi à quatorze heures, il n’y a qu’à rêver. Ça n’a duré que sept fois car il n’y avait que sept actrices, c’était extraordinaire.
« Des fous furieux. Il n’y a que ça d’intéressant »
P.S. : Il y avait Marina Hands qui était la première.
Michel Piccoli : Et Grüber était toujours en coulisse, lui qui ne va jamais au théâtre quand il travaille, jamais. Il avait peur du théâtre, c’est vrai. Il n’allait jamais au théâtre, c’était pour lui l’angoisse. Là, il était là tout le temps, à écouter. En fait, j’ai toujours eu le désir de rencontrer des gens, comment dire, soi-disant inapprochables, des gens extravagants, des fous furieux. Il n’y a que ça d’intéressant. Quand je dis fous furieux, vous comprenez ce que ça veut dire ? Ce n’est pas seulement pour travailler, c’est dans la vie aussi.
F.A. : Justement, quand Thomas Bernhard dit dans la bouche de Minetti que l’acteur, c’est « l’artiste de l’esprit« , ça serait quoi pour vous la définition de l’acteur ?
Michel Piccoli : Oui, ce qui compte dans la vie, c’est l’esprit. Pour certaines personnes, c’est le Saint-Esprit, mais c’est la même chose. De l’esprit, de la tête, qui est fou dans la tête, quoi. C’est Artaud. On peut dire ça comme ça, non ? Il y a le Saint Esprit, Artaud et cet homme perdu, cet homme reclus qui est tout dans son esprit. C’est simple l’esprit, finalement, non ? Avoir de l’esprit.
F.A. : Mais l’esprit du côté de la folie, ce texte en parle sans arrêt.
Michel Piccoli : La folie, c’est l’esprit. C’est l’esprit qui est en folie.
F.A. : Oui, mais pour un esprit rationnel, la folie, c’est un esprit dérangé.
Michel Piccoli : Ah, mais il est complètement dérangé celui-là. Et je trouve que l’esprit, c’est la folie. Ou alors on dit : il a de l’esprit. C’est modeste comme qualité, non ? C’est déjà pas mal d’avoir de l’esprit.
P.S. : Je me disais que le rapport entre Lear et Minetti, c’est une idée qui vous est venue avec André Engel récemment, parce qu’elle aurait pu être préalable au Lear que vous avez créé ensemble il y a deux ans ?
Michel Piccoli : C’est tout simple. Avec Engel, on s’entend très bien mais on a eu un drôle de parcours. Il y a près de 15 ans, il m’a demandé de jouer Lear et ma première réaction a été de lui dire : « Ecoutez, non, je n’ai pas envie de me mettre une décoration. » Et c’est vrai qu’à cette époque, je commençais à aller vers l’âge solennel et j’ai dit : « Merde, pas de solennité. » C’est vrai, j’étais sincère. Il l’a très bien pris, puisque 12 ans après, il m’a dit : « Alors, Lear ? » et j’ai dit : « Eh bien, oui« , parce que j’avais passé ma coquetterie. Alors, on a fait Lear et quelques mois après, je lui ai dit : « Ecoute, on a réussi. Si on faisait une autre pièce de Shakespeare ? » Il me dit : « Oui, mais laquelle ? » Je lui ai dit ce qui est vrai : « Je serais incapable de le dire, moi. C’est au metteur en scène à décider. » Et il me dit : « Est-ce que tu connais la pièce Minetti de Thomas Bernhard ? » Je dis « oui« . Il me dit « relis-là. » Je l’ai lue et lui ai dit : « C’est une idée de génie. »
P.S. : Et c’est une façon de s’inscrire dans la réalité du parcours que vous avez eu. Vous savez, cette idée de l’art contemporain d’aller chercher dans le réel pour fabriquer de la fiction…
Michel Piccoli : Oui, et ça pourrait, si je dis ça, ça peut avoir l’air d’une coquetterie ou une sorte de désespérance, mais si je finissais à jouer au théâtre avec Minetti, ça serait splendide. Non ? C’est un bel adieu quand même, comme disent les vieillards. Je vais faire mes adieux ! (rires) Eh bien, peut-être que je les fais. Non, mais je suis sincère, parce que ça serait très bien. Avec tout ce que j’ai pu jouer, que ça finisse comme ça. Non, là, je parle à ma tombe, mais d’ailleurs il n’y aura pas de tombe parce que je crois que j’irai me faire incinérer. Mais pas au Père-Lachaise, j’ai trop été au Père-Lachaise pour incinérer un tas de gens, c’est une honte… Vous êtes allés au Père-Lachaise au crématorium ?
F.A. & P.S. : Oui.
Michel Piccoli : C’est une honte, à tous points de vue. Et pour ceux qui perdent leurs proches et pour celui qui est dans sa caisse. C’est épouvantable.
F.A. : En même temps, quand vous dites un bel adieu, c’est quand même un texte où tout est dit, mais où rien n’est révélé : ni pourquoi il est en guerre avec l’art classique, ni pourquoi les gens de Lübeck l’ont viré.
Michel Piccoli : Parce que c’était un fou furieux, un délire d’amour pour Shakespeare et pour Lear. Et peut-être pour Prospero. Et pourquoi la capitale Lübeck ? Minetti le savait, moi j’ai appris il n’y a pas longtemps que c’était une ville absolument folle, terrible et démentielle.
F.A. : L’acteur Minetti n’avait pas pu travailler pendant 20 ans après guerre à Berlin
Michel Piccoli : Il a eu des relations douteuses, curieuses avec le nazisme.
F.A. : Vous l’avez vu jouer ?
Michel Piccoli : Je l’ai vu en Allemagne, je ne sais plus où et c’était un Beckett.
F.A. : Moi aussi, c’était La dernière bande à St-Etienne, fin des années 80. Et on venait de découvrir en France Minetti joué par David Warrilow.
Michel Piccoli : Je ne l’ai pas vu, et heureusement d’ailleurs, Michel Bouquet, qui l’a joué aussi. Mais le travail d’Engel est incroyable, on ne le voit pas, mais l’intelligence et la discrétion des événements qui se passent sur la scène, c’est extraordinaire. Il a été l’assistant de Grüber.
F.A. : Finalement, vous avez fini par passer derrière la caméra ces dernières années. Pourquoi est-ce venu si tard ?
Michel Piccoli : Parce que j’ai tout le temps dans la vie. Et grâce à mon papa et à ma maman, j’ai une santé extravagante, alors j’ai toujours eu le temps. J’ai le temps de faire les choses, de prendre du temps, de jouir du temps. Et parce que, dès le début, quand j’ai commencé à être sur les plateaux de cinéma, comme je vous ai dit, je me suis passionné pour toute la technique. J’étais ami avec un étalonneur aux Laboratoires Eclair et j’ai fait un stage pour comprendre comment la pellicule passait de vierge à imprimée par quelque chose. J’étais très ami souvent avec les ingénieurs du son. Le plus souvent, après une scène, au lieu de demander au metteur en scène si c’était bien, j’allais voir l’ingénieur du son et je lui demandais si je pouvais écouter. Il était très content qu’on lui demande d’écouter et quand on écoute ce qu’on a fait, ça va, on se voit pas ! Alors, j’ai mis du temps à me décider.
Ça me tracassait pas, mais ça me passionnait beaucoup plus ce qui se passait derrière que devant. Je dis ça sans fausse humilité et un jour, pour l’anniversaire d’un organisme humanitaire, Amnesty International, une productrice faisait 30 films de 3 minutes. Ce qui m’intéressait, c’était de faire un film de 3 minutes. Alors, j’ai écrit un truc, je lui ai montré et elle m’a dit : « C’est très bien. » Et j’ai fait ce film de 3 minutes. Je me suis dépucelé très facilement, si j’ose dire. 3 minutes, ça ne mange pas de pain. Qu’est-ce que ça risquait ? Que ce soit raté, ça ne risquait pas de faire perdre beaucoup d’argent. Personne n’était payé, d’ailleurs. Une œuvre de charité, comme on disait dans le temps. Eh bien, il était très bien ce film. Alors, j’ai fait un court-métrage, d’après une nouvelle de Maspero, de 15 minutes. Et après, ce premier film, Alors voilà…, puis le deuxième, puis le troisième et maintenant, il y a le quatrième qui va se faire. Il est écrit et il y a le producteur.
F.A. : C’est vous qui l’avez écrit ?
Michel Piccoli : Avec ma femme, j’aime pas dire ma compagne, j’ai horreur de ce mot… (longue et poilante digression à trois sur les mots pour dire son/sa conjointe ndlr)
P.S. : Et vous allez le tourner quand ce film ?
Michel Piccoli : J’imagine dans six mois parce que la production se met en route maintenant. Le film s’appelle, ça suffit le titre pour l’instant : Ma femme va avoir une voiture. J’ai pas envie de vous le raconter.
P.S. : Juste une ligne !
Michel Piccoli : Mais le titre, c’est bien, non ?
F.A. : Déjà, C’est pas tout à fait la vie dont j’avais rêvé, ça en disait long comme titre…
Michel Piccoli : Oui, et le premier, Alors voilà, c’est bien aussi, parce qu’on n’arrivait pas à trouver un titre et je suis arrivé un jour au montage et j’ai dit : « Si on appelait ça, Alors voilà, ? » Et la monteuse a dit : « Très bien. »
P.S. : Et ce désir que vous avez eu de passer derrière la caméra pour faire du cinéma, est-ce que vous avez eu le même désir par rapport au théâtre ?
Michel Piccoli : Non, j’ai fait une fois une mise en scène.
F.A. : On pourrait peut-être parler maintenant de la politique culturelle en France. André Engel dit que le projet comme Lear, on ne peut plus le faire aujourd’hui, à part 4 ou 5 théâtres. Les subventions sont en baisse. Quel est votre regard là-dessus ?
Michel Piccoli : Je pense qu’à tout nouveau gouvernement, il doit y avoir, comme dit trop souvent Mr Sarkozy, une relance.
P.S. : Mais il parlait de rupture, lui.
Michel Piccoli : Oui, mais ça peut être bien d’avoir une rupture pour faire une relance. Sarkozy, c’est quand même une rupture, non ? Mais ce n’est certainement pas un homme qui a besoin des arts et de la culture pour naviguer dans la vie. Faut se rappeler quand même son show de la Concorde avec des artistes qui n’étaient quand même pas des beaux représentants de la culture française.
F.A : Mais il a envoyé une feuille de route à sa ministre pour dire que les subventions des théâtres seraient fonction de la rentabilité de leurs productions.
Michel Piccoli : Oui, mais ça pourrait être un discours d’un Président de la République, en effet, de voir la rentabilité de ces théâtres qui sont riches grâce à l’Etat, ont une assurance, et qui, grâce à ça, font du théâtre admirable et quelquefois coûteux. Et même, chaque fois, très coûteux. Le théâtre privé, c’est coûteux pour le spectateur, mais pas tellement pour le directeur du théâtre puisqu’il sait qu’il risque d’avoir des recettes conséquentes. Alors ce sont deux politiques tout à fait différentes et qui ne devraient pas s’opposer comme elles s’opposent en France. Je trouve ça d’une vulgarité et d’une médiocrité extraordinaires cette guerre théâtre privé-théâtre public.
« je pense que le Président de la République est à cent lieues de ce qu’est la culture »
F.A. : Lors des Entretiens de Valois, ils se sont parlés comme jamais. Sauf que les Entretiens n’ont rien donné.
Michel Piccoli : Il y a une telle méfiance, jalousie, admiration, fausse admiration, ou gêne de ne pas être un grand théâtre d’art mais d’être un théâtre de divertissement. Et pourtant, c’est très bien le divertissement, Guignol, c’est très bien. J’ai vu des pièces de boulevard nullissimes où les acteurs étaient splendides. Donc, je pense que le Président de la République est à cent lieues de ce qu’est la culture. Enfin, jusqu’à présent, il l’a montré. C’était d’une telle vulgarité à la Concorde que c’en était à pleurer. C’est un signe, non ? Qu’on fasse défiler les militaires le 14 juillet avec de beaux costumes, pourquoi pas ? Ça me passionne pas du tout, mais pourquoi ne pas penser aux beaux costumes que peuvent avoir les artistes, les acteurs, les chanteurs ? Il semblerait que pour l’instant, cette politique culturelle n’est absolument pas engagée. C’est dans le vide et c’est très inquiétant, parce qu’il y a en plus querelles entre l’Etat et les collectivités territoriales. L’Etat dit : maintenant, les collectivités locales font tout, mais c’est elles qui subventionnent heureusement le théâtre. C’est très bien que les collectivités locales s’occupent de la culture, mais c’est quand même restreint, non ? Dans le domaine de recherche, ou même de choix d’œuvres, c’est forcément restreint. Pourquoi le ministère de la culture qui a quand même été génial depuis qu’il existe, pourquoi on le supprimerait ? Pourquoi est-ce que Mr Aillagon qui a été un ministre de la culture a osé faire paraître dans un journal assez lu et dit quand même sérieux, un article pareil ? C’est une honte. Et est-ce que ce n’est pas un coup de fil de Mr Sarkozy ? Il y a quelque chose, là… Alors, pour l’instant, c’est un ministère dans le vide.
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F.A. : Oui, enfin, ils sont assez offensifs quand même. Je pense à l’histoire de la MC93 avec la Comédie-Française. Là, il est pas dans le vide le ministère.
Michel Piccoli : Il n’est pas dans le vide, mais il a été maladroit. Il n’était pas professionnel.
F.A. : Le fait du prince ?
Michel Piccoli : Le fait du prince de quelqu’un du ministère, pas forcément la ministre, je crois qu’elle est là pour pas très longtemps.
F.A. : C’est Georges-François Hirsch qui mène un peu les affaires.
Michel Piccoli : C’est un fiasco terrible cette idée. Si ça avait été présenté autrement, en disant, mais pourquoi est-ce que les théâtres subventionnés comme la Comédie-Française ne viennent pas jouer à Paris, et pas seulement jouer à Lyon, à Marseille, ils ont chacun leurs lieux… Excusez-moi, mais il aurait fallu qu’il y ait un grand débat : est-ce qu’on peut renforcer la culture ? Est-ce qu’on peut élargir la culture ? On aurait pu dire : Chaillot accueillera les maisons de la culture et la Comédie-Française. Pourquoi la Comédie-Française n’irait pas jouer à Chaillot ? Pourquoi ne va-t-elle jamais nulle part ?
F.A. : Si, mais c’est des tournées dans le monde, Etats-Unis.
P.S. : Et à Gennevilliers, ils ont des accords avec Pascal Rambert, le directeur et ils font des créations à Gennevilliers avec des acteurs de la troupe du Français
Michel Piccoli : Alors, pourquoi ne pas faire ça avec toutes les maisons de la culture ?
P.S. : C’est ce qu’ont proposé plusieurs centres dramatiques dans une lettre. Pourquoi Bobigny et pourquoi pas nous ?
Michel Piccoli : Ça coûterait des sous ? Ils n’ont qu’à faire des décors comme on fait tous dans les théâtres subventionnés, on fait des décors en fonction de leur coût. Mais pourquoi annexer un théâtre qui est un théâtre extrêmement vivant ? Ça aurait été beau de dire ça : la Comédie Française va non pas envahir les maisons de la culture, mais va être deux fois par an, partenaire de… Alors, au contraire, pourquoi ne pas « désolenniser », avec tout le respect que ça mérite et toute la grandeur que ça aurait pu avoir, et que la Comédie-Française devienne un théâtre populaire ? Mais dans le bon sens et ça n’empêcherait pas d’appeler ça la maison de Molière. Mais c’est mon humeur personnelle et ça n’engage que moi : qu’est-ce que ça veut dire que des acteurs dirigent un théâtre ? A quel titre ? Pourquoi ne pas faire appel à des gens extérieurs ? Qu’est-ce que c’est que ce vase et ce monde clos ? Enfin, il est artistiquement clos.
P.S. : C’est la troupe, l’inverse de votre parcours qui va chercher ici et là. Eux, c’est comme une famille et tout se passe à l’intérieur de la famille.
Michel Piccoli : Ah oui, mais il faut quitter la famille. Dans la vie, il faut quitter la famille, ça ne veut pas dire qu’on la trahit ou qu’on ne téléphone pas tous les jours à sa maman. Quitter la famille, merde. Et créer une autre famille. Il faudrait un renouvellement, et des acteurs de l’extérieur. Qu’est-ce que ça veut dire un monde clos et fermé dans sa suffisance d’être le théâtre de Molière ? J’y ai vu des spectacles merveilleux, mais ils ont une mentalité déplorable, insupportable.
F.A. : Barack Obama va devenir le 20 janvier le 44ème Président des Etats-Unis. Qu’est-ce que cette investiture vous inspire ?
Michel Piccoli : Je suis très fier d’être le compagnon de route de Barack Obama. (rires) Mais il y a une chose qui me terrifie pour nous tous, pas pour lui parce qu’il a sûrement l’intelligence et l’énergie, c’est quand en France on l’appelle le Président du monde. Ça, c’est catastrophique, pour nous d’abord, et pour lui, parce que la moindre erreur qu’il va faire, ou la moindre difficulté, et puis il en fera des erreurs, il en aura des difficultés, pourquoi le prendre pour notre président ? On est perdus à ce point… Alors, vive Obama s’il peut nous redonner goût à la politique, s’il peut redonner énergie à la politique. C’est pour ça que je suis « obamaniste ». Mais vous me direz que notre président a aussi une énergie… mais son énergie n’arrivera jamais à me convaincre, tandis que je suis très content de son « collègue » et j’espère qu’il sera une sorte de phare pour le monde, et non pas président du monde. Etre un phare pour le monde, c’est déjà gigantesque.
P.S. : Même historiquement, le fait qu’il accède à cette fonction, c’est un chamboulement…
Michel Piccoli : C’est un chamboulement génial. J’ai une amie qui vit aux Etats-Unis et qui m’a dit que les gens étaient d’une émotion et d’une sensibilité extraordinaires.. C’est un événement sublime pour la vie. Et c’est un homme qui, par la présence et le physique qu’il a, n’a pas l’air d’être fatigué d’être homme politique. Il va avoir un langage qu’on n’aura jamais entendu.
Fabienne Arvers et Patrick Sourd
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