Une adaptation de Jane Austen très enlevée, par l’un des plus subtils et malicieux sismographes du sentiment amoureux.
New York, 1990. Un garçon et une fille discutent littérature, assis sur un escalier, à l’occasion d’un bal dans un appartement bourgeois. Le garçon argue : “Le contexte du roman (Mansfield Park), et pratiquement tout ce qu’a écrit Jane Austen, est proche du ridicule du point de vue de notre époque.” La fille, piquée, lui rétorque : “Mais ne t’est-il pas venu à l’esprit que notre époque, du point de vue de Jane Austen, pourrait paraître encore pire ?” Bim.
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Tout Whit Stillman tient dans cette joute verbale, l’une des nombreuses qui émaillaient Metropolitan, son premier film, que certains voyaient déjà, justement, comme une adaptation masquée de Mansfield Park. Aussi, nulle surprise si le cinéaste remonte aujourd’hui à la source, en adaptant Love & Friendship, un court roman épistolaire de l’écrivaine britannique.
Le duo d’enfer des Derniers Jours du disco à nouveau réuni
Angleterre, 1790. Une femme et sa fille descendent d’un pas pressé les escaliers d’un manoir et s’engouffrent dans un carrosse. Elles laissent derrière elles un amant éploré, une femme trompée et un prétendant déçu. La femme, forcément fatale, c’est Lady Jane, ou Kate Beckinsale, dont le petit nez pointu et anachronique fait ici des miracles (ou des ravages, selon le point de vue).
Après cette première scène brève et élancée (soutenue par la belle musique de Benjamin Esdraffo, transfuge de la bande à Bozon), nous la retrouvons chez sa meilleure amie, Mrs. Alicia, jouée par la malicieuse Chloë Sevigny. Duo d’enfer des Derniers Jours du disco, à nouveau réuni dix-huit ans plus tard, les deux dames devisent là sur la meilleure façon de mettre la main sur un mari – et sa fortune.
Il serait vain de chercher ici à démêler les intrigues amoureuses de Love & Friendship. Dès les premières minutes, consacrées à une présentation exhaustive des personnages qui donne le tournis et paraît presque gaguesque, le film fonctionne sur le principe du coup d’avance, comme aux échecs.
Stillman choisit la vitesse et le mouvement
Pour éviter de s’embourber dans les froufrous des robes (piège typique du film en costumes), Stillman choisit la vitesse et le mouvement, dégraisse un maximum, et teinte les dialogues d’Austen d’une ironie cinglante qui pourtant ne cloue personne au pilori — le “pas très futé” et hilarant sir James Martin est ainsi l’un des personnages les plus touchants.
Même si, de par sa complexité, il faut un certain temps pour entrer dans sa toile, les fils tendus par l’arachnéenne Lady Jane se rejoignent peu à peu et finissent par se refermer dans une conclusion étourdissante. En 1790 comme aujourd’hui, si le ridicule ne tue pas, il est toujours aussi délectable.
Love & Friendship de Whit Stillman (Irl., P.-B., Fr., E.-U., 2015, 1 h 32)
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