Héros de l’underground londonien et proche de King Krule, Jerkcurb se révèle en version moderne et déglinguée de Roy Orbison. Ce jeune touche-à-tout sera l’une des grandes attractions des Inrocks Festival.
L’année dernière, pour un article sur l’insolente fertilité musicale de Peckham, on rencontrait groupes, promoteurs ou journalistes implantés dans le quartier sud-londonien. Tous lâchaient deux noms comme point de départ de cette scène jeune, électrique, solidaire et agitée. D’abord les chauds Fat White Family, qui à force de concerts sauvages avaient converti au chaos, au bordel et au rock toute une génération d’ados locaux. Le second nom était celui d’un jeune homme moins sulfureux, aux actions moins spectaculaires, aux chansons moins outrancières : Jerkcurb.
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“Gamin, je n’étais pourtant pas cool du tout”, dit celui-ci en se souvenant avoir été le seul de son école à écouter des guitares plutôt que du dubstep. Des années plus tard, il est pourtant devenu un phare dans la nuit de Peckham, à la fois musicien, ambassadeur, graphiste, animateur, artiste brut et rappeur occasionnel. “Chaque activité se nourrit de l’autre”, analyse-t-il.
Infidèle à tout dogme
Quand on le retrouve chez lui, il exhibe pour le prouver une Dymo et ouvre une boîte remplie de petites phrases autocollantes. “Certaines que j’avais gardées pour un collage peuvent devenir un refrain. D’autres finissent sur un tableau. Je collectionne aussi les cartes postales étranges et elles infusent toutes mes activités. Mais la musique a toujours le dernier mot.”
Jerkcurb est un touche-à-tout, un infidèle à tout dogme. Pas étonnant donc qu’on le retrouve régulièrement aux côtés de King Krule dans un énième projet parallèle. Ils ont commencé à jouer ensemble en 2009. King Krule n’avait que 14 ans, Jerkcurb 16. Il était pourtant déjà un vétéran, rappant avec son cousin new-yorkais ou composant rock et pop depuis ses 13 ans. Depuis la maison d’artistes de ses parents, où il est revenu vivre, il montre par la fenêtre une façade : la maison où a grandi King Krule. “Je le connais depuis qu’il est bébé, son frère Jack est mon plus vieil ami. Quand nous étions gosses, leur mère nous faisait des costumes d’extraterrestres.”
“Comment peut-on faire de la pop quand la vie n’a été qu’une longue tragédie ?”
Ce qui expliquerait à quel point Jerkcurb n’appartient pas à notre monde. Lunaire voire cosmique, le jeune homme est une créature de la nuit, peu portée sur la vie en plein air. Un geek, qui passerait volontiers sa vie avec son Mac. “Je crois que je souffre d’une sérieuse addiction au net. Le problème des fils uniques de ma génération.” Victime d’insomnies cauchemardesques, il appartient aux populations bis qui s’emparent des cités dès que les autres dorment. Dans ses peintures et lithos, ses visions de la nuit sont floues, déformées par la gnôle, exacerbées en une dystopie infatigable.
Ses chansons, que l’on découvrira sur un premier album en 2018, sont tristes, nostalgiques de ce qui ne fut jamais mais, bizarrement, elles sont sauvées du malheur par leur romantisme et une affabilité de crooner. Une élégance apprise, obsessivement, chez le maître du genre Roy Orbison. “Je l’ai découvert chez David Lynch. J’ai immédiatement été happé par sa voix et son style très personnel de narration, sans répétition ; c’est comme un petit film à chaque fois. Comment peut-on faire de la pop quand la vie n’a été qu’une longue tragédie ?”
Nonchalance à l’américaine
L’an passé, pour décrire sa musique, Jerkcurb parlait d’une “cavalcade à bord du train fantôme”. La fête foraine, ses néons torves, son brassage braillard et ses frissons canailles reste un belle analogie de ce songwriting malsain, malaisé. Certes, le son éclectique et cool de Peckham a déjà été capturé par d’autres locaux, du DJ Bradley Zero à King Krule. Mais, américain par sa mère new-yorkaise, Jerkcurb a rajouté cette nonchalance typique du rock en basse fidélité.
“J’ai grandi avec les disques de Ween, de Smog, avec ce génie musical déguisé en désinvolture… Je suis limité mais c’est ça qui est excitant : que faire de son incompétence, comment la dépasser ? La musique a toujours été une échappatoire pour moi et le quartier de Brooklyn de mon cousin nourrissait alors mon imaginaire, mes rêves.”
On lui demande ce qu’il a fait de Jacob Read, son patronyme de naissance. “Pour faire de la musique, monter sur scène, il me fallait un double. C’est un collègue avec qui je bossais gamin, à la poste, qui m’a fourni le nom. Il parlait à peine anglais et voulait mon 06. Comme contact, sur son téléphone, il a écrit ce qu’il pensait être Jacob : Jerkcurb.”
Concert Le 24 novembre à Paris (Casino de Paris), dans le cadre des Inrocks Festival, avec LOST, Denai Moore et Ibeyi
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