Pendant toute la période où devait se tenir la 73eme édition du festival de Cannes, nous évoquons un temps fort de la légende cannoise, assorti d’une archive d’époque. Aujourd’hui, une femme au foyer qui prépare son dîner peut faire disjoncter le festival de Cannes. Tribute to Jeanne Dielman, le chef-d’œuvre féministe de Chantal Akerman
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Sur l’écran, la plus élégante des femmes françaises, dont Coco Chanel a modelé l’image cinématographique, de la robe en plumes de L’année dernière à Marienbad au tailleur crème à boutons dorés de Baisers volés, porte un tablier bleu pale de ménagère lambda. Delphine Seyrig est Jeanne Dielman, et Jeanne Dielman est le plus souvent dans sa cuisine. Elle frotte ses escalopes de veau dans la levure, elle pèle une par une ses pommes de terre, elle sort de la vaisselle des placards et la dispose sur la table, avant de la ranger avec un soin maniaque. Tout ça bien sûr en durée réelle, et pendant trois heures vingt, sous l’œil hautement analytique d’une jeune cinéaste belge de 25 ans, Chantal Akerman. Son objet ? Filmer des actions domestiques quotidiennes dans une durée proche du temps réel pour enregistrer quelque chose de jamais vu : une construction sociale (la femme au foyer) qui ne tolère aucune extériorité, une aliénation consentie qui, si on en dérègle les procédures, aboutit à une catastrophe.
En mai 1975 est posée sur la croisette une des pierres les plus fondatrices de l’art féministe : Jeanne Dielmann, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles, deuxième long-métrage de Chantal Akerman. Bien sûr, ce n’est pas la sélection officielle qui prend le risque d’exposer un tel brûlot expérimental, mais une section parallèle, fondée sur les pavés encore brûlants de mai 68 et en charge d’explorer des contrées de cinéma un peu plus novatrices que la Selection officielle : la Quinzaine des réalisateurs.
L’un des plus beaux scandales de la légende cannoise
La présentation de Jeanne Dielman comptera parmi les plus beaux scandales de la croisette : à chaque programmation, les fauteuils claquent sans interruption. Une partie de la presse hurle son ennui. Une minorité éclairée voit là une entaille féconde à tous les automatismes de la représentation. A la fin de la projection, Marguerite Duras, qui présente cette année-là India Song en Sélection officielle, vient féliciter Chantal Akerman et leur actrice commune Delphine Seyrig. « Cette femme est folle« , scande-t-elle dans son registre de grande pythie définitive. Dans l’archive ci-jointe, Chantal Akerman raconte la genèse et le destin de son chef-d’œuvre absolu.
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