Un moyen-métrage alerte et inspiré avec Beatrice Dalle en cinéaste et Charlotte Gainsbourg en actrice.
Une chose qu’on ne peut enlever à Gaspar Noé : voilà quelqu’un qui annonce la couleur. Dans Lux Æterna, son moyen-métrage de 50 minutes présenté en séance de minuit, c’est le rouge, le vert et le bleu qui dominent — les trois couleurs de base d’une image, tels ses nucléotides. Et elles clignotent, vite, très vite, dans une sublime séquence finale suivie d’un non moins sublime générique, comme pour provoquer une crise d’épilepsie. C’est annoncé, d’emblée, par une citation de Dostoïevski sur le plaisir qui se manifeste une seconde avant la crise.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Bien sûr, tout le monde n’est pas épileptique, mais l’idée est là : c’est au cœur du mal (ou du moins sur son pourtour) que poussent les plus belles fleurs. Ou encore, maintenant que tout le monde sait à quoi ressemble un trou noir : c’est sur son orbite, son « horizon des événements », que gravite la plus éternelle des lumières (« Lux Æterna« ).
Des femmes sur un plateau
Pour appuyer sa thèse, Noé ne cite pas Baudelaire mais Benjamin Christensen (avec des extraits de La Sorcellerie à travers les âges), Carl Theodor Dreyer (Dies Irae), Jean-Luc Godard, Lars Von Trier ou encore Rainer Werner Fassbinder — tous désignés ici par leur seul prénom, comme des apôtres. C’est que Lux Æterna, à défaut d’être un film chrétien, est un film obsédé par le christianisme, sa croix, son prophète, ses sorcières qu’on brûla, et sa souffrance qu’on érige (encore) en art.
Mais Noé, comme son personnage principal (une réalisatrice nommée Beatrice Dalle interprétée par Béatrice Dalle), n’est pas, et n’a jamais été, du côté du Clergé. Leur christianisme à eux est celui des « Sans Roi » (pour citer Pacôme Thiellement), des mystiques ou des sorcières donc, de tous ceux que l’Eglise a cramés pour cause d’hérésie — et qui peut-être, c’est tout le paradoxe, y ont pris du plaisir.
Annoncer la couleur disions-nous : après son prologue cinéphile, Noé affiche très littéralement sa thèse par une discussion entre Sainte Beatrice (Dalle, la réal) et Sainte Charlotte (Gainsbourg, la sorcière vontrierienne). « T’as déjà été sur un bûcher toi ?« , demande la première. « Non, répond la seconde, j’ai seulement brûlé dans une tente » (dans Melancholia). « Tu vas voir c’est super !« . Cette conversation d’une vingtaine de minutes entre une cinéaste et sa comédienne est sans nul doute ce que Noé a filmé de plus amusant, et de mieux écrit (même si ce fut apparemment improvisé). On le croyait sadique et provocateur (il le reste, mais beaucoup moins qu’à l’accoutumée), on le découvre aussi comique. Et le rire lui fait un bien fou.
Lux Æterna se présente ainsi comme un meta-film (à la Nuit américaine, si l’on veut), où les emmerdes volent en escadrilles, avec une drôlerie qui n’a d’égale que la cruauté. Noé dévoile la misogynie crasse qui peut régner sur un plateau (lorsque le producteur et le chef op’ complotent contre la réalisatrice, forcément incompétente à leurs yeux), tandis qu’autour s’agite tout un petit monde d’assistants, de sangsues et de boulets, saisis en split-screen et en multi-format (pellicule vs. numérique) dans un tourbillonnant chaos destructeur. Et c’est au cœur de ce chaos, dans cette souffrance, que, pourtant, se crée quelque chose : la grâce, enfin, sur le visage d’une actrice.
Lux Æterna de Gaspar Noé, avec Béatrice Dalle, Charlotte Gainsbourg, Félix Maritaud (France, 2019, 0h50)
Séance de minuit
{"type":"Banniere-Basse"}