La brillante cinéaste argentine du début des années 2000, un peu sortie des radars depuis, revient avec un film-trip méditatif enchanteur.
Dresser la liste plurinationale des producteurs de ce film, longue comme un tableau de huitièmes de finale de Coupe du monde, est un indicateur de la difficulté croissante à monter des projets d’auteurs de cinéma singuliers. Pourtant, avec cet incroyable Zama, Lucrecia Martel nous plonge dans le monde de l’invention, de la sensation, de l’onirisme, d’un état esthético-mental entre chien réel et loup imaginaire.
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Zama nous emmène quelque part en Amérique latine et quelque part au XVIIIe siècle (rien n’est exactement précisé), dans un ailleurs qui évoque le temps des conquistadors : le personnage central, Don Diego de Zama, est juge, en service dans les zones reculées du Gran Chaco. Il traîne son ennui et sa mélancolie, aimerait être muté à Buenos Aires, retrouver un peu de “civilisation”. Voilà le pitch. Et autant prévenir avec force, le film pulvérise cette trame de base de toute sa puissance d’expression. Martel déroule des plans incroyables, bruissants, mystérieux, métissés, grouillant de personnages, de couleurs, de volutes et de matières, comme des toiles de Géricault ou de Delacroix recomposées par un fumeur d’opium.
On ne saisit pas tous les détails des aventures de Zama, et ça n’a strictement aucune importance tant le film transporte comme un songe, emporte comme une hallucination. Notre juge à la triste figure finit par prendre le départ avec une troupe, traverse des paysages incroyables, croise des tribus indiennes, et là, le film dérive vers le trip difficilement racontable si ce n’est que la colonisation, la violence et la mort y tiennent une bonne part. Si l’on ne saurait mettre tous les points sur les “i” de ce récit, quelques références de cinéma viennent à nos esprits embrumés : Aguirre, Apocalypse Now, Dead Man, Jauja, Inherent Vice ou encore La Ciénaga, superbe film avec lequel on avait découvert la trop rare Lucrecia Martel il y a presque vingt ans.
Autant dire que Zama, ce n’est pas du ciné-roman, du ciné-message, du ciné réductible en quelques lignes de pitch mais du cinexpérience, cette chose de plus en plus rare que le cinéma ne fabrique hélas plus beaucoup (et que l’on n’attend pas des séries télé) : un voyage vers d’autres zones de sensibilité et de conscience que les sempiternelles mécaniques scénaristiques cartographiant un “ici et maintenant” sursaturé par mille projets et mille écrans, une aventure transfrontières qu’annonçait finalement assez bien la mosaïque de financements internationaux évoquée en préambule.
Zama de Lucrecia Martel (Arg., Bré., Esp., Rép. Dom., Fr., Mex., Por., P.-B., Sui., E.-U., Lib., 2018, 1 h 55)
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