Suite aux témoignages de deux anciens assistants parlementaires du FN qui accusent un de leurs députés de harcèlement sexuel, le parti d’extrême droite a trouvé une parade : décrédibiliser les victimes.
« Tout le monde est au courant de ces agissements mais tout le monde se tait. » Mickaël Ehrminger, ancien assistant parlementaire du Front National accuse un député, « proche incontournable de Marine Le Pen », de harcèlement sexuel dans un reportage diffusé sur France 5 dimanche 12 novembre. Se joint à lui, Alexandre Benoit qui, ayant connu le même sort, préfère lui aussi taire le nom de l’agresseur présumé : « Si je le fais sans citer son nom […] c’est pour ne pas m’exposer trop aux menaces, aux pressions qui viendront de ce parti. »
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"Tout le monde sait mais personne ne dit rien parce qu'il faut préserver la cause".
Ce soir, reportage exclusif de #CPol sur le harcèlement sexuel au sein des partis politiques.
👉 RDV à 18h35 sur @France5tv pic.twitter.com/6ew3kQzp9A— C Politique (@CPolF5) November 12, 2017
« Ne pas tomber dans la caricature »
Interrogé sur ces révélations à l’antenne de Sud Radio, le 14 novembre, Louis Aliot, député FN des Pyrénées-Orientales, relativise les faits : « Il ne faut pas non plus tomber dans la caricature permanente où les gens s’accusent, les uns, les autres. »
L’élu, tout en insistant sur la présomption d’innocence, tente de disqualifier le témoignage d’Alexandre Benoît. « J’ai vu que Closer, qui a sorti cette affaire-là [il s’agit en réalité de France 5], a pris pour argent comptant les dires d’un ancien assistant qui lui tweete des choses antisémites en faveur de Soral, etc. Je trouvais ça assez curieux… « , se défend-il.
Des histoires d’amour qui finissent mal
Le Front national est relativement coutumier de ces tentatives de décrédibilisation comme le souligne le « Lab Politique » d’Europe 1. Début novembre, un article du Monde révélait le harcèlement sexuel dont deux femmes auraient été victimes au sein du parti d’extrême droite. Dans un courrier adressé à Marine Le Pen, le 7 septembre, Aurélie Cournet, conseillère régionale FN d’Île-de-France accusait son collègue Pierre-Charles Cherrier : « Il m’a piégée en m’entraînant jusqu’à l’intérieur de la salle de réunion du conseil régional, où il m’a arraché ma robe puis m’a giflée et m’a ensuite poussée violemment contre le mur où je me suis écroulée par terre. »
Le 5 novembre, invitée sur le plateau de l’émission Dimanche en politique, diffusée sur France 3, Marine Le Pen avait, là encore, retourné l’accusation pour noyer le poisson. Tout en qualifiant l’article du quotidien de « profondément scandaleux », elle a distingué le harcèlement sexuel des présentes histoires apparentées à des ruptures sentimentales « qui se sont mal passées. »
Avant d’ajouter, en référence à l’ouvrage de Fabrice Thomas, Saint Laurent et moi : une histoire intime: « Mais peut-être est ce pour détourner le regard des horreurs que l’on apprend sur l’ancien propriétaire du Monde, Pierre Bergé, qui est accusé dans un livre d’avoir autorisé des actes de pédophilie dans sa maison de Marrakech. »
Une double omerta
Assia Hebbache, membre du collectif Chair Collaboratrice qui a mis en place un site web recensant des témoignages de victimes du sexisme à l’œuvre dans la sphère politique, revient sur le statut particulier des collaborateur.ice.s. « A l’Assemblée, il y a certes des rumeurs sur des hommes politiques mais les députés n’ont pas la même attitude avec nous autres collaboratrices qu’avec une femme qui est elle-même députée », explique-t-elle. « Si on rapporte à une députée les agissements d’un tel, elle peut être étonnée car il ne se sera pas nécessairement permis les mêmes agissements avec elle. » « Nous sommes confrontés à différents niveaux de connaissance. »
"Et en plus elle parle ?" #ChairCollaboratricehttps://t.co/gYq15zfmH1
— Chair collaboratrice (@chaircollab) October 27, 2016
Le silence fait loi « sous peine de mort politique »
L’omerta qui règne sur le milieu politique est elle-même sujette à différents facteurs. La pression qui pèse sur les membres du FN ayant témoigné dimanche dernier – et qui ne se limite pas au parti d’extrême droite – est le fruit de « deux mouvements simultanés », analyse Assia Hebbache. D’une part, « c’est un univers dur où on ne peut pas se permettre d’avoir le statut de victime, qu’on soit un homme ou une femme, de peur de fragiliser notre potentielle carrière, notre évolution dans le monde politique », et en même temps : « On ne va pas dénoncer ce genre d’agissements pour ne pas desservir le discours politique, salir notre cause. »
« La peur change de camp »
Certes, l’assistante parlementaire admet que le silence fait loi « sous peine de mort politique ». Le sentiment d’impunité dont jouissent certains élus serait encore très prégnant et face à la décrédibilisation systématique des victimes, elle déplore que le sujet ne soit « pas souvent pris au sérieux » et que « beaucoup d’affaires se règlent en interne. »
Néanmoins, elle remarque, également, depuis les révélations en chaîne de ces dernières semaines, les prémices d’une prise de conscience : « La peur change de camp. Ce n’est pas qu’une expression. Certains hommes politiques sont désormais forcés de réfléchir à ce sujet. »
A ce propos, Assia Hebbache rappelle que les problèmes de sexisme excèdent, bien évidemment le monde politique et qu’en conclusion, il s’agit, avant tout, de mener une « bataille idéologique et culturelle. »
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