Toujours drôle, la série d’Arte, écrite par un ex-auteur des Guignols et scénariste des deux OSS 117 livre un portrait sans concessions d’une puissance coloniale raciste et sexiste.
Si l’Hexagone se regarde (un peu) vaciller en tant que nation “parfaite” à travers ses séries, Au service de la France – avec quelques autres – n’y est pas pour rien. Ces “quelques autres” se nomment Un village français, qui a scanné durant sept saisons l’histoire d’un patelin du Jura pendant la Seconde Guerre mondiale entre résistants et collabos, ou encore Le Bureau des légendes, la plongée d’Eric Rochant au cœur de l’espionnage français, en prise directe avec les soubresauts géopolitiques contemporains.
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Dans ce micro-bataillon de drames étudiés pour faire réfléchir sur l’état des forces sociales et politiques du pays, sur son histoire et son imaginaire profond, la série de Jean-François Halin (ex des Guignols grande époque, scénariste des films OSS 117) trouve sa singularité en essayant de faire rire. Ce qui n’a rien d’évident quand on s’intéresse à la période clé du début des années 1960 dans la France gaulliste et toujours colonialiste.
https://www.youtube.com/watch?v=hUcr1VVmeO0
La première saison de cette comédie en épisodes de trente minutes s’intéressait à l’année 1960. Nous sommes désormais douze mois plus tard, toujours dans le service des renseignements dirigé par le colonel Mercaillon (Wilfred Benaïche), un genre de sosie du général de Gaulle au passé trouble durant la guerre – euphémisme : nous sommes en présence d’un vrai salaud.
Des agents tous un peu plus incompétents les uns que les autres
Le jeune André Merlaux (Hugo Becker), soi-disant éliminé en fin de première saison par ses propres collègues, refait surface. S’ensuit une nouvelle glissade rocambolesque autour de divers agents tous un peu plus incompétents les uns que les autres, sur plusieurs théâtres des opérations géopolitiques, de Cuba à l’Algérie.
Par rapport à la première salve d’épisodes, le saut qualitatif réussi par Au service de la France dans cette nouvelle saison est notable. Peut-être parce que la réalisation désormais plus rythmée a changé de mains – confiée à Alexis Charrier en remplacement d’Alexandre Courtès – mais peut-être aussi parce que Jean-François Halin a décidé, comme tout bon scénariste de comédie, de prendre ses personnages et son sujet plus que jamais au sérieux.
https://www.youtube.com/watch?v=L-Jxj37d6_4
Voilà comment, à travers ses envolées slapstick plutôt élégantes malgré l’angle franchouillard et à moustaches du sujet, la série parvient à détruire férocement l’illusion de puissance qui tenait encore lieu de religion en France il y a plus d’un demi-siècle.
Des soldats rances qui s’accrochent à un monde finissant
Le pays que montre Halin n’est pas vraiment celui de la Nouvelle Vague (Paris nous appartient de Rivette et Une femme est une femme de Godard sont sortis en 1961) mais celui que tiennent des soldats rances qui s’accrochent à un monde finissant. La série accompagne une décadence qui n’a peut-être pas trouvé de fin, puisque la plupart des thèmes abordés ici – racisme individuel et institutionnel, sexisme – sont toujours brûlants dans la France de 2018.
Les scènes liées à l’Algérie et à l’émergence du FLN sont souvent saisissantes, malaisantes même, dans ce qu’elles révèlent de l’idéologie raciste d’un pays dont les agents traitent à peu près toute personne étrangère comme un animal de compagnie.
Une mise au point assez terrible que l’on pourrait identifier comme l’effet Mad Men, qui décrivait entre deux gorgées de whisky stylisées l’enfer américain des sixties pour les minorités. La puissance tellurique de la série de Matthew Weiner reste évidemment loin, mais Au service de la France tire son épingle du jeu en allant au-delà de la recherche systématique de la blague.
Une série comique capable de muter en série politique ou d’aventures
Cette saison aussi sérieuse que sautillante trouve un souffle assez inattendu, par exemple, dans la trajectoire d’Irène (Stéphanie Fatout), l’épouse insatisfaite du colonel. Une représentation assez rare de femme quinquagénaire qui décide de prendre en main sa sexualité et son désir.
Quand la récente série de France 2 Speakerine se vautrait sur un sujet relativement proche, la création de Jean-François Halin trouve le fond et la fantaisie nécessaires – y compris un hommage charmant à Jacques Demy – pour donner envie de la suivre.
Elle s’affirme finalement comme une série comique mais pas seulement, capable de muter en série politique ou d’aventures. Dans le contexte non joyeux de la fiction française, ce serait dommage de bouder. Olivier Joyard
Au service de la France Saison 2 tous les jeudis jusqu’au 26 juillet sur Arte. Disponible en VOD et DVD
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