Tous les mois, Les Inrocks vous proposent de découvrir un·e youtubeur·se que vous ne connaissez (peut-être) pas encore. Aujourd’hui, Clararunaway, une jeune vidéaste qui décrypte séries et films avec autodérision et pédagogie.
Le 16 avril, Clara, jeune vidéaste ciné opérant sur la chaîne YouTube Clararunaway, passait le cap symbolique des 10.000 abonné·es. Quinze jours plus tard à peine, c’est la barre des 50.000 abonné·es qui est franchie. “Honnêtement, je n’ai rien compris”, s’amuse aujourd’hui la jeune femme, contactée par Les Inrocks. Cette explosion soudaine de visibilité est rare dans le YouTube saturé de 2020, mais elle vient récompenser le travail d’une vidéaste qui a décidé, dès le départ, d’affirmer sa passion décomplexée pour le cinéma.
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La “naissance” en Corée
Discutez quelques minutes avec Clara de son parcours, et il est fort probable que la Corée du Sud débarque très vite dans vos échanges. Parce qu’elle en a étudié la langue à l’université, mais aussi parce qu’elle y a vécu pendant plusieurs mois. Une expérience qui a profondément marqué sa vie : “Mes études à Clermont-Ferrand se passaient mal, et la découverte de la Corée, de sa culture et de sa langue a été très marquante pour moi. Je me sentais plus proche de leur façon d’être. Je pense vraiment que je suis née en Corée, que je suis devenu moi-même là-bas. C’était une vraie libération.” Grâce à un groupe d’étudiant·es cinéphiles, elle explore le cinéma coréen, aujourd’hui célébré jusqu’à Hollywood, avec la récente victoire de Parasite aux Oscars.
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Un apprentissage d’autant plus important car, contrairement à beaucoup de ses collègues vidéastes, l’enfance de Clara n’a pas été bercée par le cinéma. “Je suis fille unique, explique-t-elle. C’est la traduction de ‘Je me faisais chier très vite’. Donc je regardais des films, mais en boucle, et surtout pour m’occuper. Ce n’était pas un rapport de curiosité encore. Je détestais même les making-of que mon père voulait me faire regarder.”
Refuser l’élitisme cinéphile
A son retour en France, elle déménage à Lyon sans pour autant avoir de plan en tête. Elle multiplie les petits boulots, dans la comptabilité, dans l’événementiel en tant qu’hôtesse, et s’immerge progressivement dans la culture cinéphile de la ville, notamment via des festivals de courts-métrages et le mouvement international cinématographique Kino. Elle décide alors de ressortir sa caméra, rangée avant son départ en Corée et malgré une participation victorieuse au concours des Pouces d’Or, lancé par l’association Les Internettes, qui valorise la création féminine sur internet. “J’avais fait une fiction seule, tournée un été à Clermont-Ferrand. Ce prix m’a permis de m’acheter du bon matériel, et de commencer à tester des choses. Mais jusque-là, je gardais tout ça pour moi.”
Progressivement, elle se documente sur les coulisses de la création audiovisuelle, participe à des Kino et commence à réaliser, au fil de ses rencontres, des making-of, ces mêmes reportages qu’elle refusait de regarder étant enfant, ou même ses propres projets lors de Kino. “On avait participé ensemble à une Kino à Bordeaux, où on avait réalisé plusieurs choses ensemble, se souvient Inès Ella, comédienne et amie de Clara. On avait un temps limité pour nos projets, et je l’ai vu s’adapter à tout, tout le temps, elle ne s’arrêtait jamais avant d’obtenir ce qui lui convenait vraiment. Elle est à la fois très énergique et en même temps très calme et sereine quand elle travaille, elle sait où elle va.”
C’est à ce moment que Clara décide de relancer sa chaîne YouTube et de décortiquer les rouages du cinéma, et notamment du cinéma dit “populaire” : Pourquoi produit-on des reboots ? Comment gère-t-on la mort d’un acteur ? À quoi ça sert le box-office ? Avec autodérision, face caméra, elle creuse le sillon de sa propre curiosité cinéphile, tout en refusant l’élitisme qu’on y attache bien souvent.
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“Beaucoup de gens pensent qu’être légitime pour parler de cinéma, c’est avoir vu un minimum d’œuvres cultes, note Clara. Je me souviens du jour, il n’y a pas si longtemps, où j’ai dit que je n’avais pas vu 2001, L’Odyssée de l’espace : ça m’a attiré beaucoup de moqueries. Ce n’est pas parce qu’on ne commence pas par regarder les films cultes qu’on n’a pas le droit de s’intéresser aux autres. Il y a toujours quelque chose à raconter, à comprendre, quel que soit le film. Il y a quelques mois encore, je n’avais pas vu un seul Tarantino, mais je n’ai pas honte de ma cinéphilie, j’assume d’aimer High School Musical.”
“Le film est là, et Clara veut prendre ce qu’il a à donner, que ce soit dans la technique, la production, le jeu, la distribution, l’esthétique…, souligne Inès. Elle trouvera toujours un intérêt intellectuel, culturel, ou tout simplement sentimental dans une œuvre. Elle ne cherche pas à hiérarchiser un film par rapport à un autre, elle ne prend pas de plaisir à démonter un film.”
La dernière vidéo de Clara, publiée début avril, est justement consacrée aux débats permanents suscités par le cinéma. En remontant le fil de l’histoire de la critique, elle démontre l’absurdité d’une distinction de valeurs entre cinéma d’auteur et cinéma “populaire”. “Chacun vit le cinéma à sa manière, explique-t-elle en conclusion de sa vidéo. Et ne pas avoir vu tel ou tel classique ne vous rendra pas moins légitime à en parler ou à regarder le reste. Soyez curieux, regardez le cinéma qui vous fait envie.”
Bousculer un monde d’hommes
Et ce discours marche : au moment où l’on écrit ces lignes, Clara se rapproche doucement mais sûrement des 60.000 abonné·es. “Je ne réalise toujours pas ce que ça représente, mais je suis très contente de voir que certaines personnes ont découvert des films ou des réalisateurs grâce à moi. Mais désormais, je n’arrive pas à répondre à tous les commentaires, ça me fait un peu mal au cœur, car je suis avant tout une abonnée. Il faut que j’apprenne à faire le deuil de ça.” Si elle a déjà reçu des mails pour réaliser des partenariats, la vidéaste estime qu’il est encore trop tôt pour tenter de vivre de cette activité.
Sa mère lui a par pourtant permis de comprendre qu’elle était peut-être devenue la première YouTubeuse ciné de France… avec “seulement” 60.000 abonné·es. Car aujourd’hui encore, le YouTube ciné est largement dominé, comme le milieu de la critique dans les médias, par des hommes. Un créateur comme Le Fossoyeur de Films, qui a lancé sa chaîne il y a plus de sept ans, compte désormais plus de 740 000 abonné·es et réalise des documentaires en Nouvelle-Zélande, sur la piste du Seigneur des Anneaux. D’autres sont accrédités au festival de Cannes ou réalisent des partenariats avec des géants de l’industrie comme Netflix. “Je crois que je n’arrive pas à me reconnaître dans le YouTube ciné tel qu’il a été ces dernières années, estime Clara. Un des trucs qui me gêne, c’est qu’il y a vraiment une bataille pour comparer ses abonnés ou son temps de visionnage. Pour autant, je pense qu’il y a de plus en plus de gens qui ont conscience que ce milieu a besoin de nouvelles voix, et j’ai été vraiment bien accueillie.”
Ces nouvelles voix, on les a justement entendues ces dernières semaines sur YouTube, du dernier essai d’Amazing Lucy, 42 minutes passionnantes sur Portrait de la jeune fille en feu au documentaire de Zoé Trope sur la représentation des adolescentes dans les teen movies en passant par une vidéo explicative de « La Manie du cinéma sur l’histoire d’Hollywood ». Le succès et l’approche de Clara permettent donc de bousculer encore un peu plus le milieu très fermé du YouTube ciné et pourraient lui permettre d’effectuer un virage positif, sur le discours comme sur la forme. “J’aime beaucoup l’idée qu’on puisse créer simplement parce qu’on a envie de partager des choses avec les gens, conclut Clara. Et même si j’ai gagné beaucoup d’abonné·es d’un coup, je vais continuer à faire ce qui me plaît. Si un jour j’ai envie de faire une vidéo de moi qui danse pendant cinq minutes sur mon toit, ça sortira un peu de ma ligne édito, mais je le ferai.”
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