La traduction de Confession téméraire de l’Italienne Anita Pittoni révèle une auteure singulière, hors d’elle-même et hors la loi.
C’est toujours un choc vital que de découvrir un écrivain en état d’urgence. En l’occurrence l’Italienne Anita Pittoni, née en 1901 et morte en 1982 à Trieste, ville historiquement et culturellement cosmopolite (Joyce, Svevo, etc.). De cette base, Pittoni lance ses propres fusées. Un feu d’artifice. D’abord créatrice de mode, puis fondatrice après-guerre de la légendaire maison d’édition Lo Zilbadone, et pendant tous ces temps-là, infatigable écrivaine : poésies, notes, manifestes, journal ou « confession » qu’elle qualifie de « téméraire ».
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Ses angoisses et ses terreurs
Il faut être audacieuse en effet pour aussi systématiquement se dénigrer : « Je suis une femme dénuée de toute raison, incapable de sentiments. Franchement, je ne sais pas comment j’ai eu la force de me supporter. » Et d’ajouter, coup de grâce tiré au cœur de son écriture : « La vérité, c’est que je ne suis pas une écrivaine. » Vanité paradoxale ? Plutôt un doute acharné.
Elle cite souvent Nietzsche, son père porteur, mais c’est à Kafka que l’on songe
Quant à la « vérité », elle n’a rien à faire dans la collection de ses nouvelles expéditives qui sont comme des rêves brumeux virant pour la plupart au cauchemar. Sa ville, triste Trieste, comme un paysage alarmant de Chirico. Ses angoisses nocturnes, ses terreurs diurnes.
Une femme, pleinement
Engloutie dans les silences de son immense solitude, et cependant sereine, habitée d’un « gai savoir » quand elle s’attarde sur les faits et gestes de la journée et ses objets familiers. Une armoire à secrets, le bruit d’une casserole dans la cuisine, comme des créatures vivantes « qui semblent venir à ma rencontre, avides de caresses ». Ainsi d’un écheveau de chanvre que ses doigts démêlent comme la chevelure d’une sirène.
Elle cite souvent Nietzsche, son père porteur, mais c’est à Kafka que l’on songe. Comme lors de cette métamorphose où elle se vit comme un arbre : « Le tronc, les branches les plus grosses seraient faites d’amour, les feuilles, les fleurs, les rameaux les plus graciles, de toutes les autres choses qui me composent. » Anita Pittoni nous écrit autant qu’elle écrit. « Des bribes me viennent aux lèvres : ‘nous autres, ici-bas, nous autres, ici-bas…’, comme si ces misérables mots étaient seuls capables d’exprimer notre réalité humaine ». Une femme pleinement, terrienne et charnelle qui se caresse un sein tandis qu’elle écrit, qui se démène surtout pour devenir ce qu’elle est : une folle du logis, une dérangée de génie.
Confession téméraire (La Baconnière), traduit de l’italien par Marie Périer et Valérie Barranger, 216 p., 20 €
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