Aussi émouvant que courageux, le dernier épisode de “Game of Thrones” conclut avec brio l’une des séries les plus importantes de la décennie, le tout porté par une sobriété qui n’a d’égale que sa justice nécessaire.
Cet article comporte des révélations sur la série Game of Thrones, en particulier son dernier épisode en date.
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Seul, Tyrion marche effaré dans les rues de Port-Réal. Le sol sur lequel est peinte la carte de Westeros est craquelé. Face à cette destruction annoncée du monde, le dernier des Lannister constate que la ville dans laquelle il a grandi n’est plus. Et soudainement, le temps passé sur ces terres et dans ces décors nous frappe, nous rappelant que rien n’est immuable. Pas de doute, Game of Thrones touche à sa fin. Et quelle fin !
Si elle a été beaucoup critiquée pour certains de ses choix dramatiques expéditifs et sa courte durée (6 épisodes), cette saison 8 semble prendre un sens nouveau à l’aune de cet ultime chapitre, logiquement réalisé par ses deux créateurs, David Benioff et D.B. Weiss. Sec et tranchant, à l’instar de son principal twist, ce final nous renvoie à ce que l’on a toujours aimé dans le show, à savoir ses changements de points de vue brusques, symboles de relations humaines toutes contrôlées plus ou moins directement par le pouvoir et la folie qu’il engendre, tel un marionnettiste machiavélique. Dès lors, l’évolution brutale de Deanerys en tyran sanguinaire n’en est que plus évidente et fataliste – en plus d’avoir été amorcée depuis les premières saisons. Par la puissance d’un travelling circulaire renforçant la soif de domination de son héroïne tragique, la série nous remémore toute l’efficacité dont est capable son imagerie, ici plus crépusculaire que jamais.
La fin d’une époque
Pour un show qui a construit sa réputation sur sa cruauté, son pessimisme constant et sa volonté de tuer dans l’œuf ses rares touches d’idéalisme, Game of Thrones a toujours été le reflet d’une modernité apolitique, ne croyant plus dans les puissants et le bien-fondé supposé de leurs actions, quitte à créer une forme de complaisance d’une partie de son audience, avant tout désireuse de profiter de twists choquants et d’une absence d’espoir généralisée.
Mais la série fait ici preuve d’une très belle forme de maturité, en choisissant justement de contrer cette attente jusqu’au-boutiste, avec un goût doux-amer qui a su marquer les grandes fins télévisuelles (on pense aux Soprano, ou encore à Breaking Bad). Conscients de la déception récurrente que provoquent de telles conclusions, Benioff et Weiss l’embrassent en évitant un choix du cœur (comme le préconisaient les fans depuis de nombreuses années, à théoriser sur le vainqueur de ce jeu du trône) et en privilégiant la concession, et le sacrifice pour le bien commun.
« Personne n’est vraiment content » reconnaît Tyrion, et il n’aurait pu en être autrement. En plus de mettre en abyme son public qui sera forcément divisé, Game of Thrones ne pouvait que se terminer sur des ardeurs tempérées, sur une paix déceptive supposant que le pouvoir est un devoir avant d’être un privilège. Logique et cohérent, son final nous sort d’une zone de confort dans laquelle les œuvres populaires ont tendance aujourd’hui à nous enfermer. Voir ainsi un tel objet de pop-culture bouleverser les acquis de ses spectateurs est aussi courageux que hautement satisfaisant, concluant des arcs narratifs tout en en ramenant d’autres à leur point de départ. Rien ne sera plus jamais comme avant pour ces êtres esseulés, qui ont tous été témoins des pires travers de l’humanité. Mais de leurs expériences, ils ont la possibilité de construire un monde meilleur, qui ne dépend pas de leurs envies, mais de leurs responsabilités. A bon entendeur…
Et ils vécurent… heureux ?
Alors que le récit se matérialise sous la forme d’un grimoire, les showrunners ramènent leur fresque révolutionnaire à son essence, à sa dimension de fable politique. « Rien n’est plus puissant qu’une bonne histoire » s’exclame l’un des héros. Là encore, le clin d’œil ne peut être plus clair, venant de deux des auteurs les plus importants de la décennie.
Derrière des airs de fausse naïveté (notamment dans un sursaut inespéré de démocratie), Game of Thrones théorise dans son dernier élan le pouvoir de l’heroic-fantasy en tant qu’amas de références qui traduisent un besoin constant d’écrire, et de réécrire l’Histoire. Comme le montre Brienne, la page blanche nous est offerte, afin d’éviter que la roue du temps ne tourne en boucle. Mais pour la briser, il faut prendre son mal en patience, et accepter le deuil du passé. Parce que c’est ce qui est juste.
Game of Thrones, saison 8 épisode 6, disponible sur OCS.
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