Seule en scène, Isabelle Huppert retrouve Robert Wilson pour une évocation fantasmatique du destin tragique de Mary Stuart, reine d’Ecosse.
Coup de pouce du hasard lié à la campagne de travaux qui nous prive encore pour quelque temps de la scène du Théâtre de la Ville, c’est à l’Espace Cardin que se répète et va se donner Mary Said What She Said de Darryl Pinckney, par Bob Wilson avec Isabelle Huppert. Travailler en ces lieux s’apparente pour le metteur en scène américain à un retour aux sources.
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A presque cinquante ans d’intervalle, celui qu’on surnomme le Magicien de Waco (Texas) arpente un territoire où il retrouve les fantômes de sa jeunesse ainsi qu’il l’exprimait lors de la présentation de son projet : « C’est ici, dans ce théâtre, en 1971, que j’ai pour la première fois présenté quelque chose en France. A ma grande surprise, cette pièce très étrange, Le Prologue au Regard du sourd, a eu un grand succès à Paris : un spectacle de sept heures d’affilée, sans aucun mot !
Je l’avais monté précédemment à New York et il n’avait pas été très bien reçu. Ils disaient que ce n’était pas une pièce de théâtre, que c’était un travail absurde. En France, la pièce a été accueillie avec beaucoup de respect. Elle a été donnée durant cinq mois et demi et le public a qualifié ce travail d’opéra silencieux… Et c’est ce que c’était en fait ! »
“Isabelle est quelqu’un d’exceptionnel, elle a cette capacité à penser de manière abstraite.” – Bob Wilson
Lieu d’accueil de son premier coup d’éclat, cette création à l’Espace Cardin célèbre aussi d’autres retrouvailles, celles du metteur en scène avec Isabelle Huppert, après Orlando de Virginia Woolf (1993) et Quartett de Heiner Müller (2006).
En lutte avec les forces de l’histoire
« Isabelle est quelqu’un d’exceptionnel pour ce que je fais, précise Robert Wilson, car elle a cette capacité à penser de manière abstraite.Une des choses que j’aime particulièrement quand je travaille avec elle, c’est que nous n’avons pas besoin de nous parler. Je n’ai pas à m’expliquer sur la signification des choses en tant que metteur en scène. Je donne des indications qui sont uniquement d’ordre formel : plus léger, plus lourd, plus intérieur, plus extérieur, plus abrupt, plus doux… et la forme est très rigide, de même que le regard que je porte sur la précision du mouvement, son rythme, son rapport à l’espace. »
Laissons à l’auteur, Darryl Pinckney, le soin de poser l’intrigue : « Mary, reine d’Ecosse, est la souveraine qui, à cause de ses passions, perdit sa couronne. Mary est une femme qui a combattu les forces de l’histoire pour contrôler son destin. La veille de son exécution, elle lutte encore. Fuir était son destin et c’est ainsi que son règne prit fin. Elle n’essaya pas d’avoir la vie sauve.«
Des Rothko en fond de scène
Un monologue découpé en trois parties où, tel un poème, la vie de Mary Stuart défile en déformant le temps des quelques instants qui précèdent son exécution.
Lorsqu’on se glisse dans la salle où toute l’équipe attend l’arrivée du maestro pour la reprise des répétitions, la lumière d’une douce pénombre renforce la densité d’un silence déjà monacal. Micro en main, Robert Wilson détend l’atmosphère et lance mezzo voce la séance d’un pince-sans-rire « Ok, rock’n’roll ! »
A ce temps T, chorégraphie et composition graphique avancent de concert. Travaillant à la manière d’un peintre la palette des effets chromatiques sur l’écran du fond de scène où naissent de sublimes Rothko, l’homme de l’art s’amuse d’un grognement quand on lui annonce qu’une couleur est déjà à son maximum.
Grâce et transmission
Pour nous, la plus étrange des sensations sera de découvrir sur le plateau non pas Isabelle Huppert, mais sa doublure en robe de reine en la personne de Fani Sarantari, avec qui Robert Wilson va sculpter une heure durant la gestuelle et le dessin des parcours dans l’espace.
Dans ce théâtre d’ombres en chantier, la rencontre de ces deux femmes, jumelles et dédoublées, est un pur moment de grâce, celui de la transmission par la danseuse à l’actrice de cette chorégraphie qui vient de naître sous nos yeux.
Pour finir, renouant avec la solitude de cette reine condamnée, Isabelle Huppert nous donne au détour d’une phrase les enjeux d’un texte écorché vif : « Je suis dans la tempête de mes pensées divisées.« Un aperçu fulgurant des promesses du spectacle à venir.
Mary Said What She Said, de Darryl Pinckney, mise en scène Robert Wilson, musique Ludovico Einaudi, avec Isabelle Huppert. Jusqu’au 25 mai et du 5 juin au 6 juillet, Théâtre de la Ville – Espace Cardin, Paris VIIIe
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