Alina Gutkina est à la fois artiste et anthropologue. Depuis le début des années 1990, elle étudie la jeunesse russe underground et en fait un portrait brut, critique et esthétique. Récemment, elle a signé un portfolio pour le magazine Dust, dans lequel elle montre une jeunesse pleine d’ennui. Avec son travail, Alina Gutkina dénonce les […]
Alina Gutkina est à la fois artiste et anthropologue. Depuis le début des années 1990, elle étudie la jeunesse russe underground et en fait un portrait brut, critique et esthétique. Récemment, elle a signé un portfolio pour le magazine Dust, dans lequel elle montre une jeunesse pleine d’ennui. Avec son travail, Alina Gutkina dénonce les travers de l’industrie de la mode et son influence sur la culture souterraine de son pays. Interview.
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Vous dénoncez l’aspect toujours plus masculin de la subculture russe. Comment vous sentez-vous en tant que femme artiste dans ce monde très mâle ?
J’ai fait le projet I am boy who likes boy pour montrer ça. En tant que femme, je ne ressemble pas à leurs héros, parce que je viens de la subculture street, où les femmes sont accessoires. Donc j’ai eu à prendre l’image d’un garçon. J’ai beaucoup étudié cette question du genre, mais de mon propre point de vue et en utilisant mon propre exemple.
Dans votre projet Experimental, vous avez choisi de présenter des garçons ordinaires à des agences de mannequins.
Je voulais révéler le mécanisme de l’industrie de la mode, particulièrement au moment de la recherche du modèle potentiel. Le monde de la mode adore les modèles russes (pour leur apparence Slave). Je voulais comprendre quels principes sont à l’œuvre dans ces transactions, ce qu’ils recherchent, comment ça marche. Quand les « acheteurs » ont accepté un accord sur les modèles, je leur ai écris pour leur dire que la vente n’aurait pas lieu. Aucun modèle ne voulait vraiment faire ce job. Le projet était vraiment sur le processus lui-même.
Avec Industry of Trendy Boys, vous questionnez le pouvoir d’influence de l’industrie de la mode. Comment, selon-vous, détruit-elle la subculture?
La subculture de la rue était, au départ, vouée à durer. Mais avec le temps, les médias de masse ont englouti cette révolution. Tout devient un produit. Tout le style street et underground d’aujourd’hui est le produit de grosses marques. Ce à quoi ressemble un mec de la rue, ça se construit au fil des années sur la pauvreté, la débrouille. Puis tout a été capturé par l’industrie de la mode, qui reproduit cette image à sa façon.
Vous avez signé un portfolio sur le thème de l’ennui pour le magazine Dust . Pourquoi choisir de se concentrer sur l’ennui?
C’est quelque chose que j’observe tous les jours. Mes héros apportent de l’ennui. Le fait de devoir choisir de manière hasardeuse une identité, dans une quête peu profonde, ou un échec de sa propre expérience, tout ça est ennuyant. Cet ennui provoque la guerre, une guerre contre ces événements imaginaires que sont la croissance et le développement que nous offre la société. Tout ce qu’il nous reste c’est de créer notre propre réalité, pleine d’actions absolument vides de sens. Au lieu de rentrer profondément en eux-mêmes, les gens ne font qu’accepter les choses telles qu’elles, et deviennent un miroir de ce vide absolu. Cette image qu’ils arborent comme une armure reste avec eux jusqu’à la fin.
Quelles sont les grandes évolutions de la culture russe que vous avez remarquées depuis la chute de l’URSS, vous sentez-vous plus libre ?
On ne fait que copier/coller une image de l’ouest, mais il est important que dans notre contexte cette image se développe différemment. Je ne peux pas juger de ce qui est bon ou pas, ou sur comment on peut changer les choses. Je ne fais que reconnaître un fait et je l’examine en tant qu’artiste qui travaille avec de vrais garçons. Je pense que l’art en Russie est élitiste et fermé. Je fais ce que je veux et c’est bien le signe de ma liberté, mais j’ai très peu d’opportunités. Et tout ne fait que reposer sur ma propre certitude que je dois le faire.
Comment percevez-vous les JO de Sotchi, est-ce une bénédiction pour votre pays?
Les Jeux Olympiques ne sont pas plus que des Jeux pour moi. Le fait que ça se passe en Russie est une opportunité pour notre pays de prouver quelque chose qui n’est pas la réalité: liberté et joie, argent et unité. Tout le monde sait le sacrifice que ça a été. Sotchi a été détruite, les gens se sont fait voler. La compétition est devenue un bon moyen de se faire de l’argent mais que pour ceux qui y ont été autorisés par l’Etat.
Quels sont vos projets pour l’année à venir?
Je prépare une pièce de théâtre-performance avec des adolescents. On a fait un super casting et écrit le script à partir de la vraie histoire du graffiti. On répète depuis décembre et on jouera en mars. C’est une expérience sociale dans laquelle les garçons cherchent à trouver une réponse à la question « qui suis-je ? ». Avec eux, j’ai fait des exercices de réflexion, du chant et de la danse contemporaine. C’est un processus super intéressant et je vous ferais passer le lien bientôt !
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