Si certain·es fantasmaient l’orgie, la réalité du déconfinement se révèle plus austère. Manque d’excitation et de lieux de rencontres, envie de tendresse et de romantisme : que devient le sexe en cette première semaine déconfinée ?
“Bonjour Carole, je vais vous décevoir, je n’ai pas de projets ou de désir de sexe.” Lapidaire, le SMS n’en est que plus éclairant. Tout est contenu dans sa brièveté et sa double négation. Ni projets ni désir de sexe. Si certain·es voyaient le déconfinement comme une libération, rêvant d’une grande fête, voire d’une orgie de sexe, avec de la chair, de la sueur, de la salive, la réalité est tout autre, et le cœur n’y est plus.
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On interpelle sur les projets, les rêves, les fantasmes, on nous répond déprime, perte de repères, angoisse, épuisement, recentrage. “Bonjour Carole, je cherche où est ma libido, donc se projeter dans l’après, je n’en suis pas là”, nous envoie Aurora, 25 ans, interrogée précédemment. “Le rien peut être intéressant aussi”, lui suggère-t-on. “Si tu es partante pour une conversation déprime, dispo demain.”
Nous l’appelons lundi 11 mai, à l’heure du déjeuner. De grandes bourrasques interrompent la communication. Aurora est sortie acheter des masques, pour faire “un peu de reportages, de terrain”, même si cette journaliste en région privilégie le télétravail. “L’atmosphère est pesante, sûrement car c’est une date sortie de nulle part”, assène-t-elle. Son collègue et voisin, dont elle s’était rapprochée en confinement jusqu’à l’inviter à boire un verre, s’est mis en arrêt maladie. L’inconnu avec lequel elle flirtait par SMS s’est volatilisé. “Je n’ai plus de projet et plus d’envie. Zéro excitation.”
“Je suis surprise, il ne se passe rien »
Pourtant, comme d’autres, Aurora pensait vivre la semaine du déconfinement en soirées avec ses collègues. “Je suis surprise, il ne se passe rien. Je ne sais pas si c’est la peur d’une deuxième vague ou une habitude qui a été prise. Ça alimente une crainte quotidienne de l’après : est-ce qu’on va oser se rapprocher des gens ? Se toucher, s’embrasser ? Est-ce qu’on devra répondre à un questionnaire avant ?”
Alors qu’elle assumait son célibat, la voici qui ne “rigole plus du tout à l’idée de rester seule”, sans se voir “choper le premier venu ». “C’est l’incertitude. Personne ne sait ce qu’il va se passer”, analyse-t-elle. Sa peur du virus fluctue, ses émotions aussi.
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Depuis Rennes, Sama, 32 ans, célibataire confinée seule – elle aussi interrogée précédemment –, vit une désillusion. “Le 16 mars, on imaginait tous un déconfinement digne d’un après-guerre, un truc de taré où les gens feraient la fête dans la rue à ne plus en pouvoir, à boire jusqu’à plus soif, à coucher avec n’importe quel·le inconnu·e. Bon, aujourd’hui, on est loin de ces présages.”
Son principal problème réside dans la fermeture des lieux de sociabilité. Sans bars, comment draguer au comptoir. “J’ai oublié de te dire un truc important : j’ai rencontré pas mal de mecs en concerts, mon ancien amoureux de dix ans, je l’ai rencontré en festival. C’est un super terrain. Donc la perspective qu’il n’y ait pas d’événement cet été m’a mis un gros vague à l’âme, autant au niveau de la musique, des potes, que des flirts”, nous explique-t-elle.
« Coincée chez moi, je pouvais rêver tranquillement »
Peu adepte des applis, elle échange avec quelques garçons rencontrés avant le confinement. “Je tâte le terrain, éventuellement pour boire un verre à la sortie.” Mais la déception est là, tenace. “En réalité, j’imaginais avoir une sexualité complètement débridée pour rattraper le printemps perdu. Je me disais encore il y a quelques semaines que beaucoup de gens seraient probablement dans le même mood, qu’il y aurait plus de célibataires qu’avant parce que quelques couples n’auraient pas survécu au confinement. Oui, c’est mesquin, je sais. Des célibataires qui auraient soif de nouvelles aventures.”
“Ma hâte s’est transformée en appréhension”
Rien de tout ça en perspective pour le moment, sinon des retrouvailles entre amis. “Ma hâte s’est transformée en appréhension. Coincée chez moi, je pouvais rêver tranquillement en me disant que ça pourrait arriver un jour ou l’autre. Mais la réalité, c’est qu’on est libres, mais qu’il est plus difficile d’avoir des aventures et que le poids d’être seule sera finalement plus lourd qu’en confinement.”
L’étau de la solitude se resserre-t-il avec le déconfinement ? Alors que la vie reprend peu à peu, et différemment, la réalité revient au galop. Ismaël, 34 ans, chargé de com’dans la culture à Lille, a la voix lourde d’abattement. Peu avant le confinement, il avait renoué avec son ex. Depuis, ils avaient recouché ensemble trois, quatre fois, chez lui. Mais il remarquait un léger malaise lié aux horaires, un stress inhabituel. Après l’avoir confrontée, elle avait fini par avouer : un autre mec l’attendait chez elle, il·elles s’étaient confiné·es ensemble.
Depuis, Ismaël a le cœur en vrac et pense peu au sexe. “Je n’attends qu’une chose : prendre quelqu’un dans mes bras et dormir avec. De l’affection.” Il poursuit : “Tinder, c’est faux, c’est hypocrite. Du jour au lendemain, les messages s’arrêtent, sans aucune explication. Je suis dessus pour l’ego et je vais continuer, mais ça ne sert à rien. Ça m’est déjà arrivé d’avoir des coups d’un soir, mais je n’aime pas trop. J’ai besoin de ressentir quelque chose pour faire l’amour.”
“Si je ken la première semaine du déconfinement, je te préviens !”
Ce qui n’empêche pas Ismaël d’échanger quelques messages avec un flirt préconfinement. “On n’a jamais couché ensemble. Je lui ai juste proposé qu’on dorme ensemble dans les bras l’un de l’autre. Ça ne m’étonnerait pas que je reçoive un message dès demain pour se capter.” Après un court silence, il conclut : “Si je ken la première semaine du déconfinement, je te préviens !”
Le romantisme ressurgirait-il ? “Après avoir regardé les films d’Emmanuel Mouret, j’ai décidé de prendre mon temps pour assouvir mes désirs, pour séduire et être séduite. Le charme d’une rencontre se trouve dans la qualité et non la quantité”, affirme Macha, créatrice de mode. Son retour sur Tinder pour pallier la solitude du confinement l’a fait déchanter.
« Trois hommes sur quatre voulaient une relation sexuelle par message. Ils fantasmaient de me pénétrer. Ils demandaient des photos de mon sexe. Un dentiste m’a même proposé un rendez-vous dans son cabinet. Il voulait m’écrire un certificat pour justifier mon déplacement. Outre l’application, un de mes partenaires sexuels m’a appelée sur Whatsapp pour que nous nous masturbions ensemble devant la caméra. On l’a fait. C’est la première fois que je me masturbais comme ça.”
Faire repartir la machine
Après avoir plusieurs fois fraudé le confinement pour retrouver son amante – en couple, comme lui – dans l’appartement prêté par une amie ayant quitté Paris, Gustave s’aperçoit que l’après ne sera pas plus simple puisque les hôtels restent inaccessibles.
“Nous avons imaginé nous retrouver pour des rencontres coquines dans les bois (sachant que nous ne serons sans doute pas seuls derrière les buissons !).” Pas grand-chose de plus à ajouter, mis à part un objectif : réaliser les fantasmes secrets qu’aura fait germer “cette frustration”. “Deux mois de relatif confinement appellent urgemment quelques consolations : l’acquisition de sextoys !”
Quant à Pierre, 23 ans, après avoir désactivé Grindr en confinement, il n’a plus qu’une hâte : le réactiver. “Je n’ai pas envie de faire des rencontres sérieuses, je me suis habitué à la solitude. J’ai envie d’une relation sexuelle type one shot.”
Pour relancer son désir, “faire repartir la machine”, Pierre a besoin de sortir de l’ordinaire, de tester de nouvelles choses. “Pas lundi, mais dans la semaine, j’aimerais un plan en plein air, par exemple à Vincennes. Je l’ai déjà fait, mais pas à Vincennes.” Et d’ajouter : “Ou réaliser mon fantasme. Je suis attiré par l’uro, ça peut être l’occasion !”
Alors que l’on s’apprêtait à conclure, nouveau message de Sama : “Autre chose qui a son importance, si je ne parle que de mecs dans mon témoignage, ça ne me dérangerait pas du tout de me faire déconfiner par une nana ! Ça serait la première fois, ça me trotte dans la tête depuis très longtemps. Avec ce qu’on vient de vivre, je crois que je ne vais plus rien m’interdire.”
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