Sous la double influence de Can et de Suicide, les Californiens de The Mystery Lights imaginent un garage rock cathartique face à une époque sous tension.
“It’s a hard rain’s a-gonna fall”, chantait Bob Dylan. C’était en 1963, sur l’album The Freewheelin’ Bob Dylan, un an à peine après la crise des missiles de Cuba qui avait laissé pendant treize jours le monde en apnée dans l’attente du grand holocauste nucléaire. Michael Brandon, leader charismatique et halluciné des Mystery Lights, n’était pas né en ces temps ancestraux et ses parents n’étaient peut-être que des enfants.
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Pourtant, c’est cet épisode biblique qui lui vient à l’esprit lorsqu’il nous parle de Too Much Tension !, le second album de son gang de Salinas, Californie : “Dylan disait que le fait de grandir sous la menace du feu nucléaire avait eu un impact gigantesque sur l’art ; imaginer que la bombe puisse anéantir l’humanité entière avait provoqué une telle anxiété chez les gens que la société a dû canaliser cette peur dans l’explosion du rock’n’roll.”
Installé depuis quelques années maintenant du côté de Brooklyn, à deux stations de métro des studios du label Daptone Records, où les Mystery Lights ont enregistré sous la houlette du producteur maison Wayne Gordon, Mike reste, presque soixante ans plus tard, à l’abri du courroux des Khrouchtchev, Kennedy et consorts, mais demeure soucieux de la tournure que peuvent prendre les événements : “Il se passe beaucoup de choses aujourd’hui encore, nous dit-il. Aux Etats-Unis notamment. Cette tension avec la Corée du Nord, ne pas savoir dans quel monde on va se réveiller demain, tout ça a influencé notre écriture.”
Un jeu de miroirs catharthique
Il y a dans Too Much Tension! une nervosité contenue et des veines qui menacent de péter, puis ce titre, Watching the News Gives Me the Blues, qui sonne comme le générique d’un vieux James Bond, ou encore l’intro lancinante du disque, sombre et hostile, tout en synthés torturés, mais de là à imaginer que les Mystery Lights nous ramèneraient à cette bonne vieille époque de la Guerre froide, un monde semble s’ouvrir sous nos pieds.
“Je ne sais pas, il y avait ce truc un peu fou dans l’air, cette atmosphère”, ajoute Mike, façon de rappeler que l’époque peut encore s’embraser sous l’impulsion d’antagonismes géopolitiques ; une manière surtout de s’inscrire dans la longue tradition de ces groupes ne se posant pas comme « contestataires », mais qui dépeignent à travers des cartes postales discographiques les terreurs collectives intériorisées comme dans un jeu de miroirs cathartique.
Après tout, le label français Drama sortait récemment le disque d’un certain MB Jones, vendu comme un document relatant la vie d’un espion américain en poste en République de Corée au plus fort de la crise, signe que la “Bombe”, omniprésente, alimente toujours la culture populaire.
La pochette de l’album des Mystery Lights, réalisée par Luis Alfonso Solano, bassiste et cofondateur du groupe, traduit cette hystérie dans une sorte de collage évoquant le Guernica de Picasso, avec ses visages déformés, ses effusions de sang et, en filigrane, cette idée de fin du monde caractéristique de l’ère atomique.
“C’est une image de chaos, les paroles arrivent aussi à capturer cette anxiété, la frustration et la noirceur du moment. J’aime l’énergie qui se dégage de tout ça parce que, pour trouver un peu de tranquillité dans la vie, il faut embrasser cette tension. Tout le concept de l’album repose d’ailleurs sur cet équilibre, entre chaos et stabilité.” Ou, en d’autres termes, l’équilibre de la terreur.
La tension succède à l’urgence
Largement influencés par Can et le minimalisme punk de Suicide, les Mystery Lights ont tenu à intégrer à leur garage rock 100 % analogique et garanti sur facture des éléments plus expérimentaux, au cours d’un processus d’enregistrement relativement chaotique justement, à l’image de l’état du monde.
Hormis le 45t Thick Skin paru l’an passé, la petite bande de Mike Brandon n’avait rien à vendre de neuf depuis ce premier album éponyme mis en boîte dans l’urgence en 2016 : “Ça a été long parce qu’après la sortie du premier lp on a tourné non-stop. On enregistrait quand on revenait à New York, mais il fallait qu’on bosse aussi pour se mettre un peu d’argent dans les poches”, se souvient Mike.
https://www.youtube.com/watch?v=TSkUdvZQqC4
La tension a succédé ici à l’urgence, pour un résultat plus lustré et construit, dont l’exigence de perfection rappelle le dernier album de Fat White Family : “J’ai joué avec eux chez Letterman il y a quelques années, remplaçant au pied levé le guitariste, qui avait perdu son passeport. Le morceau n’était pas très compliqué, il n’y avait que trois accords.” Quand on parle de chaos, tiens.
The Mystery Lights Too Much Tension! (Wick Records/Differ-Ant)
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