Ladj Ly signe un premier film percutant sur des affrontements entre policiers et jeunes de quartiers à Montfermeil.
Juillet 2018 : l’équipe de France de football gagne la coupe du monde, le jeune Issa et ses amis de Monfermeil descendent à Paris pour fêter dignement la victoire sur les Champs Elysées. Ils sont heureux, ils sont français, ils sont champions. Retour au quotidien : Stéphane (Damien Bonnard, excellent comme toujours, ici quasi minéral) débarque un matin, par le RER, à Monfermeil. « Les Bosquets, tu as entendu parler ? C’est ici« , lui expliquent tout de suite ses coéquipiers de la BAC (Brigade Anti-Criminalité), Chris (Alexis Manenti, vu dans 9 doigts de FJ Ossang — où Bonnard jouait lui aussi un rôle — et qui est également co-scénariste du film), et Gwada (Djibril Didier Zonga). Car Stéphane est flic, et il vient d’être muté de Cherbourg, où il vivait, pour se rapprocher de son fils qui vit avec sa mère à la suite de leur divorce.
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C’est par les yeux du « nouveau », technique scénaristique éprouvée, que nous allons nous aussi découvrir les « quartiers difficiles » (comme on dit) de Monfermeil et Clichy-sous-bois, où le film a été tourné. Mais c’est aussi par l’intermédiaire d’un drone (très belle idée à plus d’un titre), que manipule le jeune Zouf (qui va filmer les filles à travers la fenêtre de leur chambre…) que va souvent nous apparaître la géographie très spécifique de cette banlieue multiculturelle, où différents groupes se tirent la bourre pour avoir le pouvoir et se partager le territoire. Cela, je crois, nous ne l’avions jamais si bien vu au cinéma, avec tant de précision. Il y a beaucoup d’entités dans les banlieues ici filmées : les frères musulmans, les gitans, les flics, et des hommes en gilets rouges dirigés par un type qui s’est décrété « Maire » du quartier et qui joue un rôle de flic officieux (cette zone un peu floue du film est par ailleurs assez drôle).
Ce que montre bien le film de Ladj Ly, c’est l’ambiguïté de tous ces groupes : oui, ils veulent acquérir des territoires et les garder sous leur coupe, mais aussi empêcher les jeunes de dériver. Ils se donnent un devoir et un pouvoir de régulation sociale que personne ne leur a octroyé officiellement… Cela fait quand même beaucoup d’états dans l’état. Les soi-disant « quartiers abandonnés de la république » ne souffriraient-ils pas au contraire de ne pas être délaissés par des instances discutables ? Mais Ladj Ly ne juge pas, il montre. Il montre tous ces groupes à égalité, frères musulmans, flics dépassés ou circassiens gitans, avec le même respect, la même chaleur humaine, sans essayer de faire le tri, sans chercher non plus à les embellir.
C’est la faute à Voltaire ?
Les trois flics patrouillent et procèdent à des contrôles d’identité plutôt musclés, surtout à cause de Chris, le chef du trio, qui pète les plombs assez facilement. Stéphane, que les deux autres ont surnommé « Pento » parce qu’il met du gel dans ses cheveux, n’apprécie guère leurs manières de shérifs. Les deux autres le remettent à sa place, en prétextant que c’est ainsi qu’ils ont réussi à se faire « respecter » dans le quartier. Et puis il va y avoir une bavure. Alors qu’ils se font charrier par une bande d’enfants, dont Issa — découvert dès le début du film souvenez-vous, Gwada sort un flash-ball et tire à bout portant… Or Zouf, avec son drone, a tout filmé. Va s’ensuivre une série de poursuites, de courses contre la montre pour retrouver la carte mémoire de Zouf et retarder surtout le moment de libérer Issa, qui heureusement a retrouvé conscience, mais est méchamment blessé au visage. Les trois Bacqueux s’engueulent mais se serrent aussi les coudes, sont obligés de négocier avec toutes les petites mafias du quartier pour tenter de faire disparaître les images du pétage de plombs de Gwada.
Là pourrait s’arrêter le premier long de Ladj Ly, depuis longtemps l’un des membres du collectif Kourtrajmé, fondé à leurs débuts par Romain Gavras, Kim Chapiron, Vincent Cassel, etc. Son film, adaptation d’un court métrage homonyme tourné en 2016, primé au festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, et nommé au César du meilleur court métrage en 2018, pourrait s’arrêter là et il nous laisserait sur notre faim malgré sa vigueur, l’absence de lissage de l’image qu’on trouve souvent un peu trop chez Chapiron et Gavras. Même si elle n’a jamais été filmée comme cela, ce n’est pas le sujet de la banlieue qui fait l’originalité du film, mais son traitement. S’il s’était contenté de montrer la violence au quotidien, Les Misérables (Hugo a écrit et situé une partie de son roman à Monfermeil, d’où ce titre) ne serait qu’un constat de ce qui se déroule aujourd’hui dans certaines villes de banlieue parisienne.
Or, dans sa dernière partie, il déploie un nouveau registre, teinté de fantastique, qui hisse le film un peu plus haut sur une hypothétique échelle cinématographique, qu’on pourrait appeler « la révolte des enfants », et qui est très impressionnante, à la fois spectaculaire et symboliquement très forte. On regrettera qu’il ait eu du mal à conclure son long métrage sur un choix, de toute façon impossible. Mais Les Misérables est souvent très surprenant. On en reparlera forcément.
Les Misérables de Ladj Ly, avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djibril Didier Zonga (France, 2019, 1h42)
Sélection officielle, compétition
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