Quelque chose a changé. 1981. Barbara, comme tant d’autres, y croyait. Sa voix s’est éteinte il y a presque quinze ans déjà. Que chanterait-elle aujourd’hui ? Sa voix – qui manqua tant un soir de mai 2012 –, entêtante alors que tombait la nouvelle du “cap” des 3 millions de chômeurs, comme hier le “cap” […]
Quelque chose a changé. 1981. Barbara, comme tant d’autres, y croyait. Sa voix s’est éteinte il y a presque quinze ans déjà. Que chanterait-elle aujourd’hui ? Sa voix – qui manqua tant un soir de mai 2012 –, entêtante alors que tombait la nouvelle du “cap” des 3 millions de chômeurs, comme hier le “cap” des 2 millions plombait le début du règne mitterrandien, et tandis que défilaient les pages de Rien ne se passe comme prévu, signé Laurent Binet. L’écrivain du Président. Reçu en service presse il y a quelques semaines, pris, ouvert, “respiré”, feuilleté, posé. Plus tard. Reçu une seconde fois samedi dernier. Personnalisé. La dédicace faisait tellement mouche…
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La campagne, vécue de l’intérieur, aurait-elle été saisie avec autant d’acuité ? Le vérifier toutes affaires cessantes. Passionnante lecture d’un début de week-end. Dans les colonnes de notre journal, Laurent Binet a passé un sale quart d’heure. Nelly Kaprièlian déplorait son absence de regard, de transcendance et… last but not least, de plume.
En effet, on est loin de la littérature. Sauf que, outre l’intérêt possible de quelques journalistes pour des coulisses auxquelles ils n’ont pas eu accès, c’est peut-être le militant de gauche qui se reconnaîtra dans cette observation angoissée, intimidée, méfiante d’une campagne présidentielle en gestation. On sent chez Binet la même peur que chez beaucoup d’électeurs de gauche de son âge. La trouille, toute bête, d’être déçu une fois de plus. Peut-être, comme beaucoup de quadragénaires, est-il “né à la politique” il y a tout juste trente et un ans, quand on croyait vraiment que “quelque chose” allait changer, que “un homme une rose à la main” rendrait “l’air plus léger” et “dessinerait le mot espoir”. Sans doute, comme plusieurs d’entre nous, alla-t-il de déception en déception, de renoncement en renoncement. Blessé, incrédule, finalement écœuré.
Laurent Binet depuis longtemps ne considère plus les socialistes comme de gauche. Comprendre la gauche, telle qu’ils nous en ont fait rêver. La gauche, telle qu’elle n’a pas honte de s’affirmer. Voire (!) de se revendiquer. Pourtant, au fond, résigné, il voudrait y croire encore, une dernière fois. Parce que, tous comptes faits, there is no alternative. Renoncer à l’espoir, est-ce grandir enfin, ou s’éteindre un peu ? Un moindre mal, ce candidat issu des rangs du PS, concierge du mouroir pendant onze ans… Un mieux-disant, dont les affiches de campagne sont bleues, comme celle de l’autre, comme si le rouge n’était décidément plus de mise. La gauche ? Quelle gauche ?
Binet écrase une larme alors qu’apparaît le visage du vainqueur sur les écrans et qu’éclate enfin la joie de la délivrance. Cette larme, cependant, est-elle du même sel que trente et un ans plus tôt ? Parce que ce soir de mai 2012, dans la foule, place de la Bastille à Paris, ce n’était pas Mai 81. Le soulagement oui, d’en avoir enfin terminé avec dix années d’abaissement. La magie, non. Dans l’air flottait une gêne. Est-ce qu’on n’était pas en train de faire semblant d’y croire ? De se voiler la face ?
Derrière les cris, les sourires, la liesse, demeurait le doute. Pas près de nous lâcher. Comme dans ces vieilles histoires d’amour maintes fois abîmées, porcelaine cassée, recollée, dont les ébréchures minent le bonheur. Comme une sensation de s’être déjà fait avoir. Non, tout ne peut pas s’oublier. Jérémy Forni l’avait si bien mis en relief dans son documentaire Après la gauche, injustement ignoré du grand public : la gauche, quand elle a eu le pouvoir sous la Ve République, a échoué. Parce qu’elle n’a pas su être de gauche. Et maintenant ?
Audrey Pulvar
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