Alors que le 72e Festival de Cannes, présidé par Alejandro González Iñárritu, s’apprête à débuter, plusieurs questions nous titillent l’esprit…
Ça y est, nous y sommes ! La 72e édition du Festival de Cannes s’apprête à démarrer, impressionnant par sa sélection et laissant mûrir de beaux espoirs de cinéma. Du coup, difficile de ne pas se laisser emporter par l’excitation, surtout lorsqu’on se pose quelques questions sur le déroulé des festivités…
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A quel point les zombies vont-ils envahir Cannes ?
George A. Romero serait content ! Devenu l’une des icônes les plus en vogue de la pop-culture actuelle, le zombie s’avère particulièrement présent dans cette sélection cannoise, preuve que le phénomène se retrouve aujourd’hui au cœur du cinéma d’auteur. Le festival consacre même son ouverture à nos amis les morts-vivants, au travers du regard que leur porte Jim Jarmusch dans The Dead Don’t Die. Zombi Child de Bertrand Bonello et Atlantique de Mati Diop renforceront les rangs de cette armée, chacun avec un point de vue particulier sur ce monstre que l’on mange à toutes les sauces.
Cette concordance n’est sûrement pas un hasard, tant le zombie a su devenir depuis quelques années le symbole le plus évident d’un nihilisme patenté. On ne pouvait pas rêver mieux pour une année où la Quinzaine des réalisateurs remet son Carrosse d’Or à John Carpenter et à son héritage flamboyant. De là à percevoir un mal-être qui se transmet de génération en génération, il n’y a qu’un pas…
Qui partira avec la Caméra d’Or ?
Tous les ans, Cannes remet la Caméra d’Or pour féliciter un premier film. Difficile donc de faire des pronostics sans connaître les œuvres précédentes des jeunes cinéastes sélectionnés. Cependant, on jettera volontiers notre dévolu sur Atlantique de Mati Diop, la véritable surprise de la compétition officielle, qui pourrait marquer l’avènement d’une jeune auteure remarquée par son moyen-métrage documentaire Mille Soleils. Les Misérables de Ladj Ly est également l’un des favoris dans cette catégorie, au vu de son sujet hautement brûlant (les violences policières en banlieue), qui promet une envie de cinéma rugueuse.
Mais si le jury veut fuir les sujets (un peu) plombants, il pourra toujours se tourner vers La Femme de mon frère de Monia Chokri, comédie romantique déjantée sur fond de gynécologie. On pourra enfin s’attarder sur les prometteurs The Climb de Michael Angelo Covino, Les Particules de Blaise Harrison et Port Authority de Danielle Lessovitz, teen movie queer new-yorkais qui respire la jeunesse.
Qui emportera les prix d’interprétation ?
Cela fait plusieurs années que Cannes offre des films dotés de personnages féminins forts, portés par des actrices talentueuses, qui amènent un certain suspense au moment de la délibération. Cette nouvelle édition ne fait pas exception, puisque notre cœur balance déjà entre Isabelle Huppert (Frankie), Adèle Haenel (Portrait de la jeune fille en feu), Sonia Braga (Bacurau), Léa Seydoux (Roubaix, une lumière), Virginie Efira et Adèle Exarchopoulos (Sibyl). On serait néanmoins tenté de privilégier Huppert et Braga, elles qui ont été snobées par le festival lors de précédentes éditions (pour leurs rôles respectifs dans Elle et Aquarius).
En revanche, on s’étonne encore une fois de voir peu d’interprétations masculines qui semblent sortir du lot. En 2017 et 2018, Joaquin Phoenix (A Beautiful Day) et Marcello Fonte (Dogman) étaient repartis vainqueurs sans une forte concurrence. Cette année, si August Diehl pourrait créer la surprise au vu de son personnage de condamné à mort dans Une Vie cachée de Terrence Malick, on misera tout de même sur Antonio Banderas (Douleur et gloire) et Roschdy Zem (Roubaix, une lumière). Et puis, allez, soyons fous, on peut rêver et espérer que Leonardo DiCaprio et Brad Pitt repartent avec un prix partagé pour Once Upon a Time… In Hollywood ! Maintenant que Leo a enfin eu son Oscar, tout est possible…
Qu’attendre de la petite augmentation du nombre de réalisatrices par rapport aux années précédentes ?
13 films sur 47 en sélection officielle sont réalisés par des femmes, contre 11 l’année dernière. Parmi ces 13 films, 4 figurent en compétition (Justine Triet, Céline Sciamma, Mati Diop et Jessica Hausner), ce qui n’était pas arrivé depuis 2011 (Naomi Kawase, Lynne Ramsay, Maïwenn et Julia Leigh). Il faut toutefois noter que les quatre réalisatrices sélectionnées se retrouvent en compétition pour la première fois.
Ces nouveaux noms qui ont construit leur réputation depuis déjà quelques années apportent également un renouveau en terme de sujet : si l’édition de 2011 empilait les sujets sociétaux difficiles (la pédophilie pour Polisse, la relation toxique d’un fils et sa mère dans We Need to Talk About Kevin, la prostitution dans Sleeping Beauty), celle de 2019 semble prendre la voie plus réjouissante du genre, de la légèreté et du romantisme.
Qui obtiendra la Palme d’or ?
À l’instar de l’édition 2016, il est difficile d’avoir uns avis tranché sur la question tant les prétendants sont nombreux. On peut cependant procéder à certains regroupements : pour une sélection qui se place sous les signes du renouveau, on peut imaginer que les précédents palmés ne goûteront pas cette année à la récompense suprême. Exit donc les frères Dardenne, Abdellatif Kechiche, Ken Loach, Terrence Malick et Quentin Tarantino.
On peut très bien imaginer le jury récompenser un cinéaste habitué de la compétition qui n’a jamais reçu la palme : Pedro Almodovar, Arnaud Desplechin, Jim Jarmusch, Elia Suleiman ; ou encore un occasionnel : Kleber Mendonça Filho, Marco Bellocchio, Corneliu Porumboiu ou Bong Joon-ho. On peut enfin rêver d’un jury particulièrement audacieux qui récompenserait un petit nouveau, au hasard, Ira Sachs, Justine Triet, Céline Sciamma, Ladj Ly, Diao Yi’nan, Mati Diop ou Jessica Hausner.
Quelle changements pour la Quinzaine sous Paolo Moretti ?
La première sélection de Paolo Moretti – passé entre autres par le Centre Pompidou et la Mostra de Venise – en tant que délégué général de la Quinzaine des réalisateurs suscitait une certaine attente. Succédant à Edouard Waintrop (ancien critique à Libération), Moretti a opté pour une sélection éclectique et pointue, réunissant des films de genre très attendus (Zombi Child de Bertrand Bonello, The Lighthouse de Robert Eggers) et plus confidentiels (Sick Sick Sick d’Alice Furtado, Les Particules de Blaise Harrison, The Halt de Lav Diaz), deux comédies absurdes en ouverture et en clôture (Le Daim de Quentin Dupieux, Yves de Benoît Forgeard), des films de jeunes auteurs français prometteurs (Alice et le Maire de Nicolas Pariser et Une fille facile de Rebecca Zlotowski) et même un documentaire (On va tout péter de Lech Kowalski). Cette Quinzaine fait la part belle au cinéma français, de quoi rivaliser avec la compétition, déjà très solide.
Les gilets jaunes vont-ils s’inviter sur la Croisette ?
Cannes possède un certain paradoxe, en étant à la fois un festival ouvert aux visions politiques d’auteurs qui souhaitent partager leur point de vue, et une bulle fermée au reste du monde. Jean-Luc Godard l’avait bien fait remarquer durant la célèbre édition de mai 68 : le cinéma a parfois le devoir de s’effacer, au profit des causes qui demandent un autre type de mobilisation.
Dès lors, au cœur d’un contexte trouble, on peut se demander si le mouvement des gilets jaunes pourrait s’inviter sur la Croisette, et perturber l’événement. La rencontre pourrait être explosive, aussi amusante à voir que révélatrice de la fracture conséquente entre le quotidien de tout un pan de la France et un monde de strass et de paillettes. Cette année, on peut imaginer le tapis rouge foulé par une autre couleur.
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