[Nos grandes séries – Pedro Almodóvar] Pour ce dernier épisode, nous vous proposons de (re) plonger dans la filmographie du cinéaste, en chansons.
“Les Inrocks” poursuivent leurs séries consacrées aux grandes figures suivies par le magazine depuis des années, voire des décennies. Après Houellebecq, Miyazaki ou Godard, voici notre série consacrée au grand Pedro Almodóvar, à l’occasion de la présentation très attendue de son dernier fim, “Douleur et gloire” au festival de Cannes. A la fois cinéaste graphique et inspiré, parangon de la modernité tout en étant épris de nostalgie, peu soucieux de la binarité des genres et compilateur musical de génie, Pedro Almodóvar ne pouvait que faire partie du panthéon de notre magazine.
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Pour Pedro Almodóvar, les chansons sont des parts de chacun de ses personnages et disent d’eux et d’elles autant que des lignes de dialogue. Florilège de ces morceaux qui hantent la filmographie du grand maître manchego et nos mémoires de cinéphiles audiophiles.
Little Nell Do the Swim (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, 1980) Dès la scène d’ouverture de son premier long-métrage, Pedro Almodóvar plante son univers en musique et, déjà, une référence cinéphile puisque Do the Swim débarque en direct du transylvanaseque (où le trans a son importance) The Rocky Horror Picture Show, monument camp réalisé cinq ans plus tôt par Jim Sherman.
Kaka de Luxe aka Alaska Murciana Marrana (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, 1980) Pepi, Luci, Bom et les autres témoignent en direct de la Movida post-dictature et quand Alaska (Bom) dédie à sa fiancée Luci (Eva Silva) ce Murciana Marrana parce qu’elle est précisément originaire de Murcie, c’est Kaka de Luxe, son alias de chanteuse, qu’Almodóvar reprend à son compte. Quant à l’alias d’Alaska, il provient bel et bien de New York et du “It’s so cold in Alaska” qui clôt Caroline Says II de Lou Reed.
Maleni Castro Tu loca juventud (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, 1980) La Movida et la modernité n’empêchent pas la nostalgie. Lors d’une scène de fête, c’est un titre de 1965, Tu loca juventud, qu’interprète Maleni Castro, idole ado sous Franco qui file ici la métaphore de la folle jeunesse entamée avec Juventud Twist.
Monna Bell Estaba escrito (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, 1980) Nostaglie sixties toujours avec la Chilienne Monna Bell et ce merengue de 1962 qui vient illuminer de sa chaleur latine les nuits madrilènes dans lesquelles se perdent et s’amusent Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón.
https://www.youtube.com/watch?v=v_b-PqIdZ50
Sara Montiel Quizás, quizás, quizás (La Mauvaise Education, 2004) Fidèle de l’art des canciones espagnoles, Pedro Almodóvar laisse aussi les musiques latines infuser son œuvre. Dans une salle des fêtes,Zahara (Gabriel García Bernal), tout de Jean Paul Gaultier travesti, interprète Quizás, quizás, quizás qu’on pensait intouchable depuis le In the Mood for Love de Wong Kar-wai (2000) dans sa version Nat King Cole.
Luz Casal Un año de amor (Talons aiguilles, 1992) Transformiste chantant et Almodóvar évoquent irrésistiblement Talons aiguilles et la scène devenue culte ou Letal (Miguel Bosé) interprète devant sa créatrice de fiction, la diva Becky del Paramo (Marisa Paredes) et sa fille (Rebecca) Un año de amor en fait interprétée par la Galicienne Luz Casal et, auparavant en italien par Nino Ferrer.
Luz Casal Piensa en mí (Talons aiguilles, 1992) Si pour Talons aiguilles, Almodóvar fait une infidélité à son compositeur privilégié, Alberto Iglesias, pour le maître japonais Ryuichi Sakamoto, il n’en reste pas moins que ce sont les chansons exogènes qui restent gravées dans notre mémoire. Ainsi de la bouleversante Piensa en mí que la mère interprète sur scène et que sa fille écoute en prison à la radio dans une fusion émotionnelle entre les deux femmes qu’elles peinent à connaître lorsqu’elles ne sont pas séparées.
Los Hermanos Rosario Pecadora (Talons aiguilles, 1992) Autre grand moment musical de Talons aiguilles le Pecadora (pécheresse) des frères dominicains Rosario pour une choré dingue où Letal transforme une cour de prison madrilène en rue de Baltimore, ville fétiche de John Waters à qui cette scène rend ouvertement hommage. Précision utile : ces frères dominicains ne sont pas moines mais originaires de Saint-Domingue (une confusion que tout connaisseur de la vie d’Almodóvar ne saurait faire puisqu’il fut (mal) “éduqué” (lire plus bas) par des fransiscains.
https://www.youtube.com/watch?v=HmC7Q5IvzIc
The Pointer Sisters I’m So Excited (Les Amants passagers, 2013) La liberté formelle d’Almodóvar est telle qu’il ne s’interdit jamais de suspendre le cours de l’histoire pour un numéro musical. Certes, l’intrigue des Amants passagers est mince, mais c’est ni plus ni moins les services de Bianca Li qu’il s’offre pour le ballet aérien dont le personnel de bord gratifie ses passagers, amants ou non, sur le I’m So Excited des Pointer Sisters.
Los Destellos Para Elisa (Les Amants passagers, 2013) De cette récréation jubilatoire entre deux films plus noirs, on retiendra aussi la version cumbia de La Lettre à Elise de Ludwig von Beethoven par les Péruviens de Los Destellos, issue de leur album en 69 En orbita ainsi que The Look de Metronomy ou Skyes over Cairo de Django Django tant il est rare qu’Almodóvar utilise des thèmes immédiatement contemporains pour ces BO.
Ismael Lô Tajabone (Tout sur ma mère, 1999) Grande audace et autre ballet, cette fois automobile, celui de la lumière des phares dans les bois madrilènes, lieu de rencontres furtives et tarifiées aux genres multiples que le cinéaste a l’intuition de sublimer avec la fascinante ballade du Nigérien Ismael Lô qui verra sa carrière boostée par cette participation inattendue et inéspérée à Tout sur ma mère.
https://www.youtube.com/watch?v=YUWyUE6kqoU
Bernardo Bonezzi Taxi Mambo (Femmes au bord de la crise de nerfs, 1988) Changement de moyen de transport avec ce Taxi Mambo délirant qu’emprunte Carmen Maura dans Femmes au bord de la crise de nerfs et dont beaucoup pensent encore qu’il est conduit par Pedro Almodóvar lui-même tant la ressemblance entre le chauffeur et le cinéaste est frappante – et sans doute voulue par le cinéaste passé maître dans l’art de créer la confusion. Rien à voir néanmoins avec un dénommé Joe dont la musique était aussi “le rock au mambo” et la vie “le rhum au mambo”.
Almodóvar & McNamara Suck It to Me (Le Labyrinthe des passions, 1982) Si Pedro Almodóvar n’apparaît donc pas dans Femmes au bord de la crise de nerfs, c’est bel et bien lui qui, avec son complice de l’époque Fabio McNamara, interprète ce rap délirant et nonsensique dans Le Labyrinthe des passions.
Miguel de Molina La Bien Pagá (Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?, 1984) On retrouve l’infernal duo Almodóvar & McNamara deux ans plus tard dans une fausse série que regardent la grand-mère (Chus Lampreave) et son petit-fils (Juan Martinez) à la télévision et dans laquelle Almo et Mac playbackent sur cette “Bonne Paye” ludique et version Miguel de Molina.
Dúo Dinámico Resistiré (Attache-moi, 1989) Vous l’aurez compris, on aime chanter dans les fillms d’Almodóvar et de préférence de vieux tubes comme ce Resistiré du Dúo Dinámico qu’entonne avec enthousiasme et brio le trio Loles León, Victoria Abril et Antonio Banderas dans la voiture qui les emmène vers Madrid.
Loles León Cancion del Alma (Attache-moi, 1989) On chante encore dans Atamé lors de la fête de fin de tournage et c’est Lola (Loles León) qui s’en charge pour célébrer le dernier clap du Fantôme de minuit dont sa sœur Marina (Victoria Abril) est l’interprète principale. Elle choisit cette Cancion del alma de Maria Luisa Landin et boléro parfait.
Estrella Morente Volver (Volver, 2006) Il est souvent question de cinéma dans le cinéma de Pedro Almodóvar et, partant, de fêtes de fin de tournage. Dans Volver, c’est carrément Penélope Cruz qui done de la voix (enfin… celle d’Estrella Morente) dans une scène clé où elle interprète Volver, ce qui ne fait pas mystère puisque la chanson donne son titre au film.
Saint Etienne A Good Thing (Volver, 2006) Lors de cette fête de fin de tournage et au sein d’un des films les plus profondément espagnols d’Almodóvar, on aura la surprise d’entendre Saint Etienne qui n’est pas une ville du Forez occupé par des petits hommes verts mais un groupe britannique qui a collaboré avec Etienne Daho.
https://www.youtube.com/watch?v=_ENL6WUxAK0
Delta Las Espigadoras (La Rosa del Azafrán) (Volver, 2006) “Volver”, c’est revenir en espagnol. Volver, c’est donc le retour inespéré de Carmen Maura chez le cinéaste dix-huit ans après Femmes au bord de la crise de nerfs et une brouille inexpliquée. Volver, c’est aussi une scène d’ouverture où Almodóvar filme le cimetière de son village natal au son d’une zarzuela immémoriale sur la fleur de safran tandis que les femmes fleurissent les tombes de leurs chers disparus.
Cheo Feliciano Salí porque salí (Entre les ténèbres, 1983) Retour à la fête et aux sources d’Almodóvar en 1983 avec ce Salí porque salí (“je m’en vais parce que je m’en vais”) rendant hommage aux Sœurs rédemptrices humiliées qui ont recueilli la polytoxicomane Yolanda Bel (Cristina Sánchez Pascual) et auxquelles la même Yolanda Bel offre une fête de départ pour voler à nouveau de ses propres ailes. Avec la complicité des Sœurs rédemptrices pour la plupart elles-mêmes aussi polytoxicomanes.
https://www.youtube.com/watch?v=8KkUMhzJ-wY
Caetano Veloso Cucurrucucú Paloma (Parle avec elle, 2002) Après une ouverture magistrale qui voit Pina Bausch interpréter son mythique Café Müller, on retrouve deux des protagonistes de Parle avec elle à une fête où le réalisateur s’amuse à inviter, entre autres, Marisa Paredes ou Cecilia Roth à apparaître. Autre invité de marque, Caetano Veloso qui chante en quatuor sa version séraphique du classique mexicain Cucurrucucú Paloma dans un pur moment de grâce et de cinéma pur.
Caetano Veloso Tonada de luna llena (La Fleur de mon secret, 1995) Le Cucurrucucú Paloma est un tel sommet de la musifilmographie de Pedro Almodóvar qu’on en oublierait presque que le Brésilien était déjà présent dans La Fleur de mon secret avec cette voix indéterminable, androgyne qui ne pouvait que séduire le cinéaste manchego avec cet hymne à la pleine lune.
Pedro José Sanchez Martinez Moon River (La Mauvaise Education, 2004) Une autre voix nécessairement séraphique et androgyne puisqu’il s’agit de celle d’un enfant dans une des séquences les plus terribles et bouleversantes d’Almodóvar lorsqu’au bord d’une rivière l’enfant chante ce Moon River face à un prêtre. Le choix du hors-champ, la beauté de la voix et du décor édénique rend plus horrible encore le crime en cours et nous oblige à renoncer au visionnage bisannuel de Breakfast at Tiffany’s tant on se sent souillé, à son corps défendant, par ce Moon River.
https://www.youtube.com/watch?v=FFOsHb4YWaI
Chavela Vargas Luz de luna (Kika, 1994) Suite et fin de la trilogie lunaire et début de celle consacrée à la Mexicaine révérée entre toutes par Almodóvar : Chavela Vargas. Dans Kika, la sublime Susana (Bibiana Fernandez) se met à nu, au sens propre pour une sérénade inversée à son amant (Peter Coyote) qu’elle chante depuis son balcon et que Kika (Veronica Forqué) écoute depuis chez elle sans pouvoir profiter, comme Peter Coyote et les spectateur.trice.s, de la plastique parfaite de Susana tout en pouvant jouir de la voix nue de Chavela Vargas.
Chavela Vargas En el ultimo trago (La Fleur de mon secret, 1995) Toute la solitude de Leo Macias (Marisa Parades), auteure de romans harlequinesques sous le pseudonyme d’Amanda Gris en un seul morceau, ce dernier verre qui émeut et nous meut, une fois encore grâce à Chavela Vargas qui, ne l’oublions pas, a contribué à populariser le Piensa en mi avant qu’Almodóvar le panthéonise dans Talons aiguilles.
Chavela Vargas Si no te vas (Julieta, 2016) Le Si no te vas de Julieta, dans sa tension (mélo) dramatique, fait irrésitiblement penser au Piensa en mí (o Piensa a ella), de Talons aiguilles. Mais il ne fait aucun doute que cet obsessionel monomaniaque qu’est Pedro Almodóvar y avait pensé avant nous, non ?
Buika Por el amor de amar (Necesito amor) (La piel que habito, 2011) Difficile de sortir de l’effet hypnotique que génère Chavela Vargas à moins de choisir une de ses héritières, Concha Buika, qui habite une des plus scènes de La Piel que habito dans une autre fête almodovarienne se déroulant pourtant dans un de ses films les plus sombres.
Maysa Matarazzo Ne me quitte pas (La Loi du désir, 1987) De Concha Buika, on se souvient aussi de sa version de Ne me quitte pas qui ne peut faire qu’écho à celle de Maysa Matararazzo dans une scène clé de La Loi du désir qu’on ne saurait spoiler ici pour les rares privilégiés qui n’ont pas encore eu la chance de découvrir ce chef-d’œuvre des années primitives.
Trio Los Panchos Lo dudo (La Loi du désir, 1987) Dans l’alma espanola d’Almodóvar comme dans cette Loi du désir, le doute s’installe et instille l’ensemble du film et ce doute, c’est le Trio Los Panchos qui l’incarne, et on le retrouvera quelques années plus tard dans le répertoire d’Agnès Jaoui.
https://www.youtube.com/watch?v=MoRymwF2v58
Mina Esperame en el cielo (Matador, 1986) Le couple infernal de Matador ne peut atteindre le septième ciel qu’en tuant en baisant (ou l’inverse). Dans ces noces de sang chimiquement et purement ibériques où se mêlent tauromachie, sexe, mort et flamenco, il fallait un grand classique et cet « attends-moi au ciel » est une perfection de sélection.
BONUS TRACK Alberto Iglesias – Habla con ella (Parle avec elle, 2002) Ce florilège de morceaux qui hantent la filmographie du grand maître manchego et nos mémoires de cinéphiles audiophiles ne saurait occulter l’immense et fondamental travail effectué par son plus fidèle compositeur, Alberto Iglesias, et ici illustré par le magnifique score écrit pour Parle avec elle.
Retrouvez toute notre série grâce aux liens ci-dessous
Episode 1 Tout sur Pedro : l’univers de Pedro Almodóvar en 19 thèmes-clés
Episode 2 En 2004, son actrice fétiche, Carmen Maura, nous racontait son Almodóvar
Episode 3 La leçon de cinéma de Pedro Almodóvar au Festival de Cannes en 2009
Episode 4 Pedro Almodovar vu par… « un sens du politiquement incorrect »
Episode 5 Dans les coulisses des interviews de Pedro Almodóvar
Episode 6 Le plus beau des BO d’Almo
>> Lire aussi notre interview de Pedro Almodóvar et de son acteur dans “Douleur et gloire”, Antonio Banderas
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