Mardi 14 novembre, le siège parisien de l’entreprise de production de béton Lafarge-Holcim a fait l’objet d’une perquisition, révèle le Parisien. L’entreprise, leader mondial des matériaux de construction, est soupçonnée d’avoir financé l’État islamique en Syrie, de 2012 et 2014, afin de maintenir en fonctionnement son usine dans le Nord du pays. La société faîtière belge du milliardaire Albert Frère, actionnaire de Lafarge, a également été perquisitionnée.
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Les enquêteurs cherchent à savoir si des responsables français de l’entreprise Lafarge, devenue Lafarge-Holcim après fusion avec le groupe suisse en 2015, avaient connaissance des accords passés sur le terrain avec Daesh, et s’ils ont pu faire courir un risque à leurs employés syriens.
Une usine en territoire occupé
L’affaire remonte à juin 2016. Le journal Le Monde révèle les arrangements passés par le cimentier avec Daesh, entre 2012 et 2014, afin de protéger ses activités à sur le site de production de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.
L’entreprise est accusée d’avoir versé des sommes à Daesh, par le biais d’intermédiaires, afin de permettre le passage de ses ouvriers et l’acheminement de matières premières vers le site. Elle aurait ainsi obtenu des laisser-passer, informels puis officiels, de la part de Daesh entre mai et septembre 2014.
On reproche aussi à Lafarge d’avoir acheté du pétrole à l’organisation terroriste, afin de maintenir l’usine en fonctionnement, violant ainsi l’embargo de l’Union européenne sur les achats de pétrole auprès de la Syrie, décidé en 2011. Autant d’élément qui constituent des financements directs et indirects d’activités terroristes.
Une accusation béton
Défendeuse des « populations victimes de crime économiques », l’ONG Sherpa réunit des avocats et des juristes; en novembre 2016, c’est elle qui a porté plainte contre Lafarge pour « mise en danger d’autrui », « financement de terrorisme » et « complicité de crime de guerre et de crime contre l’humanité ».
L’ONG représente onze salariés syriens qui reprochent à leur employeur d’avoir privilégié la recherche du profit au détriment de leur sécurité. Maintenus coûte-que-coûte sur le site, alors même que les employés étrangers avaient été rapatriés dès 2012, plusieurs salariés ont ainsi été enlevés par Daesh en se rendant sur leur lieu travail. Pour certain, Lafarge a versé une rançon afin de permettre leur libération.
Une « mise en danger délibérée d’autrui » qui culmine avec l’attaque de l’usine par Daech, le 19 septembre 2014. Selon le témoignage d’un des plaignants, les responsables du site avaient connaissance dès la veille de l’imminence de l’attaque. Pourtant, ils n’ont pas procédé à l’évacuation du site, laissant les employés fuir par leurs propres moyens : « Même les habitants du village voisin avaient fui la veille de l’attaque. A croire que Lafarge nous utilisait comme bouclier humain pour protéger le site ». Et d’ajouter, résumant en substance ce qui est reproché à l’entreprise : « Ils nous ont fait prendre trop de risques. Ils auraient dû fermer l’usine il y a bien longtemps. »
Depuis janvier 2017, le ministère de l’économie a lui aussi déposé plainte contre le cimentier pour « financement d’entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie d’autrui ».
Reconnaissance partielle
Depuis la révélation de l’affaire, la direction de Lafarge-Holcim a reconnu le caractère fondé de ces accusions. Dans un communiqué daté de mars 2017, la firme admet avoir « indirectement » financé des groupes armés en Syrie. Tout en pudeur, Lafarge y concède que « la filiale locale a remis des fonds à des tierces parties afin de trouver des arrangements avec un certain nombre de ces groupes armé […] en vue de main tenir l’activité et d’assurer un passage sûr des employés et des approvisionnements vers, et depuis l’usine. »
« Il est temps que l’implication directe des acteurs économiques dans le financement du terrorisme et dans toutes autres violations de droits humains soient jugées à la lumière du « droit dur » pour rendre justice aux populations affectées.«
Dans cette optique, l’ONG a défendu un projet de loi instituant un « devoir de vigilance des multinationales ». Validé par le Conseil constitutionnel le 23 mars 2017, le texte prévoit la création d’une obligation pour les grandes entreprises de prévenir les risques liés à leurs activités et engage leur responsabilité en cas de manquement à leur « plan de vigilance ».
Pour Lafarge, la vigilance a apparemment fait défaut, même si on attend encore les conclusions des perquisitions. En Syrie, sur le site de Jalabiya, l’État islamique s’est désormais retiré. Les machines, elles, sont toujours à l’arrêt. Le pays est à reconstruire. Reste à savoir si cette reconstruction se fera en béton Lafarge, ou non.
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