« The Dead don’t die » scande l’ouverture du Festival de Cannes cette année. Et c’est justement en 2019 que le fantôme du Festival de Cannes 1939 pourrait bien être ressuscité. La ville d’Orléans prévoit d’organiser l’avant-première édition du Festival de Cannes, initialement prévue pour septembre 1939 mais finalement annulée suite à l’entrée en guerre de la France et du Royaume-Uni contre l’Allemagne.
La légendaire première édition du Festival de Cannes aurait dû se tenir en septembre 1939. Créé à l’occasion pour incarner le “Festival des nations libres” par opposition à la Mostra de Venise alors aux mains des fascistes, l’événement n’aura finalement pas lieu : à la même date, le Festival laisse sa place à la Seconde Guerre mondiale qui repousse la première édition jusqu’en 1946. De nombreuses archives offertes par Cannes à la Cinémathèque française ont prouvé que Jean Zay, le ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts de 1936 à 1939, a porté le projet du festival en dépit des recommandations de Georges Bonnet, le Ministre très munichois des affaires étrangères de l’époque, qui déclarait qu’on ne pouvait prendre le risque de déclencher une guerre « pour le cinéma ». Le ministre de l’Education obtient le soutien de la municipalité de Cannes et part aux Etats-Unis afin de négocier directement avec les majors hollywoodiennes : le quota de films américains distribués en France augmente en échange de quoi Hollywood accepte d’envoyer plusieurs films pour donner un poids international à l’événement. Cette manœuvre politique et culturelle, qui contribue à la naissance d’une « contre-Mostra », s’inscrit dans une stratégie de diplomatie agressive de la part de la France envers l’Allemagne nazie et l’Italie fasciste. Toutefois, Jean Zay n’assistera jamais à la première édition de 1946 : il est assassiné deux ans plus tôt par des miliciens à Molles.
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Un remake de Cannes 1939
Pour lui rendre hommage, Antoine de Baecque, président du comité Jean Zay, a décidé de ressusciter cette première édition sacrifiée. Sur les 38 films sélectionnés en compétition à l’époque, 28 ont pu être retrouvés (dont 3 très récemment) et seront projetés à Orléans du 12 au 17 novembre, dans trois salles différentes, le Théâtre d’Orléans, le cinéma Pathé Place de Loire et le cinéma Art et Essai des Carmes. Parmi les films qui n’ont pas pu être retrouvés, on compte un film suédois, des films polonais, des films hollandais et un film soviétique. François Caspar, directeur général de l’événement explique que cette sélection est le fruit d’un travail de longue haleine : pendant près d’un an et demi, il a fallu retrouver les ayants droit, les diffuseurs, les copies dans les cinémathèques.
Des films qui sont entrés dans l’histoire du cinéma
Parmi les films sélectionnés figurent certains grands films du cinéma classique hollywoodien pour qui l’année 1939 est un excellent cru : Elle et lui de Leo McCarey, M. Smith au Sénat de Frank Capra, Seuls les anges ont des ailes de Howard Hawks, Le Magicien d’Oz de Victor Fleming et Veillée d’amour de John M. Stahl, Pacific Express de Cecil B. DeMille, Stanley et Livingstone de Henry King. On pourra également voir en compétition quelques films français : La Charette fantôme de Julien Duvivier, La France est un empire de Jean d’Agraives et Emmanuel Bourcier, L’Homme du Niger de Jacques de Baroncelli, La Loi du Nord de Jacques Feyder et L’Enfer des anges de Christian-Jaque. Dans la sélection européenne, on retrouve Douglas Sirk dans sa période néerlandaise avec Petit gamin ainsi que La Taverne de la Jamaïque, le dernier film anglais d’Alfred Hitchcock avant son départ pour Hollywood.
À cette liste s’ajoutent quelques films hors compétition, qui reviennent sur le contexte de 1939 en donnant une dimension historique et pédagogique à l’événement. Alexandre Nevski de Sergueï Eisenstein, dans un premier temps annoncé en grande pompe comme le représentant du cinéma soviétique est finalement retiré au dernier moment par l’URSS en raison du traité de non-agression mais également à cause des rapports conflictuels que le cinéaste entretenait avec le pouvoir. Il avait été remplacé en compétition par Si demain c’est la guerre d’Efim Dzigan, un film de propagande patriotique. Les Dieux du stade de Leni Riefenstahl, récompensé à la Mostra de Venise en 1938, sera également projeté pour mettre en perspective quel type de cinéma promouvaient les nazis. Le Bossu de Notre Dame de William Dieterle (qui devait faire l’ouverture du festival), probablement le seul film projeté une semaine avant le festival de 39, fait lui aussi partie de l’aventure. Chacune de ces projections sera accompagnée d’une présentation et d’un débat animé par des critiques et des historiens.
Un jury et des prix
Si aucune palme d’or – pas encore inventée en 1939 – ne sera décernée, un jury remettra néanmoins des prix, comme ça aurait dû être le cas il y a 80 ans : le Grand Prix Jean Zay, le Prix du Jury, le Prix de la mise en scène, les Prix d’interprétation féminine et masculine (par le jury) et le Prix jeune public (remis par le jury lycéen). Le jury, présidé par Amos Gitaï (cinéaste israélien) sera composé de László Nemes (réalisateur et scénariste hongrois), Pascale Ferran (réalisatrice française), Yannick Hael (écrivain français), Julie Bertuccelli (réalisatrice française), Virginie Linhart (réalisatrice française), Jérôme Prieur (écrivain et cinéaste français), Catherine et Hélène Zay, filles de Jean Zay. Pressenti un moment pour faire partie du jury, Thierry Frémaux, délégué général du festival officiel, sera finalement absent. Cannes 1939 accueillera en outre Alex Lutz comme maître de cérémonie.
Un festival sur tous les fronts
En parallèle des projections, plusieurs événements marqueront cette édition un peu spéciale comme un forum cinématographique (sous forme de projections, de présentations, de ciné-clubs, de rencontres professionnelles, de master class, de table ronde, de conférences de presse), un colloque international (proposant l’accès à un savoir fondé sur la recherche historique et cinématographique.), une exposition itinérante Jean Zay et le Festival de Cannes 1939 et une action pédagogique qui mobilise depuis quelques mois les écoles, collèges, lycées de l’Académie. Outre la remise des prix, la cérémonie de clôture qui se déroulera le 16 novembre au Théâtre d’Orléans sera suivie du bal costumé 1939 dans le grand hall du Théâtre où plusieurs stars défileront sur le tapis rouge, reprenant littéralement les rôles prévus à Cannes en 1939, ceux de Cary Grant, Spencer Tracy, Charles Laughton, Michèle Morgan, Irene Dunne, Louis Jouvet, Pierre Fresnay, Charles Boyer, James Cagney, Barbara Stanwick, etc. Dans le même esprit anachronique, les critiques devront se prêter au jeu et juger un film de Hitchcock ou de Capra comme ils jugeront, au mois de mai prochain, le dernier Tarantino ou le nouveau Desplechin.
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