En ces temps d’attestations de déplacement dérogatoire, ils·elles ont fraudé pour s’aimer, par hasard, par envie, pour retrouver un être cher. Rencontre avec ceux et celles qui ont transgressé l’interdit.
“Moi, j’ai rencontré un gars dans le parc de Montreuil”, nous écrit-il sur Facebook. D’autres préfèrent l’anonymat d’une adresse mail créée pour l’occasion ou, a contrario, la proximité d’un coup de téléphone avec le son du rire et des silences. Facebook, c’est personnel mais ça expédie vite, pas le temps d’y penser. Et lorsqu’on aborde le sujet de la fraude, on est gêné·e aux entournures.
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Alors que la France se confine du mieux qu’elle peut depuis le mardi 17 mars, comment raconter – encore plus expliquer – que l’on fraude pour du sexe ? Nos appels à témoignages ont d’ailleurs récolté quelques commentaires salés, type “dénoncez-les” ou « vous n’avez pas mieux à faire ». Pas mieux à faire qu’étudier certains comportements plus ou moins inattendus surgis d’une situation de crise ? Pas vraiment, non.
Le parc “le plus stylé de Montreuil”, dixit Sébastien, 30 ans, est fermé, mais des trous dans les grilles permettent de s’y faufiler. Au bout d’un mois de confinement, Sébastien commence à s’y promener quotidiennement et croise, chaque jour à la même heure, le même mec. Le troisième jour, une clope est taxée. Par ennui, désœuvrement, rendez-vous est pris le lendemain avec des canettes de bière.
“On a discuté une heure sur un banc en regardant passer les gens et en respectant de moins en moins les distances de sécurité.” L’ivresse allant, un baiser est échangé, mais Sébastien doit filer pour honorer un rendez-vous Skype avec sa mère.
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Ils se retrouvent le samedi suivant, sur le même banc, descendent quelques canettes puis migrent dans l’appartement que Sébastien partage avec sa coloc. Des extas sont gobées et la soirée se prolonge sur le toit, entre longues conversations et moments d’érotisme suprême.
“Il m’a demandé si j’étais clean. Je lui ai dit que j’avais mis du gel à chaque fois que je sortais de Monoprix. Lui m’a répondu : ‘Non mec, je te parlais du sida.’” Depuis, la paire a convaincu la coloc et s’est revue. “Je pense qu’on est plus ou moins ensemble.”
Histoire d’œuf
Ce n’est pas un parc mais un œuf qui a réuni Cynthia et Jean-Nicolas. Après quatre semaines de confinement strict, Jean-Nicolas craque pour l’anniversaire d’une amie de longue date, “intime mais plutôt platonique depuis quelques mois”. Elle habite à deux kilomètres de là, il l’invite à passer. Au dessert, pour accompagner le vin nature, l’amie sort du LSD. Le voyage se finit dans son lit. Au matin, l’amie est repartie mais la voisine frappe à la porte. Elle est en rade d’œuf. Il lui demande comment se passe son confinement, elle répond que ça va, malgré la solitude.
Seule ? Ah oui, elle a rompu récemment avec son ami. “Sûrement échauffé par cette journée aphrodisiaque, je me mets à imaginer l’inviter. On ne se connaît pas beaucoup, mais elle est plutôt sympa. Pas sûr que j’aurais imaginé ça en dehors du confinement. Mais on nous annonce un prolongement de peine…”
Il lui faut deux semaines supplémentaires pour se décider. “Je lui dis que la semaine passée j’ai invité un voisin et que nous pourrons prendre la distance nécessaire, elle accepte.” C’est vendredi, chacun s’est apprêté pour l’occasion. Ils descendent deux bouteilles de vin puis s’installent devant un film. Une troisième y passe.
“Comme au ciné, on se roule des pelles. Puis on se lève, mon lit n’est pas loin. Au petit matin, la lumière la dérange, on passe d’une porte à l’autre en petite tenue. A 9 heures du matin, je rejoins mes quartiers.” Conclusion : “On s’est revu·es deux nuits la semaine suivante, mais un léger malaise m’habite ! Essayons de garder tout cela léger. Ce qui se passe en confinement reste en confinement !”
“Je veux bien être confinée, mais pas arrêter le sexe”
L’objectif est autant établi que la fraude préméditée chez celle que l’on surnomme La Baronne, 37 ans, célibataire et confinée seule à Marseille. “Je veux bien être confinée, mais pas arrêter le sexe.” La voix est grave, le rire chaleureux. “Au départ, j’étais flippée de cette histoire de corona. Moi-même je ne savais pas si j’étais contaminée, car juste avant le confinement, j’avais fait quarante-huit heures de teuf non-stop.”
Au départ donc, La Baronne passe son temps isolée, mais sur Tinder. “Grâce au confinement, les mecs un peu cool et intelligents sont chez eux, donc aussi sur Tinder. Le panel est plus large ! On n’a pas que les morts de faim qui parlent mal direct. Même si j’adore le cul, à un moment c’est pénible.”
Les messages affluent. L’un d’entre eux vient de Hugo. Les échanges s’étalent sur deux semaines. La tension monte. “Je m’arrange toujours pour savoir s’ils sont bien montés, ça évite les mauvaises surprises !” Hugo finit par remplir une attestation indiquant qu’il va faire des courses. “Marseille, c’est pas vraiment de contrôle, un peu open bar quoi.” La rencontre est explosive.
“J’ai pas envie d’organiser une partouze à distance”
En même temps Michael lui écrivait. “Il m’avait envoyé des messages, mais il avait vu des gens, donc j’avais dit que c’était mort. Il m’a relancée et… il avait de gros arguments.” Au bout d’une semaine, La Baronne craque et invite Michael pour vingt-quatre heures. “Le sexe en confinement, c’est pas mal ! Je suis une grosse fêtarde. Les mecs que je baise, c’est pas forcément ceux qui me plaisent. J’ai souvent bu… Là, j’ai tout stoppé. L’ambiance était différente. Je me sentais claire, j’avais plus de plaisir.”
Si Michael a clairement sa préférence, jusqu’à passer un week-end entier confiné chez elle, La Baronne continue de discuter avec d’autres mecs et rêve, à la sortie, d’une « orgie de sexe ». “J’ai pas envie d’organiser une partouze à distance, je préférerais une soirée chez des potes qui part naturellement… Ou bien je me baigne, je bronze, apéro, teuf, je danse six heures d’affilée et après je pécho au moins un mec et je baise toute la nuit.”
Chassez la culpabilité…
Et puis il y a la fraude pour retrouver un être cher. Gustave, 45 ans, en couple avec des enfants, a entamé une liaison il y a huit mois. Il a rencontré son amante sur une appli de rencontre. Elle aussi était en couple avec des enfants. Le confinement est annoncé, mais la communication à distance a ses limites. Le désir de se voir les prend à la gorge. “Les parcs étant fermés, j’ai longuement cherché sur Google Street View des lieux : il est particulièrement difficile pour des amants de trouver à Paris des endroits suffisamment accueillants et discrets dans l’espace public en ces temps de confinement.”
Heureusement, Gustave a récupéré les clefs de l’appartement parisien d’une amie confinée en province. Ils se retrouveront là-bas. Gustave se dote d’un masque, remplit son attestation pour motif médical et rase les murs du métro. Elle vient à pied. Tous deux estiment avoir déjà eu le coronavirus.
“Nous étions très excités à l’idée de pouvoir faire l’amour. Si nous étions sereins s’agissant de notre propre santé, le contexte pesant a un peu douché notre enthousiasme : je crois que nous portions chacun·e une part de culpabilité dans cette transgression, alors qu’organiser une semaine à l’avance ce rendez-vous de manière très précise (jour, heure, trajets, motifs, discrétion) nous avait demandé pas mal d’énergie”, nous écrit-il.
“Une relation clandestine prépare à une telle situation de confinement”
L’amante a des difficultés à chasser le stress provoqué par la rencontre, Gustave, lui, l’a pratiquement occultée dès le lendemain. “Je ne me souvenais plus vraiment, éprouvant un sentiment d’irréalité (…). En tout cas, je ne pense pas que le contexte et la dimension d’interdit aient contribué à ‘pimenter’ la rencontre : ce n’était pas l’idée.” Mais les amants connaissent bien ce sentiment d’inconfort, la deuxième fois est meilleure. « En un sens, une relation clandestine prépare à une telle situation de confinement.”
Reste les incertitudes, nombreuses, tétanisantes, qui touchent le plus grand nombre et les percent dans leur intimité. Sans compter le flou des vacances qui se profilent et qui risquent de les séparer à nouveau. A moins que le confinement ait raison de leurs couples respectifs ? « Mais tout ne dépend pas de nous : la crise économique qui se profile rebat les cartes, sur les questions d’emploi et de logement notamment… Mais on peut espérer, très romantiquement, que l’amour vaincra !”
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