Dix ans après sa réalisation, le premier long métrage de Ryûsuke Hamaguchi, talentueux auteur d’“Asako I & II”, sort sur les écrans. Un écheveau de dilemmes amoureux déjà impressionnant.
Révélé au printemps 2018 par les annonces concomitantes de sa sélection en compétition officielle à Cannes pour le sublime Asako I & II et de la sortie en France de son précédent film, la vaste fresque Senses, Ryûsuke Hamaguchi réalisait en sortant de son école de cinéma en 2008 Passion, son premier long métrage donc, jusque-là inédit chez nous. Le film explore les tensions amoureuses régnant au sein d’un groupe d’amis composé de jeunes Tokyoïtes middle class, au bord de la trentaine.
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https://youtu.be/FI0yGb_EZYg
Dès les premières minutes, on scrute la germination des qualités du réalisateur japonais. S’il est évident qu’il ne sait pas encore très bien où poser sa caméra et que les axes ont tendance à se multiplier de façon un peu vaine, l’infinie attention accordée aux regards, aux gestes, aux paroles et à ce qu’ils traduisent des états émotionnels tourmentés de ses personnages impressionne déjà. S’y manifeste très tôt son attrait pour un bouillonnement relationnel très rohmérien, un goût pour des personnages saisis en pleine transition – de l’insouciante jeunesse à la vie salariée, de la sociabilité d’un groupe d’amis à la perspective d’une vie de couple, de la vingtaine à la trentaine – et une critique d’une société japonaise corsetée (on pense ici à la puissante scène où il est question du suicide d’un collégien).
Un étirement des séquences dialoguées
On y retrouve aussi sa capacité à étirer ses séquences dialoguées jusqu’à atteindre une forme d’éreintement du langage, ce moment où le verbe cesse d’être outil de dissimulation des affects pour devenir une force de révélation de soi aux autres, ou se fait même silence et accouche d’un acte d’une absolue pureté sentimentale. On se souvient de cette longue scène de discussion nocturne où l’un des personnages propose à ses amis d’essayer de se dire avec une franchise sans précédent, ou alors à cette séquence matinale sur un quai et durant laquelle un homme explique à une femme sur le point de se marier avec un autre qu’il l’aime et surtout pourquoi il l’aime.
Si la comédie romantique se déploie en passant par le quiproquo, le hasard et l’inattendu – la passion s’improvise – et le drame sentimental se dénoue grâce à l’érosion du temps, de la fatalité et des regrets – la passion s’endure –, le film de Ryûsuke Hamaguchi emprunte une fascinante troisième voie. Il résout la complexité de ses dilemmes amoureux en amenant ses personnages à se confronter à leur propre discours, à se demander « où en suis-je avec mes mots (maux) ? » et à les exprimer dans un climat de confiance avec les autres – la passion s’explique.
Bruno Deruisseau
Passion de Ryûsuke Hamaguchi, avec Aoba Kawai, Ryuta Okamoto, Nao Okabe et Fusako Urabe (Jap., 2008,1 h 55)
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