L’icône du rhythm’n’blues américain et des droits civiques, reste toujours aussi engagée et enthousiaste. Amen.
Refuser une demande en mariage de Bob Dylan ? Personne n’a osé se le permettre, sauf Mavis Staples, qui se jugeait trop jeune pour l’épouser. A l’époque, au début des sixties, elle chantait avec ses sœurs et son père, le légendaire guitariste Pops (1914-2000). Les Staple Singers officiant depuis la fin des années 1940, Dylan l’avait déjà beaucoup écoutée, fasciné par le morceau Uncloudy Day (1956), où brille la gravité du timbre de Mavis, alors âgée de 17 ans.
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https://www.youtube.com/watch?v=TmBNuNNnGHY
Cette voix singulière, on la retrouve aujourd’hui sur We Get By, écrit et produit par Ben Harper. Mavis l’avait rencontré il y a trois ans sur l’album Livin’ on a High Note : “Ça s’est si bien passé qu’il m’a proposé de me faire un album entier ! Ben est un esprit libre, doux et attentif, il est comme mon fils, et j’ai joué à la maman.”
L’essence du gospel, de la soul et du blues
Dès la pochette, le ton est donné avec une photographie de Gordon Parks, Outside Looking In, Mobile, Alabama, qui date de 1956. On y voit des enfants afro-américains qui, à travers le grillage d’un parc, observent les jeux auxquels ils n’ont pas accès. Une époque ségrégationniste qu’a bien connue Mavis, même si sa famille était basée à Chicago : “Cette image m’a immédiatement fait penser à ma sœur Yvonne et moi, petites, avec nos robes courtes et notre mère qui nous disait de passer notre chemin. Cette tristesse, je la ressens encore.”
Du point de vue sonore, We Get By est cependant assez éloigné de la bouillonnante bande originale signée par Isaac Hayes pour Shaft – Les Nuits rouges de Harlem (1971), principal succès cinématographique de Gordon Parks et fleuron de la Blaxploitation. Si des échos funk se font ici entendre, hommage est surtout rendu à l’essence du gospel, à la soul et au blues. C’est d’ailleurs du Delta blues que venait Pops Staples, figure paternelle vénérée par ses filles qu’il a menées sur la voie de l’engagement :
“Avec les Staple Singers, nous essayions de panser les blessures en rêvant d’un avenir plus lumineux. Jamais je n’aurais imaginé qu’il puisse être pire, et pourtant c’est le cas. Les chansons de We Get By parlent d’amour et d’espoir, mais reflètent aussi le chaos qu’est devenu le monde. Je me demande ce que le Docteur King aurait fait…”
C’est à Montgomery, Alabama, durant les sixties, que les Staple Singers ont rencontré pour la première fois Martin Luther King lors d’un de ses offices dominicaux. Conquis par son charisme, le groupe décide de rejoindre le mouvement de la lutte pour les droits civiques. Son assassinat en 1968 foudroie Mavis qui, des années plus tard, en félicitant Barack Obama pour sa victoire, lui rappelle que sans Martin Luther King il n’aurait jamais été élu. La chanson préférée du légendaire prêcheur ? Why? (Am I Treated So Bad), parue en 1966 et qui valut sans doute aux Staple Singers de signer deux ans plus tard chez le label Stax, où explose tout leur potentiel funky.
“Je suis bénie”
En 1969, Mavis se lance en solo. Malgré des disques à la qualité inégale, elle a par la suite maintenu la cadence en s’entourant des meilleur.e.s : Curtis Mayfield, Jeff Tweedy de Wilco, M. Ward, Nick Cave, Valerie June, Ry Cooder ou encore Prince, qui a su la sauver des calamiteuses eighties.
“Tous différents, mais purs, puissants, concernés, commente-t-elle. Ils m’ont aidée à exprimer en mots ce que je ressentais, les histoires que je leur ai racontées. Bob (Dylan – ndlr) m’invite encore aujourd’hui à ouvrir ses concerts. On ne s’est peut-être pas mariés, mais on s’aime et on se respecte profondément ! Je suis bénie.”
Du r’n’b à la country, Mavis a touché à tout sans jamais perdre de vue sa passion première, qu’elle a incarnée sur scène dès son adolescence : le gospel. En 1996, elle a d’ailleurs rendu hommage à Mahalia Jackson avec l’album Spirituals & Gospels : “Elle a été la première femme que j’ai entendue. La meilleure des chanteuses. Quand j’étais très jeune, elle est venue jouer à Chicago. Nous sommes devenues proches, elle m’a donné de la confiance en moi, m’a appris comment m’habiller avec les vêtements de mon frère. J’ai porté les mêmes boucles d’oreilles qu’elle, le même rouge à lèvres… La dernière fois que j’ai vu Mahalia, c’était à New York, elle m’a demandé de chanter avec elle Precious Lord (Take My Hand)…” Un tube entre autres immortalisé par Aretha Franklin et Elvis Presley.
En 2000, la mort du patriarche Pops dévaste Mavis. Celle de sa sœur Yvonne, l’année dernière, lui rappelle que la vie est courte… et la musique, salvatrice, pour les blessures intimes comme pour les douleurs universelles. “J’ai beaucoup prié pour avoir de la force, dit-elle. Même le Seigneur a dû en avoir assez ! Et puis je me suis relevée. Le but, c’est de faire part de mon engagement. Il y a deux ans, mon pays a élu ce nouveau président dont je ne veux même pas prononcer le nom… J’ai eu l’impression de revenir dans les années 1960, plus violemment encore, avec ces murs et ces programmes contre les migrants. Pour cette raison, je veux à tout prix continuer à chanter mes chansons.”
Le 10 juillet, alors qu’elle sera en Europe pour défendre les mélodies à la fois rugueuses et émotionnelles de We Get By sur scène, Mavis Staples aura soufflé ses 80 bougies. Mais son cœur, lui, n’a pas perdu la ferveur de ses 20 ans.
Album We Get By (Anti-/PIAS), sortie le 24 mai
Concert Le 5 juillet, Paris (La Cigale), le 6 juillet, Lyon (Les Nuits de Fourvière)
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