Avec “Cataract Valley”, Marie Rémond s’empare d’une nouvelle de Jane Bowles qui met à nu les liens qui unissent trois sœurs au bord de la crise de nerfs.
Sororité, que d’encre coule en ton nom pour tenter d’exprimer cette dépendance à un trop-plein d’amour qui étouffe dans l’œuf la liberté des sœurs à se construire des destinées. Comme les nains du conte, chacune des sœurs dont Jane Bowles tire le portrait dans sa nouvelle Camp Cataract pourrait être affublée d’un surnom.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’aventurière Harriet et la protectrice Sadie ne seraient rien sans l’aide de la laborieuse Evy, qui peste sans cesse contre l’irresponsabilité des deux premières et résume avec humour une situation familiale proche de l’hôpital de jour. “L’une d’elles est tellement folle qu’elle doit faire des séjours dans une cabane en rondins pour soigner ses nerfs, à mes frais, tandis que l’autre nourrit le projet délibéré de devenir folle derrière mon dos !”
Toutes les nuances de la palette des émotions
Avec cette adaptation pour le théâtre d’une œuvre de littérature signée par celle que Tennessee Williams considérait comme “l’une des auteures de fiction les plus remarquables de l’époque moderne”, Marie Rémond démontre une fois de plus l’éclectisme de ses goûts et sa capacité à décliner sur le plateau toutes les nuances de la palette des émotions.
Ainsi, après l’humour impayable de son hommage au joueur de tennis André Agassi et la tendre nostalgie de son spectacle dédié à Barbara Loden, la réalisatrice du film Wanda (1970), l’actrice et metteuse en scène passe sans transition cette saison des mystères d’un scénario inédit de Fellini avec Le Voyage de G. Mastorna à cette plongée en apnée dans l’âme féminine orchestrée par Jane Bowles en 1948.
Un ancrage au réalisme de la nature
Refuge inespéré pour les inadaptés de la vie devenus allergiques aux bruits du monde civilisé, le camp de vacances de Cataract Valley est un bout de la route réputé pour sa chute d’eau dont le fracas vibre toujours des esprits de la forêt qui hantent les vieilles légendes indiennes.
Abandonnant Evy (Caroline Darchen) à son urbanité surbookée, Harriet (Marie Rémond) a fait de ce lieu son ultime refuge où calmer ses crises d’angoisse sans témoins. C’était sans compter sur l’arrivée inopinée de Sadie (Caroline Arrouas), qui ignore ce qu’elle risque en rejoignant sa sœur sur un tel territoire.
Marie Rémond s’amuse avec délicatesse de la foule des non-dits qui émaillent les conflits affectifs de son trio féminin. Plantant une forêt de grands arbres sur le plateau et imaginant le tour de force d’y reproduire le tonnerre sonore d’une vraie cascade, Marie Rémond s’ancre au réalisme de la nature pour mieux exacerber les développements fantasques de la plus borderline des histoires.
Cataract Valley, d’après la nouvelle Camp Cataract de Jane Bowles, conception et jeu Marie Rémond, co-mise en scène Thomas Quillardet. Avec Caroline Arrouas, Caroline Darchen, Laurent Ménoret. Du 17 mai au 15 juin, Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier, Paris XVIIe.
{"type":"Banniere-Basse"}