En prise directe avec la société brésilienne, aCORdo et Cria d’Alice Ripoll captent une image sur le vif du pays et de ses habitants.
De La Villette aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, ce n’est rien de dire que l’on s’arrache la Brésilienne Alice Ripoll. Face à nous au café du Centre Pompidou, la Carioca montre des signes évidents de fatigue. “Je voyage tant depuis des mois en Europe. Je me dis que ce dont j’ai besoin, c’est de me remettre au travail en studio.”
Alice Ripoll est sans doute fatiguée des questions sur le Brésil. “Ce n’est pas ce que je préfère, je n’ai pas toutes les explications. A travers mon travail, je parle de politique. Mais il est important que les gens ici s’intéressent à la situation du Brésil”, dit-elle encore.
“aCORdo”, un quatuor sédérant
Justement, on vient de voir aCORdo, quatuor sidérant, commande d’un espace culturel de Rio. A l’invitation du Festival Artdanthé, c’est dans une des salles de Beaubourg que le public était convié. Devant nous, les danseurs recréent des tableaux façon pietà avant d’oser une transe vibrante. La bascule se fait au bout d’une vingtaine de minutes. Les solistes “dépouillent” alors les spectateurs.
Ne comptez pas sur nous pour vous raconter la fin d’aCORdo. Alice Ripoll s’est souvenue d’un documentaire tourné durant la Biennale de São Paulo. La manifestation, la plus importante d’Amérique du Sud, avait invité des graffeurs à participer.
Ces derniers, conscients peut-être d’une possible récupération, avaient fini par peindre sur les peintures des autres artistes. Scandale dans le milieu de l’art. “Cela est resté dans ma mémoire. Je me suis demandé comment faire comprendre la situation que certains vivent tous les jours. Je pense aux habitants des favelas face à la police, violente, face au racisme latent.”
Condamner ou interroger
aCORdo place chacun devant une situation inédite. Faut-il condamner celui qui nous fait face ou interroger les mécanismes pervers de la société ? Qui est la victime au final ? Alice Ripoll dit qu’elle ne crée pas les mouvements : “Ils viennent des danseurs.”
Son regard aigu fait le reste. Elle définit son travail de chorégraphe sobrement : “Le plus important, c’est de connecter les gens. Je suis une grande oreille qui écoute.” A Rio où elle travaille, il n’y a presque pas d’aides. Il faut trouver des moyens de survie. “Tout le monde joue le jeu.”
“Cria” résonne du langage du corps
Cria, également présenté en France, réunit une dizaine d’interprètes. S’inspirant de la danse populaire, du dancinha au hip-hop, la pièce résonne “du langage du corps. Le contexte va irriguer la chorégraphie. Il est difficile de trouver chez nous quelqu’un qui n’a pas le sens du rythme”, plaisante à peine Alice.
“Au Brésil, les nouveaux styles dansés ou joués semblent apparaître chaque année. Les danseurs ici apprennent de la vie, de la rue. Pourtant, souvent ils connaissent mal leur propre corps.” Alice Ripoll lâche également qu’elle se voit comme une artiste avec des sensations plus que des idées.
Le racisme, les inégalités, elle en fait matière à réfléchir autant qu’à danser. “Nous avons eu les JO, la Coupe du monde : qu’en reste-t-il ? Ceux qui n’ont rien ont été renvoyés à leur quotidien.”
ACORdo, les 22 et 23 mai à La Dynamo de Banlieues Bleues, Pantin (Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis)
CRIA, les 15 et 16 juin à L’Embarcadère, Aubervilliers (Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis), le 18 juin, Maison Folie Wazemmes, Lille (festival Latitudes Contemporaines)