Les élections européennes du 26 mai 2019 vont à nouveau connaître un fort taux d’abstention. Comment expliquer le désintérêt des Français pour ces élections ? Un mélange d’incompréhension du rôle des eurodéputés et des institutions de l’Union européenne, d’après les députés que nous avons interrogés.
Le dernier sondage de l’Ifop du mercredi 8 mai prévoit 57,5 % d’abstention aux élections européennes du 26 mai de la part des Français. Ce chiffre a du mal à passer du côté des eurodéputés déjà en fonction, qu’ils soient candidats pour 2019 ou non. Les membres du Parlement européen que nous avons interrogés désignent l’incompréhension comme coupable de ce désintérêt des Français. Six députés européens nous éclairent sur leur fonction : son organisation et l’influence qu’elle peut avoir dans la vie quotidienne des Français.
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Pour Isabelle Thomas, députée depuis 2012 à Strasbourg et candidate en 4e position sur la liste de Génération. s de Benoît Hamon, « les gens rejettent l’Europe parce qu’ils ne la comprennent pas ». Celle qui fait des réunions dans sa circonscription (la Bretagne) pour expliquer le fonctionnement de l’Union Européenne (UE), nous donne sa version pédagogique des faits : « L’Europe, c’est très simple. Ça fonctionne exactement comme les institutions françaises. Il y a un gouvernement (la Commission) qui a deux pouvoirs : législatif et exécutif. Il y a aussi deux assemblées législatives comme en France (le Sénat et l’Assemblée nationale). Là, c’est le Parlement et le Conseil. Au lieu d’avoir des sénateurs, on a les chefs d’Etats et de gouvernements. » Edouard Martin, élu en 2014 sur la liste PS, occupe la dernière place de la liste de Benoît Hamon cette année, et a le même sentiment que Mme Thomas : « Lorsqu’on comprend mal les choses, on ne retient que ce qui est mauvais. Quand je n’étais pas encore député, Bruxelles me paraissait loin – et pas uniquement géographiquement !, se rappelle-t-il. Je ne savais pas quel était l’impact de l’Europe dans ma vie de tous les jours. »
“C’est toujours la faute de l’Europe”
Elisabeth Morin-Chartier accuse les élus locaux d’être une des sources du rejet de l’UE. « Ils sont les premiers à dire quand quelque chose ne va pas que c’est la faute de l’Europe », fustige la députée élue en 2007 sur une liste UMP (parti devenu Les Républicains dont elle a « claqué la porte » en février 2018 à cause de son éloignement d’une ligne pro-européenne). Elle se souvient d’un épisode qui l’a particulièrement marquée : « J’ai écrit à un maire pour lui demander s’il voulait mettre des drapeaux européens sur un viaduc qui bénéficiait de fonds de l’UE. Il m’a répondu : « on en met pendant la semaine de l’Europe ». Mais en Espagne, au Portugal ou en Irlande, il y a tout le temps des drapeaux européens, pas seulement pour la semaine de l’Europe ! » Selon elle, le travail des eurodéputés n’est pas populaire parce que « la France a un vrai problème à dire ce que fait l’Europe ».
Si on peut voir plusieurs fois par semaine les députés nationaux débattre à la télévision sur la chaîne LCP, les eurodéputés se font plus discrets. Avec deux lieux de travail, Bruxelles et Strasbourg, des mots comme « commission » qui signifient plusieurs choses au sein de l’UE, il est parfois compliqué de comprendre ce que font concrètement les députés européens. Comment s’organise leur quotidien ? Elisabeth Morin-Chartier nous éclaire : « Pendant trois semaines, nous travaillons à Bruxelles en commission parlementaire. Dans ces groupes thématiques où plusieurs pays et différentes préférences politiques sont représentés, on modifie les textes jusqu’à ce qu’on tombe d’accord. La quatrième semaine du mois, on se retrouve tous à Strasbourg où l’on vote pour ou contre les textes des différentes commissions parlementaires. » Ce vote est obligatoire pour les députés et personne ne peut voter à leur place. Le travail réalisé à Bruxelles est aussi législatif que diplomatique puisque les élus tentent de convaincre les autres membres de leur commission que leurs propositions sont les meilleures. Les semaines à Bruxelles et à Strasbourg se terminent le jeudi pour que les députés puissent consacrer le vendredi à leur circonscription. Ils retournent là où ils se sont fait élire pour rencontrer les citoyens et récolter les informations sur le terrain.
Les plus célèbres ternissent la réputation des plus sérieux
Tout cela, bien sûr, c’est la théorie. Le problème est que de nombreux élus européens ne respectent pas leurs engagements et ne se rendent que rarement à Bruxelles pour les travaux en commission. L’association le « Mouvement européen », qui vise à éduquer sur les enjeux européens, a établi un classement des eurodéputés français en fonction de leur présence à Bruxelles et à Strasbourg. Des noms très connus d’hommes et de femmes politiques se révèlent être plutôt bas dans le classement, comme Jean-Marie Le Pen (74e… sur 74), sa fille Marine Le Pen (57e), Florian Philippot (71e) mais aussi Eva Joly (67e), Michèle Rivasi (60e) et Yannick Jadot (40e).
Françoise Grossetête, classée à la première place, regrette que certains ne prennent pas au sérieux cette position. Après 25 ans de mandat, cette élue LR a compris comment avoir de l’influence en tant qu’eurodéputée : « Le député européen qui s’implique et qui accepte de passer quatre jours par semaine au Parlement européen à Bruxelles ou à Strasbourg, celui-là, il a un vrai pouvoir. » Elle a plusieurs fois été nommée rapporteure (une personne chargée de rapporter les textes décidés en commission à l’ensemble du Parlement) parce qu’elle s’est montrée investie au fil des ans. Pour elle, cela ne fait aucun doute : « Ceux qui disent que le député européen n’a pas de pouvoir ce sont ceux qui ne se sont jamais impliqués, jamais engagés, qui survolent les choses et qui effectivement n’ont aucun pouvoir. Il y a très peu de députés européens français qui sont engagés. » Elle ne voit pas les élections qui arrivent d’un bon œil. « J’espère que sur les listes de 2019, il y aura des gens qui vont véritablement s’engager, je ne suis pas sûre que ce soit le cas de la liste LR », regrette-t-elle.
Un Parlement qui n’aurait pas de réel pouvoir ?
.@ericcoquerel "Le parlement européen est fictif. Il n'a quasiment aucun pouvoir" #le79inter
— Eric Coquerel (@ericcoquerel) September 27, 2017
Ce n’est pas parce que l’une des jambes législatives de l’UE est composée des chefs d’Etats et de gouvernement que l’autre n’a pas de poids. Les décisions du Parlement peuvent prendre le pas sur celles du Conseil. Isabelle Thomas se souvient du vote sur la pêche électrique en février dernier, une fois où « le Conseil a plié » devant le Parlement. Il souhaitait suivre la décision de la Commission qui recommandait d’autoriser la pêche électrique. Finalement, le vote du Parlement qui s’y opposait est celui qui a été pris en compte.
Et si l’interdiction de la pêche électrique n’est pas un vote qui influence le quotidien de nombreux Français, les députés européens ont parfois le pouvoir de changer des choses très concrètes. Karima Delli, eurodéputée élue en 2009 avec Europe Ecologie Les Verts, candidate en 2019 sur la liste de Yannick Jadot, appartient à la commission qui a mis en place un titre de transport unique pour les jeunes Européens. Toujours concernant les jeunes, Isabelle Thomas a lutté pour que les apprentis puissent partir en Erasmus au même titre que les autres étudiants. Quand on lui parle d’impact concret, Elisabeth Morin-Chartier ne sait quel exemple choisir. « Il y a eu le fonds social européen, un plan qui permet aux chômeurs de retrouver un travail mais aussi aux salariés d’évoluer dans leur emploi, explique-t-elle. Je l’ai fait amender pour que des salariés, qui vont devoir travailler avec des nouvelles machines numériques, soient formés à ces évolutions de l’emploi. Ça leur permet d’éviter de tomber dans le chômage. » L’ancienne élue LR a également façonné la directive sur les travailleurs détachés qui entrera en application en juillet 2020 : « Pour éviter le dumping social et la concurrence déloyale, le Polonais qui travaillera en France aura le même salaire et les mêmes conditions sociales que le Français. » On peut également citer le roaming (qui permet d’utiliser le réseau mobile de son pays d’origine dans tous les pays de l’UE), l’installation de la 4G dans toute l’Europe, l’interdiction des plastiques à usage unique ou encore l’obligation d’avoir des places pour les vélos dans les trains, comme exemples d’influence du Parlement sur la vie des citoyens.
Au regard du travail qu’ils disent fournir, les eurodéputés ont du mal à comprendre pourquoi les Français se désintéressent autant d’eux. « Quand on dit qu’on veut que la France ait de l’influence en Europe, ça passe par les députés », martèle Françoise Grossetête. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils ont plus de pouvoir que les députés nationaux. C’est la théorie du candidat Génération. s Guillaume Balas, eurodéputé depuis 2014 : « Un mandat de député national ne sert quasiment à rien puisque le président de la République et le gouvernement décident de tout. Si vous êtes dans la majorité vous votez oui, si vous êtes dans l’opposition vous votez non, point barre. Ce n’est pas du tout pareil au niveau du Parlement européen. » Comme quoi, les critiques entre élus ne vont pas que dans un sens.
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