Réédition de « Home Boy, Sister Out », un album enregistré à Paris en 1985 par Don Cherry. Trompettiste, il s’y fait chanteur et brasse funk, hip-hop et new-wave.
En 1978, lorsqu’il tombe sur Don Cherry au coin des Boulevards Raspail et Montparnasse, Ramuntcho Matta, très proche à l’époque de Brion Gysin et de son entourage (Burroughs, Ginsberg, Bowie…), ne se doute pas que cette rencontre va changer sa vie. “On avait tous les deux un synthé Melodica sous le bras, il m’a proposé d’aller en jouer à son hôtel et on a fini par devenir de bons amis. Après tout, comment ne pas l’être avec un homme capable de vous expliquer pendant plusieurs heures l’essence de la musique d’Ornette Coleman ?”
Ramuntcho Matta rencontre Don Cherry
Quelques années plus tard, Ramuntcho Matta fait une autre rencontre déterminante : celle de Philippe Constantin, instigateur des succès de Pink Floyd et Téléphone en France. L’éditeur est à la recherche d’un projet audacieux pour le lancement du “nouveau Barclay” et semble particulièrement intéressé à l’idée de publier un disque de chansons de Don Cherry. “Il nous a filé un budget et on a eu cinq jours pour finaliser le tout”, précise Ramuntcho Matta.
Dès lors, mieux vaut ne pas chômer. Surtout que le trompettiste est alors accro à l’héroïne et que les moments de clarté se font rares. “Entre ses montées et ses descentes, on n’avait qu’une à deux heures par jour pour enregistrer les morceaux. Avec les musiciens mobilisés, dont Elli Medeiros et Jannick Top, bassiste de France Gall et Johnny, on se devait donc d’être prêts à tout instant pour ne pas perdre de temps. Au final, tout s’est très bien passé. Non seulement on n’a jamais eu l’impression de travailler, mais on a en plus eu l’immense bonheur d’expérimenter et d’oser, sans désir particulier ni soif de reconnaissance.”
Une “sono mondiale”
La critique est malgré tout mitigée face à un album aussi audacieux que Home Boy, Sister Out. Il faut dire que le trompettiste ne souhaite pas particulièrement le défendre en interview et que le marché américain se ferme illico. Raison invoquée : ce disque serait invendable avec Don Cherry derrière le micro. “Aux Etats-Unis, les labels ont beaucoup de mal à accepter qu’un artiste puisse sortir de sa zone de confort, regrette Ramuntcho Matta. Or, là, Don prenait tout à contre-pied, ses fans comme sa discographie.”
Vrai : plutôt que de répéter ses expérimentations free ou de céder le pas au jazz fusion, Don Cherry s’accapare ici tous les styles (funk, hip-hop, new-wave, musiques latines), pousse la chansonnette, rappe parfois et va même jusqu’à appeler ses proches afin d’enregistrer ses idées sur leurs répondeurs. On comprend alors que l’Américain était un amoureux des mots, un homme capable de faire groover n’importe quelle mélodie de sa voix habitée. Grâce à cette réédition, on comprend surtout que sa collaboration avec Ramuntcho Matta dépasse le simple cadre de ce disque. A l’image de Kick, présent sur le CD bonus et enregistré quelques années plus tôt dans l’idée de formuler une nouvelle avant-garde. Une “sono mondiale”, diront certains.