Après six années d’absence, le groupe new-yorkais fait son retour avec son quatrième album, le foisonnant et lumineux Father Of The Bride. L’occasion de discuter, à Londres, avec son leader de l’enregistrement du disque, de l’influence de Kanye West et du passage à l’âge adulte.
Six années sont passées depuis Modern Vampire Of The City. Pourquoi avoir mis autant de temps pour ce quatrième album ?
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Ezra Koenig – Il nous aura fallu six ans pour revenir mais pas pour écrire cet album. J’ai travaillé dessus deux ou trois années. Mais voilà le problème que j’ai découvert : si tu as envie d’avoir une vie normale, de prendre du temps pour ne pas être musicien tous les jours, tu arrives rapidement avec cinq ou six années entre deux disques.
Ce laps de temps est surtout inhabituel par rapport à l’activité discographique du groupe, avec trois albums publiés en l’espace de six ans.
Je n’aurais pu continuer à ce rythme effréné. La musique serait devenue quelque chose de trop professionnel. Il y avait suffisamment d’énergie, celle de la jeunesse ou des idées initiales de Vampire Weekend, pour accomplir ces trois premiers albums. Je savais que si nous continuions de la même manière, cela deviendrait davantage un travail, avec un agenda pour sortir un nouveau produit. Cela n’aurait plus été de l’art.
Avec votre troisième album, Modern Vampires Of The City (2013), vous êtes devenu un groupe énorme, remportant au passage un Grammy. Ressentais-tu le besoin de vous faire un peu oublier ?
Je n’y réfléchissais pas dans ces termes-là. J’avais besoin de me sentir à nouveau amateur. Je déteste l’idée d’être un musicien professionnel, parce que les meilleures idées arrivent en étant naïf. J’étais aussi fatigué de tout ça. J’avais besoin de temps pour moi, pour être à nouveau inspiré. D’autant que nous avons réalisé une sorte d’accomplissement : après trois disques, j’avais le sentiment d’avoir prouvé quelque chose. Trois albums, ça commence à ressembler à une vraie carrière. Il n’y avait donc pas d’obligation à se hâter.
Quand tu as recommencé à retravailler, t’es-tu interrogé sur la place de Vampire Weekend en 2019 ?
Oui, bien sûr. Quand j’ai fait un break, vers 2014-2015, je ne savais plus où se situait Vampire Weekend. D’autant que nos trois premiers albums racontent notre jeunesse… C’était naturel de faire une pause, comme après la fin d’une histoire d’amour. J’avais besoin de temps pour profiter de ma vie d’adulte.
N’as-tu pas assez profité des premières années de Vampire Weekend ?
Comme mes autres comparses, je pense que nous avons été ultra-créatifs pendant la première moitié de notre vingtaine. Des idées ont jailli sur le premier album pour mûrir et se réaliser sur le troisième album. Des paroles ou une partie de guitare n’ont pas été restreintes à un seul album. Mais il faut être honnête avec toi-même quand l’heure du break est venue pour que de nouvelles idées surgissent.
C’est pour cela que dans Harmony Hall tu réutilises les paroles de Finger Back, un titre du précédent album ?
C’est quelque chose que j’ai toujours fait. Je travaille sur une chanson si longtemps qu’il m’arrive de prendre quelques paroles d’un autre morceau, lui aussi en work in progress. Pour Finger Back, je souhaitais que ces paroles soient sur le troisième album alors je les ai rajoutées à la fin de la chanson. Ce morceau est un collage, tout ne va pas forcément ensemble. Tandis qu’Harmony Hall est plus spécifique. Tout l’enjeu de la chanson réside dans le texte. C’était déjà pareil sur Cap Code Kwassa Kwassa, avec la phrase “It feel so natural Peter Gabriel too” qui provenait d’une des premières chansons du groupe.
Depuis Modern Vampires Of The City, Rostam Batmanglij, qui produisait jusque-là vos albums, a quitté le groupe. Comment son absence a-t-elle affecté votre manière de travailler ?
En écrivant ce disque j’ai eu une prise de conscience : en vérité, mon rôle n’a jamais changé dans le groupe. Bien sûr que je me suis demandé si tout serait différent après son départ, mais ce que j’ai fait sur notre quatrième album est semblable à ce que je faisais sur le premier. Je chante, j’écris les paroles. J’ai toujours été la personne centrale. C’était la règle de base : ce serait moi qui choisirais les chansons. Un groupe a besoin d’avoir une vision et il faut une personne à sa tête. Quand Rostam écrivait une partie musicale que je trouvais excitante, je la validais aussitôt. J’ai toujours admiré son travail. D’une certaine manière, je fais ce que j’ai toujours fait. Si j’apporte une chanson à Ariel (Rechtshaid, le producteur de Father Of The Bride – ndlr), il aura forcément une approche différente de Rostam. Et ce n’est que pour évoquer les deux producteurs dont je suis le plus proche, et avec qui j’ai une longue relation. Sur ce disque, j’ai aussi travaillé avec d’autres producteurs.
Quand on t’écoute, on peut se demander pourquoi le disque sort sous le nom de Vampire Weekend et pas sous ton patronyme.
(Longue pause.) Disons que cela n’a jamais fait sens de sortir un album solo tant que Vampire Weekend existe. J’ai un attachement très fort à ce groupe. Cela fait sens de sortir un album solo quand tu n’as jamais trouvé ta voie dans un collectif. D’ailleurs, si je devais imaginer un disque solo, mon premier réflexe serait d’appeler Ariel, Rostam et toutes les personnes avec qui j’ai l’habitude de collaborer. Vampire Weekend est bien plus important que moi.
Certains nouveaux morceaux sont assez complexes dans leur structure, à l’instar de Sympathy.
Sympathy m’est venu assez aisément. Parfois, cela fut plus difficile quand je devais fusionner une partie composée au piano avec une autre à la guitare. Pour Sympathy, on s’amusait simplement dans le studio, en pensant autant aux Gypsy Kings qu’à la house ou au metal.
C’est presque du prog-rock mais condensé en moins de quatre minutes.
Ça a toujours été notre truc de mettre les plus d’éléments possibles dans une seule chanson. Nous avons toujours eu ce sentiment que chaque couplet devait être différent. J’aime bien l’idée que tout le monde peut y entendre ce qu’il veut. J’ai fait beaucoup d’interviews ces trois derniers jours. C’est drôle de voir que certains journalistes me disent qu’il y a beaucoup de simplicité dans ce disque et d’autres, au contraire, qui le trouvent plutôt complexe. Tant que la complexité ne prend pas le dessus sur la simplicité, l’harmonie demeure.
Sans doute qu’en découvrant le disque, le côté lumineux ressort, avant que le travail sur les textures et les voix se détachent.
Avec un album long de dix-huit titres, il est nécessaire de trouver de la variété en tant que chanteur. Et puis c’est drôle d’explorer différentes pistes et d’essayer plusieurs voix. C’est le premier album de Vampire Weekend où il y a de vrais invités, en l’occurrence Danielle Haim et Steve Lacy. De fait, c’était intéressant de penser les voix comme des instruments. Ces trois duos avec Danielle sont des moments qui cimentent le disque. Elle était souvent dans les parages puisqu’elle vit au-dessus du studio où nous enregistrions. La texture de voix d’une autre personne, même si ce n’est que pour effectuer des harmonies vocales, peut totalement modifier une chanson.
Ces duos symbolisent un retour vers l’Amérique folklorique, comme Married In The Gold Rush qui rappelle ceux de Johnny Cash & June Carter.
Je me suis évidemment inspiré de tous ces vieux duos country. Tous les genres musicaux ont des duos célèbres, mais dans la country, les artistes avaient un partenaire de duo pour la vie. Dans cette idée, il était important que nos invités apparaissent sur plusieurs titres. Ça me semblerait tellement bizarre d’avoir un interprète différent par duo. Idem pour Steve Lacy : il joue de la basse sur une chanson, en coproduit une autre et fait des harmonies. Quand tu entres dans la famille Vampire Weekend, tu y restes pour de bon.
Mais tu penses que cette manière de faire a joué sur la conception de l’album ?
Il y a plusieurs choses. La première, c’est que j’admire la manière dont Kanye West travaille, quand de nombreuses personnes différentes vont et viennent, contribuant respectivement avec leurs idées. Il y a une personne à la tête du processus mais avec une sorte de groupe d’experts autour de lui. C’est comme cela que la musique est fabriquée à présent. Je vis désorrmais à L.A. et beaucoup de personnes de mon entourage contribuent à des albums de pop. Je souhaitais m’inspirer de cette politique de la porte ouverte, mais j’ai aussi compris que je voulais travailler avec des gens dont je me sens proche. Il y a plus de gens que d’habitude, mais ce ne sont pas des étrangers. Ce sont des personnes que je connais bien, ou que j’ai appris à connaître avec le temps.
Sur ce disque, tu as travaillé avec des producteurs qui ont un pied dans la musique mainstream.
Je peux facilement imaginer les gens regarder les crédits du disque et penser qu’il y a des gros noms. La vérité, c’est que tout s’est passé de manière naturelle. BloodPop en particulier, c’est lui qui m’a contacté. On se suivait mutuellement sur Twitter et il m’a demandé, un jour, si cela m’intéressait de bosser avec lui. A cette époque, il devenait très connu pour avoir tout juste produit un tube mondial, Friends, de Justin Bieber. Mais je le connaissais pour les trucs étranges qu’il avait faits avant cela, notamment avec Grimes. Aujourd’hui, les musiciens prennent part à des mondes différents. Ce qui est important, c’est de partager le même langage. BloodPop est quelqu’un avec un grand sens de l’humour. Il travaille dans le monde de la pop mais ce n’est pas exactement quelqu’un de pop. D’autant que j’avais de la chance d’avoir Ariel avec moi pour terminer l’album.
Un peu comme de la pop mais faite de manière artisanale ?
Oui voilà. Et je suis content d’avoir eu un tel partenaire. J’ai toujours eu besoin d’un partenaire-producteur avec qui je pouvais écouter d’une traite toutes les chansons et réfléchir à l’ensemble.
L’une des deux premières chansons que vous avez sorties, 2021, comporte le sample d’une musique qui passe dans les magasins Muji. Est-ce que c’était une manière d’ironiser sur un possible mauvais procès avec votre passage du label indépendant XL à une major ?
Non, pas du tout. A notre époque, la différence entre label indépendant et major n’a plus vraiment de sens. La vraie distinction, quand tu discutes avec des jeunes artistes, se fait entre ceux qui sont signés quelque part et ceux qui sont totalement indépendants. Pour eux, major ou indé sonnent comme les deux faces du même genre d’entreprise capitaliste. Bien sûr, s’il y a quinze ans, on m’avait dit que je serais signé chez une major j’aurais imaginé des choses extravagantes. Au final, je suis dans les mêmes hôtels, à parler aux mêmes personnes.
Tu vis donc désormais à Los Angeles. Est-ce que tu penses que cela a influencé l’album ?
Plusieurs personnes m’ont dit qu’on entendait vraiment Los Angeles dans mon disque. J’étais plutôt surpris. Le truc, c’est que je ne voulais pas déménager à L.A., je ne l’ai pas spécialement choisi. Je n’ai jamais envisagé d’y déménager, mais petit à petit j’ai compris que j’y passais plus de temps qu’à New York. J’ai fini par me l’avouer quand mon fils y est né l’été dernier. Je ne faisais pas que passer un peu de temps à L.A., j’y ai désormais une famille. Reste qu’en travaillant sur cet album, je cherchais activement à ce qu’il ne sonne pas comme L.A. New York me manquait. Je continue de me sentir mieux dans l’architecture de New York que celle de la côte Est.
Propos recueillis par Cyril Camu
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