Lundi 6 mai se tenait le très attendu Gala du Metropolitan Museum de New York, où les stars étaient invitées à s’habiller autour du thème “Camp”. Decryptage.
Derrière les vitres du Muséum du Met Gala, les créations inertes de Mugler, Galliano ou McQueen, dialoguent bien sagement regroupées autour de l’énigmatique thème “Camp : Notes on fashion”. Alors que dehors, sur les marches encadrées par des photographes hurlant leurs noms, les célébrités endossent les tenues fantasmées des projections célestes d’un public qui recherche et dénigre cette extravagance assumée. Une démonstration où la frivolité devient un dispositif de connaissance central dans une société ou l’auto-culte de la personnalité a de quoi susciter toutes les craintes d’un plongeon des plus réels dans le superficiel.
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Camp ? La meilleure réponse n’est pas dans les mots, mais dans le look
Ce lundi 6 mai, un tableau à la fois surréaliste et impressionniste a pris vie sur les marches menant au Gala du Met. Climax des flashs, et ressort des posts instagram pour la semaine à venir, l’auto-dérision et la superficialité assumées sont depuis quelques années devenues caractéristiques de cette anti-chambre mondaine, qui le temps d’une soirée de bienfaisance joue au jeu d’un charivari luxueux. Super star et super riche se complaisent dans un néo-bal des débutantes co-orchestré par Anna Wintour et le conservateur Andrew Bolton. En soit, le choix du thème et son cadre de mise en scène sont sans-doute les gestes les plus “Camp” qu’ils soient.
Le camp est une philosophie, une manière d’être que Susan Sontag a tenté de théoriser dans un essai de 58 points en 1964. Une philosophie esthétique qui se vide de sens aussitôt qu’on la nomme, caractérisée par l’ironie, la théâtralité, un brin de vulgarité et un goût jovial pour le superflu. En quelque sorte une métaphore de ce qui définit la mode : soit quelque chose de pluriforme qui change aussi tôt qu’il devient nommé de tous. Wintour reconnait qu’il s’agit d’un thème abstrait et par cela même acquiesse d’un processus de théorisation de la mode, qui s’opère de manière invisible sur un tapis rouge des plus tape à l’oeil. Aussi fascinant que dérisoire, chaque année, le bal fait un pas supplémentaire vers l’attitude “Camp” , encart promotionnel de l’intellectualisation de la frivolité et de l’éphémère estampillé par les plus grandes maisons de luxe.
Après l’ode au post modernisme de Rei Kawukubo et une réflexion sur les liens entre luxe et religion portant la mode en icône, le thème camp semble être un couronnement. Le plus flou et le plus fou qui a laissé place à un amas de plumes multicolores, un bigarré de danseuses expatriées de Vegas ou Rio de Janeiro performant avec plus ou moins d’ardeur et d’auto-dérision la mobilité identitaire autorisée par le thème. Celine Dion devient par sa réflexion sur la soirée le personnage le plus « Camp » : “D’abord, je n’ai pas trop compris, quand j’ai entendu « Camp », je n’étais pas sûre de ce que cela signifiait, je me disais, camping ? On va faire du camping ? On va aller au MET, et tout le monde va rester dormir, toute la nuit, ensemble”, a-t-elle déclaré.
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Archéologie du Camp
Le camp de 1964, est-il le même en 2019 ? Selon Bolton « il s’agit de quelque chose très lié au temps ». Le camp « queer » est à l’origine du livre de Sontag qui avait pris comme premier titre Notes sur l’homosexualité. Le camp y est défini comme ésotérique fait de « codes privés », « le badge d’une identité dans des petites cliques » -souvent marginalisées. Kim Kardashian en robe « golden shower » Thierry Mugler, devient à l’orée d’une lecture queer une ode à l’ondinisme, soit une pratique sexuelle marginale. En 1998 les codes de la Golden Shower avait déjà occupé le devant de la scène mode à l’occasion d’un défilé Alexander Mcqueen. Les robes dite « gouttes de pluies » sont depuis un motif récurant dans l’industrie musicale qui habille les divas de Vegas- souvent sujettent au détournement Drag Queen. Jennifer Lopez ou Celine Dion en robe de show girl ne se détournent pas de la dépossession queer de leur image, tout comme Liza Minelli en plumes et paillette Valentino. Un jeu avec les mythes qui fondent le panthéon de la culture gay, que Jack Babusscio théorise dans son essai sur le cinéma « Camps et sensibilité gay » en 1977 ou il rappelle l’humour demandé aux images camp. Une touche d’humour et d’originalité revendiquée par Lena Waithe qui arborait dans le dos de sa veste la phrase « Black Drag Queen Invented Camp ».
De l’auto-dérision au dérisoire de la star image
Le tapis rouge affiche tout autant qu’il cache. Il est le lieu ou la starlette recherche les flashs selon Edgar Morin contrairement à la star qui se dérobe des photographes dans une discrétion qui se doit d’être visible. À l’ère des réseaux sociaux qui inaugurent une constante demande de mise en images, les stars telles que Hailee Steinfeld ou Tracee Lee Rose se jouent de cette exigence sans se dérober. Une robe Viktor and Rolf ‘No Photo Please’ pour Steinfeld tandis que Tracee Lee Rose en Jeremy Scott donne au photographe la recette du bon cadrage. John Legend se ballade quant à lui avec un appareil photo tandis que Jared Leto tenant sa tête à la main, se joue du thème de la surconsommation de l’image de la star, ou celle-ci n’est plus propriétaire de son propre visage. Au point ou le visage se substitue en des millions de regards superposés par un maquillage surréaliste chez Ezra Miller. Palme du Camp : sans doute à Rihanna qui avait marqué le bal de l’année dernière et brille de son absence dans les commentaires des internautes en mal de son image.
Retour au pourquoi de l’image adulée
Dans ce prolongement de l’image, de l’extravagance, la tenue n’est plus la seule valeur. Sa mise en scène devient tout aussi centrale. Alors Lady Gaga, co hoste de la soirée choisit une performance en quatre acte répondant à l’extravagance attendue de son personnage de Gaga. Elle joue de tout les subterfuges de l’imagination autour de son accès à la starification. Tout en montant les marches elle déconstruit son histoire. Elle passe d’une robe rose glamour Brandon Maxwell à un ensemble slip soutient gorge qui rappel les performances de ses débuts. Loin d’une recherche du temps perdu nostalgique, l’esthétique camp accepte la présence du passé dans le présent. Un geste qu’avait revendiqué Paolo Potoghesi lors de la première bienale de Venise en 1981 intitulé ‘The presence of the past’. Echo à cette esthétique de la citation d’un soi au passé, Miley Cyrus présente une grande similarité avec son personnage d’Hannah Montana tandis que Diane Von Furtenberg revêtit un robe ou s’imprime la couverture qu’elle avait faite du magazine Interview en 1977.
La force de la superficialité
Ce sont finalement les stars les plus « outrageous » qui ont fait des robes luxueuses les outils de communications les plus politiques. Comme le note Bolton « le camp peut aujourd’hui être un outil politique des plus sophistiqué ». Les plus voyants seront les plus politiques ? Cardi B en robe Thom Browne rouge sang, rompt avec le rouge glamour du tapis rouge comme pour rappeler que le rapport femme / nature est encore une logique forte dans le patriarcat à la tête de l’industrie de l’entertainement. Les femmes, si elles ne sont pas sexualisées, sont rammenées à leur statut de mère, soit de corps reproducteur. Alors pour toutes ses femmes qui vécurent heureuses et eurent beaucoup d’enfants Zendaya se transforme en Cendrillon. Entre Vaudeville sur la célébrité dans une société ou l’image de soi puni ( en soumettant à la surveillance) tout autant qu’elle gratifie, un conte Disney de la frivolité s’est joué ce lundi, montrant que plus que jamais le vêtement protège tout comme il dévoile. Le fake semble poussé à ses limites, et être la meilleur façon pour les stars de performer leur soi céleste, tout en se dérobant des flashs. « Il n’y a pas de sujet futiles, seulement des manières futiles d’aborder les choses », dit Edgar Morin.
Tommy Hilfiger et sa femme formaient a eu deux un drapeau américain, dans un ère ou le nationalisme et le populisme et leurs démesures ne sont plus des élément de fictions mais une réelle politique qui fait de Trump son élu. Si Sontag doutait de la portée politique du Camp, peut-on espérer que son retour permette d’avoir une analyse plus fine de la frivolité contemporaine.
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