Report de la loi bioéthique, mesures de confinement, contrôles des frontières… La crise sanitaire a mis un coup d’arrêt aux projets de PMA pour les couples de femmes et les femmes seules. Et a instillé l’incertitude dans l’esprit de nombre d’entre elles. Témoignages.
“Quand pourra-t-on enfin fonder notre famille ?” A l’autre bout du fil, l’inquiétude s’entend dans la voix de Virginie. Avec son épouse, Marina, elle comptait sur l’adoption de la loi bioéthique, comprenant l’ouverture de la PMA pour toutes, cette année. Une promesse du gouvernement. Mais crise sanitaire oblige, le texte, à l’instar d’autres réformes – assurance chômage ou audiovisuel public -, a été reporté sine die. “On est complètement démunies”, soupire cette Marseillaise de 41 ans qui se dit “dégoûtée et en colère”. “On comprend que la situation est exceptionnelle, mais on veut simplement l’assurance que nous ne sommes pas oubliées. Et que la loi ne sera pas mise au placard.” Mais si Virginie veut toujours croire à une adoption du texte cette année, Laura, elle, a déchanté.
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“Ça n’est visiblement pas la priorité du gouvernement”
La chimiste de 33 ans et sa compagne Sophie, 38 ans, essaient d’avoir un enfant depuis deux ans en France, sans succès. “Sophie arrive à un âge « critique » où on lui a conseillé de passer par une FIV (fécondation in vitro), détaille-t-elle. Alors on comptait sur le passage de la loi pour le faire gratuitement et légalement dans l’hexagone.” Des espoirs douchés il y a un mois et demi, à l’annonce du confinement.
“Je suis assez pessimiste concernant un retour de la loi à l’Assemblée, souffle Laura. Ça n’est visiblement pas la priorité du gouvernement. Regardez, on en parlait déjà en 2013 et sept ans plus tard, toujours rien”. “Le texte doit être examiné en priorité puisqu’il était en cours de débat parlementaire”, abonde la vice-présidente de l’association les Enfants d’arc-en-ciel Eloïne Thevenet-Fouilloux.
Après plusieurs reports, le projet de loi avait finalement été adopté en première lecture à l’Assemblée à l’automne 2019, puis au Sénat début 2020. Les sénateurs avaient d’ailleurs décidé de limiter le remboursement de ces techniques aux demandes fondées sur un critère médical, contre l’avis du gouvernement.
Le texte devait repasser devant l’Assemblée en avril et au Sénat en mai pour une promulgation d’ici la fin de l’été. Mais aujourd’hui, tout est sur pause.
Véran “préoccupé” et “vigilant” sur l’aboutissement du texte
“Hors de question” d’abandonner le projet de loi, rassure toutefois la députée LREM de l’Allier Laurence Vanceunebrock. “Le texte a déjà été travaillé dans les deux chambres, donc il y aura forcément une autre lecture”, déclare cette mère de deux enfants nés de PMA. Quand ? Si elle souhaite que ce soit à la rentrée, “entre septembre et décembre”, elle admet n’avoir eu “aucun retour de qui que ce soit concernant le calendrier parlementaire”.
Sollicité par Les Inrocks, le cabinet du ministre des Solidarités et de la santé Olivier Véran assure que ce dernier “est sincèrement attaché à faire aboutir ce projet de loi dans les meilleurs délais” et souhaite tout mettre en œuvre pour que sa lecture “reprenne dès que possible”. “À l’instar d’autres projets de loi en cours de lecture au Parlement, son examen est actuellement dépendant de la reprise des travaux parlementaires dans leur forme ‘classique’”, ajoute cette même source.
Et d’ajouter : “Conscient des attentes très fortes des couples de femmes qui patientent pour certaines depuis des années, il tient à faire part de sa préoccupation et vigilance sur l’aboutissement du texte (…) A l’instar de d’autres projets de loi en cours de lecture au Parlement, son examen est actuellement dépendant de la reprise des travaux parlementaires dans leur forme « classique. »”
Quid de la fermeture des frontières
Mais pour Viriginie, Marina, Laura et Sophie, les paroles ne suffisent plus. Alors, elles envisagent sérieusement de partir à l’étranger, malgré les difficultés d’un tel projet : coût élevé, déplacements réguliers, obligation pour l’une des deux mères d’adopter son enfant en France, etc.
Autre difficulté majeure en temps de confinement : impossible de savoir quand les procédures de PMA pourront reprendre dans les pays européens où elle est autorisée pour les couples de femmes et les femmes seules (Espagne, Belgique, Grèce…).
“On ne part pas pour des vacances, mais est-ce qu’on va quand même pouvoir sortir du pays pour ce projet ?”, s’interroge Audrey, une enseignante de 41 ans, qui avait prévu de se lancer dans une PMA au printemps en Espagne ou au Portugal. “J’ai opté pour un parcours à l’étranger en raison de mon âge, nous explique-t-elle. Avec le retard que prend l’ouverture de la PMA pour toutes ici, il était évident que ça ne me concernerait pas”.
En effet, le remboursement de la PMA par la Sécurité sociale devrait être possible jusqu’à 43 ans en France, comme pour les couples hétérosexuels.
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Faute d’en savoir plus, Audrey met à profit ce “temps supplémentaire pour affiner ses recherches et trouver une bonne clinique”. Mais elle ne cache pas son “anxiété”. “J’espère quand même pouvoir me lancer cette année.”
“Je vois mon espoir s’amenuiser avec les semaines qui passent”
Sarah*, elle, en est à sa quatrième tentative de PMA. Cette femme de 45 ans devait se rendre au Portugal en mars pour visiter une clinique dans l’optique d’un double don. “Je sais que c’est l’une de mes dernières chances”, dit-elle. Mais le confinement a mis un coup d’arrêt à son projet.
“Ma PMA aurait dû commencer en avril, mais avec l’absence de visibilité sur la réouverture des frontières, je suis suspendue à une date indéterminée, soupire cette femme célibataire. Je vois mon espoir s’amenuiser avec les semaines qui passent. C’est dommage de ne pas l’avoir fait avant le confinement”. Une incertitude difficile à supporter, mais pas question de perdre espoir pour autant. “J’essaye de me dire que ça n’est pas fichu.”
“Pour certaines femmes, le fait de ne pas pouvoir entamer leurs parcours en mars, juin ou septembre, signifie qu’elles ne pourront jamais le commencer”, regrette Eloïne Thevenet-Fouilloux de l’association des enfants d’Arc-en-ciel.
“On espérait une réforme de la filiation”
Solène, 34 ans, et Anne-Sophie, 35 ans, ont aussi été stoppées net dans leur parcours en Espagne. Mais si elles espèrent pouvoir reprendre en juin, c’est avant tout le report de la loi bioéthique qui les inquiète. “On espérait une réforme de la filiation pour qu’Anne-Sophie n’ait pas besoin de passer par l’adoption.” En effet, la mère qui n’a pas porté l’enfant est aujourd’hui contrainte de passer par l’adoption pour faire reconnaître son statut de parent.
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Face à ces situations, les associations sont un peu démunies. “C’est dramatique”, déplore Laurène Chesnel, déléguée Familles de l’Inter-LGBT qui craint surtout de nouvelles périodes de confinement dans les mois à venir. Et donc de nouvelles « pauses » pour les femmes concernées. “C’est une chose d’être confinée sans pouvoir se lancer dans un cycle de PMA, ajoute-t-elle. C’est en est une autre d’avoir débuté toutes les démarches, fait les examens et de ne pas pouvoir se déplacer le jour J”.
“Je suis passée in extremis”
C’est ce qui a failli arriver à Marion, cheffe d’entreprise de 44 ans. Hasard du calendrier : son transfert d’embryon était prévu le 16 mars à Madrid, c’est-à-dire au lendemain de l’annonce du confinement en Espagne et à la veille de son début en France. “Là je me suis dit : »mince, est-ce que j’y vais quand même ? »”
Elle contacte la clinique qui lui confirme qu’elle sera encore ouverte. “Tous mes amis me disaient de ne pas y aller, mais mon vol aller était maintenu et j’ai trouvé un retour le jour même.” Par crainte de voir son transfert embryonnaire repoussé de plusieurs mois, sans date connue, elle se décide à partir. D’abord parce qu’elle souhaite un protocole sans congélation d’embryon, mais aussi car elle trouve dommage de “devoir arrêter son projet à un jour près”.
“Je me suis mise en mode « warrior » avec mon masque et mes gants et j’y suis allée.” Tout se passe bien, elle est même reçue en avance. C’est en attendant son vol retour qu’elle découvre que la France sera confinée à partir du lendemain midi. Une fenêtre de tir qui lui laisse tout juste le temps de rentrer chez ses parents en Normandie. Quinze jours plus tard, la nouvelle tombe : elle est enceinte.
“Je suis très heureuse, nous confie-t-elle au téléphone. C’est la période idéale pour préparer l’arrivée d’un enfant. Je n’ai plus de travail en raison du confinement, je fais beaucoup de yoga, de relaxation, je mange très sain… Je suis prête”. Une histoire qui se termine bien donc. Et qui redonne un peu d’espoir.
*Certains prénoms ont été changés
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