Depuis le début du confinement, de nombreuses personnes font état de troubles du sommeil. Nous avons demandé au docteur Marc Rey, président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance, de nous éclairer sur les remèdes qui existent.
Les témoignages d’insomnies affluent sur les réseaux sociaux depuis le début du confinement. Si, à l’instar de cette internaute désespérée, vous en êtes au point de souhaiter qu’on vous assomme avec l’intégrale des Rougon-Macquart, ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas seul·e.
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Comme l’a montré l’étude Coconel (pour coronavirus et confinement) réalisée entre le 31 mars et le 2 avril par l’Ifop pour un consortium de chercheurs, 74 % des personnes sondées ont déclaré avoir connu des troubles du sommeil dans les 8 derniers jours.
Mais comment l’expliquer, et surtout, comment y remédier ? Le docteur Marc Rey, président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance, association chargée de promouvoir le sommeil comme composante de la santé publique, nous répond.
Comment expliquer nos insomnies par temps de confinement ? Quels facteurs physiques ou psychiques peuvent expliquer ce phénomène ?
Marc Rey – Il y a deux grands facteurs qui interviennent. D’une part le confinement fait que l’on perd le rythme habituel de notre organisation de vie. Au lieu de se lever, de prendre le petit-déjeuner, de se laver, de s’habiller et de faire une activité physique consistant à aller prendre le métro ou le bus pour se rendre au travail, certaines personnes vont rester chez elles et regarder la télé, où des nouvelles tout à fait catastrophiques sont diffusées.
“Il faut trouver en soit l’énergie d’avoir une activité stimulante : il faut s’organiser, quitte à faire un planning, pour éviter la procrastination”
Non seulement ces personnes n’auront pas un éveil de bonne qualité, mais dans la journée, elles auront du mal à se mobiliser. Arrivé le soir, ces sujets n’ont pas vraiment sommeil, car leur veille a été très détériorée par une absence d’activité stimulante. Il faut donc trouver en soit l’énergie d’avoir une activité stimulante. Et pour cela, il faut s’organiser, quitte à faire un planning au début de la semaine, pour éviter la procrastination. Cette perte de rythme est extrêmement importante.
Le deuxième grand problème, c’est l’anxiété par rapport à la maladie. Celle-ci nous est montrée à longueur de journée de façon tout à fait dramatique. On nous dit que c’est une maladie bénigne, dont 80 % des gens guérissent spontanément, mais on nous donne sans arrêt le nombre de morts, et on nous dit que les services de réanimation sont saturés. Cette contradiction dans l’information fait qu’on finit par redouter d’attraper une maladie bénigne.
De plus, si on l’attrape, on nous dit de rester chez nous, et que si la maladie s’aggrave, alors on ira à l’hôpital, et éventuellement en réanimation… C’est stressant ! Il y a de quoi être inquiet. Par ailleurs, vous vous faites aussi du souci pour vos anciens. Et enfin, il y a l’anxiété de ceux qui continuent de travailler, ou de ceux qui sont empêchés de travailler, et qui se demandent comment faire pour la reprise. On est dans un contexte d’incertitude extrême, on va donc avoir du mal à trouver le sommeil la nuit.
On sait très bien que le stress et la perte du rythme sont générateurs d’insomnie. L’étude Coconel (pour coronavirus et confinement) montre que 75 % des Français se plaignent de troubles du sommeil pendant cette période, même si d’autres au contraire dorment mieux – ce sont des gens dont les besoins de sommeil n’étaient pas couverts en période d’activité.
on dort tous mal avec le confinement ou c'est juste moi ? 😒 pic.twitter.com/60tZFXWcmm
— Nicolasbdf (@Nicolasbdf) April 28, 2020
Dans cette période, l’addiction aux écrans pourrait être renforcée. Le fait de consulter son téléphone tard le soir, ou de regarder des séries sur un ordinateur, est-ce aussi un facteur de troubles ?
Notre étude publiée pour la journée du sommeil du 13 mars montrait déjà une consommation d’écrans considérable, en l’absence de confinement, en particulier chez l’adolescent, mais aussi chez l’adulte. Des gens se couchent et regardent des écrans pendant 1h30 alors qu’ils pensaient s’endormir. Cette consommation est déjà très élevée.
Bien entendu, dans la période actuelle, nous avons besoin des écrans dans la journée pour rester en contact et télétravailler. Notre temps d’écran dans la journée est plus élevé que d’habitude. Il ne faut donc pas majorer ce temps d’écran le soir. Ce qu’il faut, c’est s’organiser pour ne plus avoir d’écran au coucher dans le lit, au risque de vous mettre en privation de sommeil, alors que vous êtes déjà stimulés par l’angoisse.
Il faut arrêter de regarder les nouvelles, très anxiogènes, après le journal de 20 heures, et arrêter les écrans 1h30 avant l’heure d’endormissement souhaitée. Les écrans sont mauvais pour le sommeil, car ils sont enrichis en lumière bleue, la lumière du jour, qui bloque la sécrétion d’une hormone, la mélatonine, qui est sécrétée quand il fait noir.
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Est-il normal que nous fassions plus de cauchemars, ou de rêves angoissants ?
Oui. Il y a deux aspects à prendre en compte. Beaucoup plus de rêves sont racontés en ce moment, parce que globalement les gens se lèvent plus tard. Or les rêves que l’on fait varient du début à la fin de la nuit. Au début de la nuit, on fait des rêves très courts, et à la fin de la nuit, des rêves très longs. C’est pour ça qu’on a un rêve en tête quand on se réveille. Comme les gens se lèvent plus tard, ils font des rêves plus longs, et en ont plus facilement des souvenirs.
Deuxième point : dans une situation d’inquiétude, on fait des rêves plus inquiétants. Une des fonctions probables du rêve, c’est de nous préparer à d’éventuelles difficultés diurnes. Des expériences l’ont montré. C’est une façon naturelle, quand on a des soucis, de voir les mauvaises possibilités de résolution.
Que conseillez-vous pour retrouver un rythme plus normal de sommeil ? Avoir une activité sportive, même en intérieur ?
C’est très important, car cette activité sportive, en particulier le matin, va vous permettre d’avoir une meilleure qualité d’éveil. Quand vous êtes somnolent, le fait de vous agiter vous empêche de vous rendormir, c’est pourquoi il est très important d’avoir une activité physique le matin, et surtout d’ouvrir les fenêtres, et, si vous avez la chance d’avoir un balcon, de sortir au soleil – c’est très important pour arrêter la sécrétion de mélatonine.
“Si vous vous sentez très énervé, il va falloir avoir des activités physiques explosives”
Il faut aussi essayer de se lever assez tôt, et de faire une sieste à mi-journée, un temps de pause d’une quinzaine de minutes, puis refaire une activité physique pour se relancer pour l’après-midi.
Si vous vous sentez très énervé, il va falloir avoir des activités physiques explosives. Si vous avez un punching-ball, c’est parfait. Il vaut mieux taper sur un punching-ball que sur votre partenaire ou vos enfants, ce qui nous pose de gros problèmes aujourd’hui avec le confinement.
Est-ce différent pour les enfants ? Avez-vous des recommandations particulières à leur égard ?
D’une part, il faut absolument qu’ils aient un emploi du temps. Les enfants sont très contraints tout au long de l’année par les emplois du temps à l’école. Ils attendent des adultes qu’ils leur donnent un emploi du temps, car ils ne savent pas faire ce qu’ils veulent, quand ils veulent. Il faut que ce soit écrit.
“Il faut parler aux enfants : c’est très angoissant pour eux de compter les morts tous les soirs”
Deuxièmement, il faut leur parler. Ils comprennent plein de choses à la télé, mais peuvent se tromper. C’est très angoissant pour des enfants de compter les morts tous les soirs. Il faut leur dire qu’il y a tout le temps des morts, mais qu’avant on ne les comptait pas. Il faut les rassurer, c’est la vie. En temps d’épidémie on fait plus attention.
Il faut essayer de les faire parler, de leur faire raconter les rêves qu’ils font. S’ils font de mauvais rêves, on peut les modifier avec une histoire dont la fin modifie le rêve. Il faut un rituel le soir, où on retrouve de la sécurité. Il faut que l’enfant puisse verbaliser comment il a trouvé sa journée. Discuter de choses agréables apaisera aussi l’adulte.
On considère rarement le sommeil comme un vrai problème de santé publique. Cette crise met-elle en évidence son importance ?
Bien sûr. C’est un problème de santé publique, habituellement lié à la dette de sommeil. Avec cette crise, on risque de se retrouver avec une flambée d’insomnies chroniques. Il faut surtout éviter que les gens, à l’issue de ce confinement, prennent des somnifères, car ce n’est pas une bonne solution. Il faut que ces problèmes soient gérés au même titre que le stress. Je trouve surprenant que, lorsqu’il y a des attentats, quel que soit leur niveau, une cellule psychologique soit créée pour vous prendre en charge, alors que dans le cas de cette pandémie, qui nous soumet à un stress au moins aussi important, il n’y en a pas. Il faudra prendre en charge les gens qui ont très mal vécu cette histoire. Il faut y être attentif.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
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